Indonésie : En Papouasie, près de 100 personnes tuées en huit ans dans une impunité quasi-totale

Les forces de sécurité indonésiennes ont tué illégalement au moins 95 personnes en un peu plus de huit ans dans les provinces de Papouasie et de Papouasie occidentale en proie à des troubles, et les responsables de ces crimes n’ont quasiment jamais été amenés à rendre des comptes. Toutes les victimes sauf 10 étaient des Papous.

Ce rapport, intitulé « Don’t bother, just let him die » : Killing with impunity in Papua, relate que les policiers et les soldats ont abattu des militants et des manifestants pacifiques pro-indépendance, ainsi que des dizaines de Papous dans des contextes non politiques, y compris un jeune homme souffrant de troubles mentaux. Malgré la promesse du président Joko Jokowi Widodo d’accorder la priorité aux droits humains en Papouasie, les homicides ne montrent aucun signe de fléchissement depuis son entrée en fonction en 2014.

« Sur le territoire indonésien, la Papouasie est un trou noir en matière de droits humains. C’est une région où on laisse depuis des années les forces de sécurité tuer des hommes, des femmes et des enfants, sans qu’elles n’aient à faire face aux conséquences, a déclaré Usman Hamid, directeur d’Amnesty International Indonésie.

«  Nos recherches révèlent que près de 100 personnes ont été tuées illégalement en un peu plus de huit ans, c’est-à-dire environ une par mois. Cela ternit fortement le bilan de l’Indonésie en matière de droits humains. Aujourd’hui, il est temps de redresser la barre – les homicides illégaux en Papouasie doivent cesser. Cette culture de l’impunité au sein des forces de sécurité doit changer et les responsables des homicides commis par le passé doivent rendre des comptes. »

Le rapport recense au moins 95 décès dans le cadre de 69 incidents entre janvier 2010 et février 2018, dont 56 se sont déroulés dans le cadre d’activités non liées à l’indépendance, tandis que 39 étaient liés à des activités politiques pacifiques – manifester ou hisser le drapeau de « l’Étoile du matin », emblème de l’indépendance papoue.

En dépit de ce bilan très lourd, les autorités indonésiennes n’ont traduit aucun responsable – ou presque – en justice. Aucun n’a été jugé ni condamné devant une cour de justice indépendante, et seul un petit nombre de cas a débouché sur des sanctions disciplinaires ou des procès devant des tribunaux militaires.

«  Il est très inquiétant de constater que les policiers et les soldats appliquent contre des militants politiques pacifiques les mêmes méthodes violentes et meurtrières que contre des groupes armés. Tous les homicides illégaux bafouent le droit à la vie, un droit fondamental garanti par le droit international et la Constitution indonésienne, a déclaré Usman Hamid.

« Il existe un lien direct entre impunité et perpétuation des violations des droits humains. En l’absence d’enquêtes ou de poursuites contre les responsables, ceux-ci se croient au-dessus des lois et les sentiments de ressentiment et d’injustice ne cessent de se renforcer en Papouasie.  »

Obligation de rendre des comptes pour les homicides illégaux en Papouasie

Les familles des victimes ont déclaré à Amnesty International qu’elles désirent toujours que les meurtriers de leurs proches soient traduits en justice.

Sur les 69 événements meurtriers recensés dans le rapport, aucun n’a fait l’objet d’une enquête pénale menée par une institution indépendante de celle dont les membres étaient soupçonnés d’avoir commis l’homicide.

Dans 25 cas, il n’y a pas eu d’enquête du tout, pas même en interne. Dans 26 cas, la police ou l’armée a affirmé avoir mené des investigations internes, sans en rendre les conclusions publiques.

«  Le manquement de l’État concernant la tenue d’enquêtes rapides, indépendantes et efficaces sur les homicides illégaux constitue en soi une violation des droits humains. Ces enquêtes, indispensables pour garantir la justice et prévenir le recours illégal à la force meurtrière, constituent donc un élément essentiel de l’obligation positive de l’État de prévenir la privation arbitraire de la vie  », a déclaré Usman Hamid.

Homicides illégaux non liés à des activités en faveur de l’indépendance

La majorité des homicides illégaux recensés dans le rapport d’Amnesty International se sont déroulés dans le cadre d’événements non politiques, sans lien avec les appels à l’indépendance ou le référendum sur la liberté en Papouasie. Ce type d’homicides illégaux s’est produit lorsque les forces de sécurité ont géré des contestations sociales pacifiques et des troubles à l’ordre public, tenté d’arrêter des suspects de droit commun ou en cas de faute individuelle de leurs membres.

Parmi les personnes tuées dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre lors de rassemblements non politiques et de troubles à l’ordre public, figurent Petrus Ayamiseba et Leo Wandagau, deux ouvriers employés à la compagnie minière d’or et de cuivre de Freeport, qui manifestaient à Timika le 10 octobre 2011. Yulianus Pigai a quant à lui été tué le 1er août 2017 lorsque la brigade de police mobile (Brimob) a ouvert le feu, sans avertissement, sur une foule dans le district de Deiyai, dans la province de Papouasie.

Le rapport évoque les homicides illégaux qui sont le résultat de comportements répréhensibles des forces de sécurité, et qui ont coûté la vie à 25 personnes. Il s’agit d’attaques de soldats contre des villages à Honelama et Wamena le 6 juin 2012, et du meurtre d’Irwan Wenda, un Papou souffrant de troubles mentaux. Il a frappé avec une canne à sucre un policier, qui l’a tué.

Homicides illégaux liés à des activités politiques

Les forces de sécurité ont tué illégalement des Papous en raison d’activités politiques, notamment liées à la question de l’indépendance ou du référendum sur la Papouasie. Ce type d’homicides illégaux s’est produit lorsque les forces de sécurité ont géré des manifestations politiques pacifiques, notamment les cérémonies de lever de drapeau ou les rassemblements religieux à l’occasion de dates de commémoration.

Le 19 octobre 2011, des unités de l’armée et la police ont ouvert le feu pour disperser les 1 000 délégués participant au troisième Congrès du peuple papou, un événement nationaliste pacifique, tuant trois civils.

Le 30 avril 2013, des unités de la police et de l’armée ont lancé une opération conjointe à Aimas, à Sorong, pour interrompre une veillée pacifique de prières organisée par Isak Kalaibin, membre d’un mouvement indépendantiste, pendant laquelle le drapeau de « l’Étoile du matin », emblème interdit, aurait été hissé. Les participants ont bloqué la voiture du chef adjoint de la police de district, assénant des coups de poing et de bâton dessus. Les forces de sécurité ont alors ouvert le feu sur la foule et les maisons du quartier, faisant trois morts et cinq blessés.

Le 1er décembre 2015, dans le village de Wanampompi, à Yapen Islands, des unités de la police et de l’armée ont ouvert le feu sur la foule lors d’une cérémonie pacifique de déploiement du drapeau, faisant quatre morts.

«  Ces trois cas illustrent l’incapacité des forces de sécurité indonésiennes à faire la distinction entre des militants pacifiques et des personnes armées mettant des vies en danger, ainsi qu’entre l’expression pacifique d’opinions et du droit de se réunir, et des actes de violence physique. La police et l’armée doivent modifier leur approche face aux activités politiques pacifiques  », a déclaré Usman Hamid.

Recommandations d’Amnesty International

Amnesty International demande aux autorités indonésiennes de veiller à ce que tous les homicides illégaux qui auraient été commis par les forces de sécurité indonésiennes fassent l’objet dans les meilleurs délais d’une enquête indépendante, impartiale et efficace. Les enquêtes et les poursuites ne devraient pas se limiter aux responsables directs, mais se pencher aussi sur l’éventuelle implication de commandants, quel que soit leur rang.

Les autorités en Indonésie doivent prendre l’initiative de cesser les homicides illégaux en Papouasie, notamment en publiant et en faisant appliquer par l’armée et la police des instructions claires relatives à l’usage de la force, et en garantissant justice et réparations pour les victimes et leur famille.

Enfin, il est crucial de revoir les méthodes de la police, de l’armée ou de toute autre entité responsable de l’application des lois, ainsi que l’usage de la force et des armes à feu lors des arrestations, afin qu’elles respectent les normes internationales.

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