Des manifestant·e·s papous ont raconté avoir été pris pour cibles avec des canons à eau, roués de coups de pied et de poing et frappés avec des crosses de fusils et des matraques en caoutchouc au cours de manifestations pacifiques depuis environ un mois. Au moins une personne a été blessée lorsque les forces de sécurité ont ouvert le feu sur les manifestant·e·s le 16 août. Trois manifestants ont affirmé avoir été traités de « singes » au moment de leur arrestation lors de manifestations en juillet.
Amnesty International a analysé des vidéos et des photos montrant des policiers qui utilisent une force illégale contre des manifestant·e·s pacifiques et vérifié les blessures subies par ces derniers.
« Le recours à une force excessive et les insultes racistes des forces de sécurité indonésiennes à l’encontre de manifestant·e·s papous pacifiques sont odieux, a déclaré Richard Pearshouse du programme Réaction aux crises d’Amnesty International.
« Les autorités indonésiennes doivent enquêter sans délai sur les cas signalés de recours à une force excessive discriminatoire et d’insultes racistes contre des manifestant·e·s, et veiller au respect du droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique »
« Les informations que nous avons recueillies faisant état d’agressions physiques et verbales révèlent le mépris absolu des forces de sécurité pour les droits des Papous.
« Les autorités indonésiennes doivent enquêter sans délai sur les cas signalés de recours à une force excessive discriminatoire et d’insultes racistes contre des manifestant·e·s, et veiller au respect du droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique. »
Des manifestations contre le renouvellement controversé de la Loi d’autonomie spéciale pour la province de Papouasie ont eu lieu dans plusieurs villes du pays entre le 14 juillet et le 16 août. Amnesty International a interrogé 17 personnes ayant participé aux manifestations à Djakarta, Djayapura, Sorong et Yahukimo et vérifié leurs dires à l’aide de vidéos librement accessibles.
Les protestataires réclamaient aussi la libération de Victor Yeimo, un militant indépendantiste papou qui risque la réclusion à perpétuité pour ses opinions politiques.
Tirs, coups et insultes racistes
Le 16 août, les forces de sécurité ont ouvert le feu sur des manifestant·e·s à Yahukimo, blessant une personne. Un manifestant a déclaré à Amnesty International qu’il avait entendu de nombreux tirs d’arme à feu et que plusieurs balles avaient été retrouvées près du lieu de la manifestation.
Lors d’une manifestation à Djayapura le même jour, des manifestant·e·s ont confirmé l’utilisation de canons à eau et des coups assénés avec des matraques en caoutchouc et des crosses de fusils par les forces de sécurité. Amnesty International a vérifié des vidéos montrant l’utilisation de canons à eau contre des manifestant·e·s pacifiques et des coups de matraque en caoutchouc qui leur sont portés par les forces de sécurité.
« Le gouvernement doit veiller au respect des droits des Papous. Cela n’est possible qu’en faisant participer véritablement la population papoue à l’élaboration et à la mise en œuvre de la Loi d’autonomie spéciale »
D’autres témoignages recueillis par Amnesty International lors des manifestations de juillet font également état d’un recours excessif à la force par les forces de sécurité indonésiennes.
Un étudiant ayant participé à une manifestation à Djakarta le 15 juillet a indiqué à Amnesty International que les forces de sécurité l’avaient frappé et insulté avant de l’arrêter.
Il a raconté : « On m’a traîné à l’écart du cortège, puis on m’a donné des coups de poing, environ sept. Quand j’ai tenté de m’enfuir, les policiers m’ont retenu et m’ont marché dessus, notamment sur les épaules et les cuisses, en me traitant de singe. J’ai dû me protéger le visage des coups de pied en le couvrant avec mes mains. Ensuite, ils m’ont arrêté et traîné dans le fourgon. » Ce récit a été corroboré par un autre manifestant qui a indiqué avoir vu des policiers donner des coups de pied à un homme et marcher sur lui.
Deux autres manifestants à Djakarta ont affirmé à Amnesty International que des membres des forces de sécurité avaient également traité des manifestant·e·s de « singes » en les poussant dans le fourgon de police.
Un homme ayant participé à la manifestation à Sorong le 19 juillet a indiqué à Amnesty International que des policiers l’avaient frappé au moment de son arrestation. Il a expliqué : « On m’a donné des coups de pied dans le ventre et sur la tête. J’ai été arrêté parce que j’ai seulement demandé de l’aide au chef de la police nationale pour libérer les manifestants arrêtés par la police. » Son arrestation et les coups portés contre lui ont été corroborés par le témoignage d’un autre manifestant et par une vidéo.
Lors de la manifestation à Djayapura, le 14 juillet, deux manifestants ont raconté que la police avait frappé des protestataires à coups de poing, de crosse de fusil et de matraque en caoutchouc
Un manifestant à Sorong a critiqué le recours excessif à la force par les forces de sécurité. Il a expliqué : « Ils veulent juste nous empêcher, nous les Papous, de revendiquer nos droits. Voilà pourquoi, à chaque fois que nous nous mobilisons, on nous disperse toujours ainsi par la force. »
Lors de la manifestation à Djayapura, le 14 juillet, deux manifestants ont raconté que la police avait frappé des protestataires à coups de poing, de crosse de fusil et de matraque en caoutchouc. Sur des vidéos authentifiées par Amnesty International, on voit deux membres des forces de sécurité asséner des coups de matraque à des manifestant·e·s.
Amnesty International a décidé de ne pas publier les vidéos et photos analysées afin de préserver l’anonymat des manifestant·e·s.
La Loi d’autonomie spéciale de la Papouasie et de la Papouasie occidentale
Les manifestations ont été organisées dans un premier temps pour protester contre la décision de la Chambre des Représentants du peuple de renouveler la Loi d’autonomie spéciale pour les provinces de Papouasie et de Papouasie occidentale. Des manifestant·e·s ont ensuite également demandé la libération de Victor Yeimo, dénoncé la discrimination raciste que continuent de subir les Papous de la part des autorités indonésiennes et revendiqué le droit à l’autodétermination.
« Les manifestations contre le renouvellement de la Loi d’autonomie spéciale montrent le manque de volonté du gouvernement indonésien de consulter comme il se doit le peuple autochtone papou »
La Loi d’autonomie spéciale a été adoptée en 2001. Elle visait à conférer plus de pouvoirs au peuple papou pour s’administrer lui-même tout en continuant de faire partie de l’Indonésie, en réponse aux appels à l’autodétermination des Papous.
La nouvelle Loi d’autonomie spéciale introduit des modifications qui renforcent l’autorité du gouvernement central et réduisent l’autonomie des institutions papoues. Elle crée notamment un organe spécial chargé de coordonner et d’évaluer la mise en œuvre de l’autonomie spéciale, dirigé par le vice-président indonésien et doté d’une agence dans la région. Elle supprime en outre le droit de la population papoue de former des partis politiques locaux, précédemment instauré par l’article 28-1 de la Loi d’autonomie spéciale.
« Les manifestations contre le renouvellement de la Loi d’autonomie spéciale montrent le manque de volonté du gouvernement indonésien de consulter comme il se doit le peuple autochtone papou, a déclaré Usman Hamid, directeur exécutif d’Amnesty International Indonésie.
« Le recours à une force excessive et les insultes racistes des forces de sécurité indonésiennes à l’encontre de manifestant·e·s papous pacifiques sont odieux »
« Le gouvernement doit veiller au respect des droits des Papous. Cela n’est possible qu’en faisant participer véritablement la population papoue à l’élaboration et à la mise en œuvre de la Loi d’autonomie spéciale. »
Complément d’information
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques garantit expressément le droit à la liberté d’opinion et d’expression (article 19) et à la liberté de réunion pacifique (article 21). Ce traité a un caractère contraignant pour tous les pays qui l’ont ratifié, dont fait partie l’Indonésie. Dans le cadre du Pacte, l’expression politique relève de la liberté d’expression et d’opinion.
Le droit à la liberté de réunion et d’expression est également garanti par l’article 28-E-3 de la Constitution indonésienne de 1945 et par l’article 24-1 de la loi n° 39/1999 relative aux droits humains.
Amnesty International ne prend aucunement position sur le statut politique des provinces de l’Indonésie. Toutefois, l’organisation défend les droits humains, y compris le droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique, qui permet d’exprimer des opinions politiques du moment qu’elles ne prônent pas la haine, la discrimination ou la violence.