Alors que des gens dans le monde entier célèbrent la Journée internationale des personnes disparues, Amnesty International appelle le président indonésien à cesser de retarder la création d’un tribunal des droits humains chargé de juger les responsables présumés de l’enlèvement et de la disparition forcée de 13 militants politiques en 1997 et 1998. L’absence persistante d’enquête sur ces crimes en vue de déterminer le sort des disparus et le lieu où ils se trouvent, s’ajoutant au fait, lorsque des éléments de preuve suffisants existent, de ne pas poursuivre les personnes soupçonnées d’avoir commis ces crimes, perpétue les violations des droits humains et contribue à une culture de l’impunité en Indonésie.
Les familles des 13 militants politiques – Sonny, Yani Afri, Ismail, Abdun Nasser, Dedi Hamdun, Noval Alkatiri, Wiji Thukul, Suyat, Herman Hendrawan, Bimo Petrus Anugerah, Ucok Munandar Siahaan, Yadin Muhidin et Hendra Hambali (tous des hommes) – qui ont disparu en 1997 et 1998 continuent de demander que les autorités dévoilent la vérité sur ce qui leur est arrivé il y a plus de 15 ans. On sait qu’au moins six de ces militants étaient détenus aux côtés de neuf autres personnes, qui avaient été arrêtées puis torturées par l’armée lors de leur détention au secret dans un bâtiment militaire, à Jakarta en 1998, et qui ont depuis été libérées.
Un décret présidentiel pour la création d’un tribunal spécial des droits humains
En 2009, le Parlement indonésien, se fondant sur un rapport présenté en 2006 par la Commission nationale des droits humains (Komnas HAM), a recommandé que le président Susilo Bambang Yudhoyono crée un tribunal des droits humains chargé de juger les personnes soupçonnées d’avoir commis des disparitions forcées en 1997 et 1998. Cependant, le président n’a pas encore émis de décret, nécessaire pour mettre en place cette juridiction ad hoc. D’autres recommandations préconisaient l’ouverture immédiate par les autorités indonésiennes de recherches pour trouver les 13 militants disparus, la mise en place de mesures de « réadaptation et d’indemnisation » pour les familles des victimes et la ratification de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Presque quatre ans après, les autorités n’ont pris aucune mesure concrète pour mettre en œuvre ces recommandations.
Le cas de ces 13 militants disparus témoigne de l’impunité existante pour les disparitions forcées en Indonésie et durant l’occupation du Timor-Leste (alors Timor oriental) entre 1975 et 1999. Les familles de disparus demandent depuis des années aux autorités indonésiennes de déterminer le sort de leurs proches et le lieu où ils se trouvent, mais la situation n’a guère évolué jusqu’à présent, ce qui prolonge leur souffrance.
La création de commissions vérité et de mécanismes pour rechercher les disparus
Dans la province de l’Aceh (Nanggroe Aceh Darussalam), des représentants de victimes continuent de réclamer la vérité sur le sort des personnes disparues entre 1989 et 2005 et le lieu où elles se trouvent, afin qu’elles puissent être inhumées dignement. Les initiatives positives du parlement régional de l’Aceh en vue de la création d’une commission vérité dans cette province donnent un peu d’espoir. Néanmoins, il est à craindre que ces efforts ne soient bloqués au niveau du gouvernement central. Dans le même temps, l’établissement d’une commission vérité nationale demeure au point mort, étant donné que le Parlement ne considère pas comme une priorité l’élaboration d’une loi portant création de cette commission.
Au Timor-Leste, les parents des personnes disparues et les enfants timorais qui ont été séparés de leur famille attendent depuis plus de 14 ans de savoir ce qu’il est advenu de leurs proches. Bien qu’une commission vérité bilatérale entre l’Indonésie et le Timor-Leste ait recommandé que les deux pays mettent en place conjointement une Commission pour les personnes disparues, aucun progrès n’a été relevé pour le moment et la question est laissée de côté lors des réunions bilatérales.
La coopération avec les Nations unies pour résoudre les disparitions forcées
Amnesty International engage par ailleurs le Parlement indonésien à examiner et adopter de toute urgence une législation prévoyant la ratification de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, en déclarant notamment reconnaître, conformément aux articles 31 et 32 de ce texte, la compétence du Comité des disparitions forcées pour recevoir et examiner les communications présentées par des personnes ou pour leur compte.
Selon le gouvernement indonésien, un projet de loi de ratification de la Convention a été présenté au Parlement en juin 2013. Amnesty International exhorte le Parlement à traiter en priorité ce projet de loi pour 2014 lorsqu’il se réunira dans le cadre de sa prochaine session en novembre. L’adoption de cette législation devra être rapidement suivie de la ratification de la Convention, de l’incorporation de ses dispositions dans le droit national et de sa mise en œuvre totale et effective dans les textes et dans la pratique.
La disparition forcée constitue une violation grave des droits humains et un crime de droit international ; elle bafoue les droits des personnes qui en sont victimes comme ceux de leurs proches. La Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en 1992, dispose qu’une enquête « doit pouvoir être menée […] tant qu’on ne connaît pas le sort réservé à la victime d’une disparition forcée » (article 13-6). Elle précise également : « Tout acte conduisant à une disparition forcée continue d’être considéré comme un crime aussi longtemps que ses auteurs dissimulent le sort réservé à la personne disparue et le lieu où elle se trouve et que les faits n’ont pas été élucidés » (article 17-1). Les disparitions forcées peuvent en outre entraîner la violation de toute une série de droits fondamentaux, tels que le droit de ne pas être soumis à la détention arbitraire, le droit d’être reconnu en tant que personne devant la loi, le droit de ne pas être soumis à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et le droit à la vie.
D’après son rapport annuel 2012, le Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires dispose d’informations sur 162 affaires de disparition non résolues en Indonésie, tandis qu’il reste 428 cas non élucidés au Timor-Leste, qui ont eu lieu pour la plupart pendant la période d’occupation indonésienne (1975-1999).
Amnesty International prie donc instamment le gouvernement indonésien d’accepter la demande formulée en 2006 par ce Groupe de travail en vue d’effectuer une visite en Indonésie dès que possible, et de faciliter celle-ci.