Communiqué de presse

Indonésie. La liberté d’association est menacée

Amnesty International prie instamment les autorités indonésiennes de modifier sans délai la Loi de 1985 relative aux organisations de masse et de mettre ce texte en conformité avec les normes internationales relatives aux droits humains. Elle est vivement préoccupée par le fait que la nouvelle loi, adoptée le 2 juillet, restreindra la liberté d’association, la liberté d’expression et la liberté de pensée, de conscience et de religion en Indonésie, musèlera le travail des défenseurs des droits humains et favorisera les comportements discriminatoires envers certains groupes de la population.

La loi limite les activités des organisations à huit objectifs, notamment préserver la valeur de la religion et de la croyance en Dieu, préserver et soutenir les normes, les valeurs, la morale l’éthique et la culture, ou établir, maintenir et renforcer l’unité de la nation (article 5). Le texte ne mentionne pas les droits humains et les organisations sont tenues de « protéger l’unité et l’intégrité de la République d’Indonésie » (article 21b). Par ailleurs, la loi limite l’action des organisations étrangères, qui doivent obtenir une autorisation du ministère des Affaires étrangères pour mener leurs activités. Ces activités ne doivent pas perturber « la stabilité et l’unité » de l’Indonésie et ces organisations ne doivent pas mener d’« activités politiques pratiques », d’activités destinées à lever des fonds, ni d’activités « qui troublent les liens diplomatiques » (article 52).

Amnesty International estime que la loi risque de porter gravement atteinte, à l’avenir, au travail des ONG indonésiennes et étrangères, dont celles qui défendent les droits fondamentaux, en conférant aux autorités des pouvoirs accrus et excessifs pour contrôler leurs financements et leurs activités. Par ailleurs, les restrictions formulées en termes vagues et larges laissent la porte ouverte à la suspension ou à la fermeture des ONG qui critiquent les politiques et les pratiques du gouvernement en termes de droits humains. Cela laisse très peu de marge de manœuvre aux militants politiques pour plaider pacifiquement en faveur de référendums, de l’indépendance ou de toute autre solution politique n’impliquant pas d’incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence, comme en Papouasie et dans les Moluques. L’histoire de ces deux régions a été marquée par des mouvements pro-indépendance et le militantisme politique pacifique y est déjà sévèrement réduit.

Selon Maina Kiai, rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et d’association, « les associations doivent être libres de déterminer leurs statuts, leurs structures et leurs activités et de prendre des décisions sans ingérence de l’État ». Il a ajouté avant que la loi ne soit adoptée en février 2013 que « cette initiative législative va à l’encontre des progrès remarquables vers la démocratisation observés en Indonésie depuis 10 ans, qui ouvrent la voie à une société civile florissante ».

La Loi relative aux organisations de masse dispose que les principes fondamentaux de toute organisation enregistrée doivent être en accord avec les Pancasila (article 2), idéologie officielle des « Cinq principes », à savoir foi en un Dieu unique, sens de l’humanité, unité nationale, démocratie et justice sociale. Elle dispose que l’objectif d’une organisation est de « préserver les valeurs religieuses et la foi en Dieu » et interdit « l’abus, le blasphème ou la diffamation envers toute religion reconnue en Indonésie » (article 59.2). Les religions officiellement reconnues sont l’islam, le christianisme, le catholicisme, l’hindouisme, le bouddhisme et le confucianisme.

Ces dispositions sont fondamentalement incompatibles avec les obligations internationales de l’Indonésie en matière de droits humains. Plus particulièrement, en tant qu’État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), l’Indonésie a le devoir de respecter et de protéger les droits de chacun à la liberté d’expression, d’association, de pensée, de conscience et de religion.

Ces droits sont en outre consacrés par la Constitution indonésienne.
Concernant les dispositions relatives à la « diffamation de la religion », Amnesty International et d’autres organisations internationales font part depuis longtemps de leurs préoccupations quant à leur incompatibilité avec les obligations internationales de l’Indonésie en termes de droits humains. L’article 19(3) du PIDCP n’autorise les restrictions au droit à la liberté d’expression que si elles sont encadrées par la loi et indispensables « au respect des droits ou de la réputation d’autrui » ou « à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques », ce qui n’inclut pas la protection des religions.

Par ailleurs, la loi interdit la diffusion d’enseignements et de croyances qui ne concordent pas avec les Pancasila, tels que le « Communisme/Marxisme-léninisme » et l’« athéisme » (article 59.4). En février 2013, le rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction s’est dit préoccupé par le fait que des dispositions de la loi puissent « bafouer la liberté de religion ou de croyance qui a une vaste application, et couvre également les convictions non théistes et athées ». Il est fort inquiétant que le « Communisme/Marxisme-léninisme » continue d’être interdit, alors que la Commission nationale des droits humains Komnas HAM a mis au jour les preuves de graves violations des droits humains, qui pourraient constituer des crimes contre l’humanité, commises par les autorités contre des membres du Parti communiste indonésien (PKI) et des sympathisants communistes présumés, notamment de 1965 à 1966. De nombreuses victimes et leurs familles sont toujours en butte aux discriminations et attendent depuis plus de 40 ans d’obtenir justice, vérité et réparation. Elles souhaitent aussi que l’État reconnaisse ce qui leur est arrivé.

Les organisations de défense des droits humains ont vertement protesté contre la Loi relative aux organisations de masse qui, à leurs yeux, pourra être utilisée contre les détracteurs du gouvernement, notamment les défenseurs des droits humains et les militants politiques pacifiques, et permettra au gouvernement de contrôler et restreindre les activités et les financements des organisations indonésiennes et étrangères, y compris celles qui défendent les droits des groupes religieux minoritaires. Elles prévoient de déposer dès que possible une demande de révision judiciaire de la Loi auprès de la Cour constitutionnelle.

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