Communiqué de presse

Irak. Depuis dix ans, les violations des droits humains restent monnaie courante

Dix ans après l’invasion du pays à l’initiative des États-Unis et la chute de Saddam Hussein, l’Irak reste enlisé dans le cercle infernal des violations des droits humains — en particulier les agressions contre des civils, la torture de détenus et les procès iniques, a écrit Amnesty International dans un nouveau rapport publié lundi 11 mars.

Le rapport A decade of abuses dévoile une décennie de torture et autres mauvais traitements infligés à des détenus par des membres des forces de sécurité irakiennes et des troupes étrangères présentes sur place depuis la fin de l’invasion de 2003.

Il met en lumière le fait que les autorités irakiennes n’ont jamais respecté l’obligation qui leur est faite de défendre les droits humains et l’État de droit dans une situation marquée par la persistance des assauts meurtriers de certains groupes armés qui font preuve d’un cruel mépris pour les vies des civils.

Selon Hassiba Hadj Sarahoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Amnesty International : « Dix ans après la fin du régime répressif de Saddam Hussein, de nombreux Irakiens bénéficient aujourd’hui de plus de libertés. Mais les changements fondamentaux qui auraient dû être réalisés en matière de droits humains au cours des dix dernières années ne l’ont pas été.

« Ni le gouvernement irakien, ni les anciennes forces d’occupation n’ont adhéré aux normes qu’ils devraient pourtant respecter au titre du droit international. Le peuple irakien continue à payer très cher cette incurie. »

La torture est omniprésente et les membres des forces de sécurité gouvernementales y ont recours en toute impunité, en particulier envers des personnes arrêtées dans le cadre d’opérations de lutte contre le terrorisme et qui sont détenues au secret en attendant leur interrogatoire.

Des détenus ont affirmé avoir subi des actes de torture visant à les obliger à « avouer » des infractions graves ou à accuser d’autres personnes pendant leur détention au secret. Beaucoup sont revenus sur leurs « aveux » lors de leurs procès mais les tribunaux ont quand même admis leurs déclarations comme preuves de leur culpabilité, sans demander d’enquête sur les affirmations selon lesquelles ils auraient été torturés, et les ont condamnés à de longues peines d’emprisonnement, voire à la peine de mort.

Les autorités ont en outre fait défiler des détenus lors de conférences de presse ou ont fait en sorte que leurs « aveux » soient diffusés sur des chaînes de télévision locales avant que le procès n’ait lieu ou avant le rendu du jugement, ce qui représente une atteinte flagrante à la présomption d’innocence et au droit de tout accusé à un procès équitable.

La peine de mort a été suspendue juste après l’invasion de 2003 mais a été rapidement rétablie avec l’arrivée au pouvoir du premier gouvernement irakien. Les exécutions ont repris en 2005.

Depuis lors, au moins 447 prisonniers ont été exécutés, y compris Saddam Hussein, certains membres de son entourage proche et, semble-t-il, des membres de groupes armés.

Des centaines de condamnés à mort attendent d’être exécutés. L’Irak, où 129 détenus ont été pendus en 2012, est dans le peloton de tête des pays qui pratiquent des exécutions.

« Le nombre de condamnations à mort et d’exécutions est horriblement élevé », a expliqué Hadj Sahraoui. « Il est particulièrement odieux de condamner des détenus à la peine capitale à l’issue de procès iniques et sur la base d’aveux qu’ils affirment avoir été arrachés sous la torture.

« Il est grand temps que les autorités irakiennes mettent un terme à la situation terrible dans laquelle s’enlise le pays et promulguent un moratoire sur les exécutions, premier pas en direction de l’abolition totale de la peine de mort. »

Depuis décembre, des milliers de manifestants sont descendus dans la rue, dans les régions où la majorité de la population se réclame de l’Islam sunnite, pour protester contre les détentions arbitraires, les violations des droits des détenus et le recours à la législation antiterroriste, et pour réclamer la fin de ce qu’ils considèrent comme une discrimination du gouvernement envers la population sunnite.

Simultanément, des groupes armés sunnites continuent d’attaquer non seulement des objectifs symbolisant le gouvernement mais aussi des civils chiites, y compris des pèlerins.

Bien que la région semi-autonome du Kurdistan, dans le nord-est de l’Irak, ait été épargnée part la violence qui s’est répandue dans le reste du pays, les deux partis politiques kurdes à la tête de cette région gardent la haute main sur le pouvoir et des violations des droits des détenus ont été signalées.

« La chute de Saddam Hussein en 2003 aurait pu être l’occasion d’une réforme particulièrement nécessaire des droits humains. Mais pratiquement dès le début, les forces d’occupation ont torturé des prisonniers ou se sont rendues coupables d’autres violations graves de leurs droits fondamentaux, comme dans le cas du scandale d’Abu Grahib, qui impliquait des éléments de l’armée américaine, ou lorsque Baha Moussa a été battu à mort alors qu’il était détenu par des soldats britanniques à Bassora », a souligné Hadj Sahraoui.

Au Royaume-Uni comme aux USA, à l’exception de certains cas individuels, les fréquentes violations des droits humains commises par les troupes de ces pays n’ont pas fait l’objet d’enquêtes systématiques et les responsables de ces actes à tous les niveaux n’ont pas été tenus de rendre des comptes. Les Irakiens dont les droits ont été bafoués par l’armée américaine se sont aussi vus interdire toute voie de recours devant des tribunaux aux États-Unis.

Les autorités irakiennes ont parfois accepté de reconnaître que des personnes avaient subi des actes de torture ou d’autres mauvais traitements mais ont généralement soutenu qu’il s’agissait de cas isolés. Elles ont bien annoncé l’ouverture d’enquêtes dans certaines affaires très médiatisées mais les résultats, s’ils ont été collectés, n’ont jamais été rendus publics.

Pourtant, comme le montre le rapport d’Amnesty International, la torture et d’autres formes de violations des droits des détenus sont toujours l’un des principaux aspects du tableau des droits humains dans ce pays, dont le gouvernement ne semble pas très désireux ni de reconnaître que ces violations sont devenues monnaie courante ni de prendre les mesures qui s’imposent, pour faire en sorte que de tels agissements ne soient plus qu’un souvenir.

Parmi les méthodes de torture qu’ils ont signalées, les détenus ont cité les chocs électriques infligés au niveau des parties génitales ou ailleurs sur le corps ; la suffocation partielle, provoquée en recouvrant la tête d’un sac ; des coups répétés tandis que la personne est suspendue dans des positions inconfortables ; la privation de nourriture, d’eau et de sommeil ; les menaces de viol ou les menaces visant les femmes de la famille des détenus, qui seraient arrêtées et violées. Les femmes placées en détention sont particulièrement vulnérables et le rapport cite plusieurs cas de femmes affirmant avoir été victimes d’agressions sexuelles au cours de leur détention.

« L’Irak devrait avoir depuis longtemps brisé le cercle vicieux des actes de torture et de l’impunité. Ce n’est pas le cas », a déploré Hadj Sahraoui. « Il est grand temps que les autorités irakiennes prennent les mesures concrètes pour ancrer au sein de la société la protection des droits humains, et cela sans plus attendre. »

Quelques précisions sur ce rapport :

Le rapport d’Amnesty International s’appuie sur des informations provenant de diverses sources, notamment d’entretiens avec des détenus, des familles de victimes, des réfugiés, des avocats, des militants des droits humains et autres, ainsi que des attendus de jugement et autres documents officiels. Certaines informations ont été collectées sur place, dans la région du Kurdistan irakien, ainsi que lors d’un déplacement à Bagdad en septembre 2012, quand l’organisation a été reçue par des responsables du ministère des Droits humains et du Conseil judiciaire suprême Amnesty International a fait parvenir ses dernières conclusions au gouvernement irakien en décembre 2012 mais n’a encore reçu aucune réponse.

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