Par Rupert Abbott, directeur de la recherche sur l’Asie du Sud-Est et le Pacifique au sein d’Amnesty International
L’Indonésie a fait beaucoup de chemin en matière de droits humains depuis que Suharto a quitté le pouvoir. Néanmoins, d’importants retours en arrière ont été constatés depuis dix ans, en particulier dans le domaine des libertés de religion et d’expression.
Les dix dernières années ont été marquées par une diminution de la place accordée au pluralisme religieux et les personnes affichant des convictions minoritaires dans ce domaine ont de plus en plus été victimes de menaces, de violences et d’emprisonnement.
Dans toute l’Indonésie, des églises et des mosquées ont été incendiées, des communautés entières ont été forcées de fuir en raison de leurs convictions et tout un ensemble de lois et de règlements administratifs ont été adoptés pour empêcher l’expression de croyances minoritaires.
La semaine dernière, Amnesty International a lancé
Des dizaines de personnes ont été emprisonnées au titre de ces lois pour la seule raison qu’elles avaient exprimé, de manière pacifique, leurs convictions. Certaines s’étaient simplement réclamées d’une foi « déviante », d’autres avaient commis des « crimes » tels que le fait de publier leurs opinions sur Facebook, de siffler en priant ou d’affirmer avoir eu une « révélation de Dieu ».
Les chiffres dessinent une image bien triste de la situation. Bien que les dispositions relatives au blasphème existent dans les textes depuis 1965, elles étaient rarement utilisées jusqu’à il y a une dizaine d’années et on ne comptait que 13 condamnations en près de 40 ans. Mais entre 2004 et 2014, période durant laquelle Susilo Bambang Yudhoyono, l’ancien président, était au pouvoir, Amnesty International a recensé au moins 106 personnes emprisonnées pour blasphème, les peines de prison prononcées contre elles allant jusqu’à cinq ans.
D’après nos recherches, les affaires de blasphème sont principalement coordonnées au niveau local. Des responsables locaux, la police et des groupes islamistes radicaux sont en mesure de former des ententes pour harceler des minorités religieuses, faisant des lois relatives au blasphème l’un de leurs outils.
Si la grande majorité des condamnations sont prononcées au titre de la loi de 1965 relative au blasphème, d’autres textes législatifs sont utilisés dans le même but.
Par exemple, la loi sur l’information et les échanges électroniques, qui réglemente l’utilisation d’internet, contient des dispositions relatives au blasphème qui sont souvent utilisées pour sanctionner les auteurs de publications sur les réseaux sociaux.
Le cas d’Alexander Aan, qui a reçu une couverture médiatique internationale assez importante, en est un exemple. Ce fonctionnaire de la province de Sumatra-Ouest, âgé de 30 ans, a été condamné à une amende et à deux années d’emprisonnement pour « blasphème » après avoir publié un commentaire sur une page Facebook consacrée à l’athéisme.
Avant sa condamnation, il avait dû demander la protection de la police : une foule en colère s’était rassemblée devant son lieu de travail et avait menacé de le rouer de coups – un exemple édifiant de la menace de violences populaires qui plane au-dessus de la tête des personnes accusées de blasphème.
La législation relative au blasphème va clairement à l’encontre de l’obligation faite à l’Indonésie, au titre du droit international, d’affirmer et de défendre les droits à la liberté d’expression et à la liberté de religion ou de conviction. Amnesty International considère comme des prisonniers d’opinion toutes les personnes emprisonnées pour avoir exprimé leurs convictions religieuses de manière pacifique.
Le président Joko « Jokowi » Widodo a l’occasion de s’attaquer de front à ce problème et d’inaugurer une période de respect des droits humains en Indonésie, en particulier dans le domaine des libertés de religion et d’expression.
Pour débuter, Amnesty International réclame la libération immédiate et sans condition de tous ceux qui ont été emprisonnés au titre de la législation relative au blasphème, c’est-à-dire au moins neuf personnes à l’heure actuelle.
Sur le long terme, l’une des priorités du nouveau président doit être d’abroger la loi relative au blasphème et toutes les dispositions contenues dans d’autres lois qui érigent en infraction le fait d’exprimer ses convictions. Ces textes sont tout simplement incompatibles avec les obligations qui incombent à l’Indonésie en matière de droits humains au titre du droit international, en particulier en ce qui concerne la liberté d’expression et la liberté de religion et de conviction… des droits qui sont également garantis par la Constitution indonésienne.
Nombre des signes envoyés par le nouveau gouvernement indonésien sont encourageants. Amnesty International a hâte de voir les engagements en faveur des droits humains se transformer en actes concrets.