Irak. La situation des réfugiés s’aggrave


Synthèse destinée aux médias

MDE 14/021/2007

Amnesty International se félicite de l’initiative du haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés, qui a décidé d’organiser les 17 et 18 avril, à Genève, une conférence internationale sur les besoins humanitaires des réfugiés et des personnes déplacées en Irak et dans les pays proches. Le conflit qui sévit actuellement en Irak a entraîné le déplacement à l’intérieur du pays de quelque 1 500 000 personnes et contraint quelque 2 000 000 autres à se réfugier à l’étranger. Face à cette situation, on pourrait assister à une crise humanitaire non seulement en Irak, mais également en Syrie et en Jordanie, deux pays voisins qui ont du mal à relever les défis que pose l’arrivée massive sur leur territoire de réfugiés irakiens. Cette conférence réunira les représentants de nombreux gouvernements, directement affectés par la crise, comme ceux d’Irak, de Jordanie et de Syrie, ainsi que de l’Union européenne et des États-Unis. Plusieurs organisations non gouvernementales (ONG), dont Amnesty International, y assisteront également.

Amnesty International considère que la communauté internationale a là l’occasion de définir des mesures concrètes en faveur des réfugiés et des personnes déplacées en Irak. Ces mesures devraient notamment permettre d’assurer la protection de tous les réfugiés originaires d’Irak et d’apporter un soutien financier, technique et en nature aux gouvernements jordanien, irakien et syrien, ainsi qu’au Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et aux organisations humanitaires nationales et internationales, afin que les Irakiens réfugiés en Jordanie et en Syrie puissent bénéficier des services les plus élémentaires, notamment dans le domaine de la santé et de l’enseignement.

Depuis plus d’un an, des centaines de milliers d’Irakiens ont été contraints de se réfugier dans les pays voisins, pour fuir les violences, sectaires ou autres, qui continuent de déchirer l’Irak et qui se sont intensifiées depuis l’attaque menée par des militants armés contre le sanctuaire chiite de Samarra, en février 2006. La plupart des réfugiés se trouvent en Syrie ou en Jordanie. Leur présence pèse sur les ressources, économiques et autres, de ces deux pays, et suscite apparemment une hostilité croissante de la part de la population locale, du moins en Jordanie. Parallèlement, environ 1 500 000 personnes sont actuellement déplacées à l’intérieur des frontières irakiennes.

Trois délégués d’Amnesty International se sont rendus en mission de recherche en Jordanie, du 3 au 14 mars 2007, afin d’étudier la situation des réfugiés irakiens dans ce pays. Ils ont pu rencontrer de nombreux ressortissants irakiens, dont des demandeurs d’asile, des représentants d’ONG nationales et internationales et des responsables gouvernementaux jordaniens, appartenant notamment aux ministères des Affaires étrangères, de l’Intérieur et de l’Éducation. Il est apparu clairement que les autorités jordaniennes et nombre de groupes non gouvernementaux locaux ou internationaux faisaient tout leur possible pour satisfaire les besoins des réfugiés, mais qu’ils ne parvenaient pas, malgré leurs efforts, à faire face à l’afflux continu de réfugiés, un mouvement qui devrait se poursuivre, étant donné la situation dramatique qui prévaut toujours en Irak.

La foule des Irakiens qui quittent leur pays ne cesse de croître. Il n’existe pas de statistiques officielles publiées concernant le nombre d’Irakiens vivant en Jordanie. Le HCR parle de 750 000 à un million de personnes. À la mi-février 2007, le gouvernement jordanien a annoncé son intention de recenser les Irakiens vivant en Jordanie, avec ou sans papiers. Cette opération devrait se dérouler avec le concours de l’Institute for Applied International Studies (FAFO), organisme dont le siège se trouve en Norvège.

Aux termes de la législation en vigueur au mois de mars 2007, les ressortissants irakiens souhaitant se rendre en Jordanie pouvaient le faire sans visa. Les délégués d’Amnesty International ont été informés par des représentants des ministères jordaniens des Affaires étrangères et de l’Intérieur que le gouvernement examinait actuellement la possibilité d’instaurer un visa obligatoire pour les citoyens irakiens. Le gouvernement d’Amman a cependant démenti publiquement les informations parues dans la presse, selon lesquelles un tel visa allait très prochainement devenir obligatoire.

En 1998, la Jordanie et le HCR ont signé un protocole d’accord permettant à ce dernier d’assurer l’examen des demandes d’asile. Aux termes de cet accord, le HCR doit procéder à la réinstallation des personnes reconnues comme réfugiées dans les six mois suivant l’obtention de ce statut. En fait, un certain nombre de personnes ayant quitté l’Irak sous le régime de Saddam Hussein et ayant obtenu le statut de réfugié il y a sept ou huit ans attendent toujours d’être réinstallées. Des responsables jordaniens ont indiqué à Amnesty International que, fin 2006, 22 000 personnes avaient été enregistrées par le HCR, qu’elles étaient dans leur immense majorité de nationalité irakienne et que 1 200 personnes, dont environ 700 Irakiens, ayant obtenu le statut de réfugié attendaient d’être réinstallées dans des pays tiers.

Plusieurs Irakiens interrogés en Jordanie en mars 2007 par les délégués d’Amnesty International ont affirmé qu’un certain nombre de leurs compatriotes, essentiellement des personnes qui n’avaient pas été enregistrées par le HCR, avaient été renvoyés de force en Irak. Un groupe de six ou sept chiites irakiens originaires de la ville de Samawa aurait par exemple été refoulé vers l’Irak, au poste frontière de Treibeel, en décembre 2006. Leur véhicule aurait ensuite été arrêté près de la ville irakienne de Ar Ramadi par des insurgés, qui les auraient décapités tous, sauf un. Le seul rescapé aurait eu la vie sauve parce qu’il aurait réussi à faire croire à ses agresseurs qu’il était originaire d’Al Adhamiya, un quartier sunnite de Bagdad.

Des représentants du ministère jordanien de l’Intérieur ont indiqué à Amnesty International que, en cas d’arrestation par la police, les personnes dont le visa avait expiré étaient placées en détention et priées de quitter le pays. Elles avaient la possibilité de choisir l’État vers lequel elles étaient expulsées. Les mêmes fonctionnaires ont précisé qu’aucun Irakien dont on pouvait penser qu’il risquait d’être victime d’atteintes graves à ses droits fondamentaux en Irak n’avait été rapatrié de force depuis la Jordanie.

Amnesty International a cependant appris de la bouche d’Irakiens récemment arrivés en Jordanie via l’aéroport de Amman que la plupart des passagers de nationalité irakienne qui se trouvaient avec eux, à bord de vols reliant Bagdad à la capitale jordanienne, auraient en fait été refoulés par les autorités jordaniennes, alors même qu’ils étaient apparemment en possession de documents en règle. Amnesty International n’a pas pu obtenir de noms ou de précisions concernant les personnes qui auraient été refoulées. Elle n’a pas pu non plus établir ce qu’il était advenu d’elles à leur retour supposé en Irak. Il est cependant à craindre qu’un certain nombre de ces personnes aient cherché à quitter leur pays en raison de craintes justifiées pour leur sécurité et que leur refoulement ne les ait placées dans une situation où elles risquaient fort d’être victimes d’exactions ou d’abus, entre autres aux mains de groupes armés. Si ces craintes s’avéraient fondées, le renvoi forcé de ces personnes dans leur pays constituerait de la part de la Jordanie un cas grave de non-respect des obligations qui sont les siennes au regard de la législation internationale relative aux droits humains, et plus particulièrement une atteinte au principe du non-refoulement.

La plupart des Irakiens présents en Jordanie sont en situation irrégulière. Amnesty International a appris que de nombreux ressortissants irakiens sont arrêtés par la police et les forces de sécurité jordaniennes pour avoir prolongé leur séjour au-delà de la durée autorisée, voire, dans certains cas, pour travail clandestin. Les personnes ainsi arrêtées sont souvent renvoyées de force en Irak, la plupart du temps par voie terrestre, une solution particulièrement dangereuse, qui les met en danger.

Les Irakiens présents en Jordanie n’ont pas libre accès aux services d’enseignement et de santé. Les élèves et étudiants étrangers ont le droit de suivre les cours des établissements publics et privés, à condition d’avoir le statut de résident. Les Irakiens sont toutefois partiellement exemptés de cette obligation : en effet, s’il est interdit à un jeune Irakien non résident de s’inscrire dans le public, il peut le faire dans le privé. Il y avait en septembre 2006 environ 40 000 élèves étrangers dans le système d’enseignement primaire et secondaire jordanien, sur 1 600 000 enfants et adolescents fréquentant les établissements publics et privés du pays. Les Irakiens représentaient près du quart des élèves étrangers, avec 7 203 inscrits dans le privé et 2 662 inscrits dans le public. Dans leur immense majorité, les familles irakiennes réfugiées en Jordanie ne peuvent pas envoyer leurs enfants à l’école, car elles n’ont pas les moyens de payer la scolarité dans un établissement privé. Comme elles ne jouissent pas du statut de résident, elles ne peuvent pas non plus les inscrire dans le public. Il en résulte que toute une génération de jeunes Irakiens se voit aujourd’hui privée du droit fondamental de la personne humaine qu’est le droit à l’éducation.

Il existe à Amman deux hôpitaux publics et une vingtaine de cliniques privées. Seules les personnes ayant le statut de résident peuvent être prises en charge par les hôpitaux publics. Amnesty International a cependant été informée que les ressortissants irakiens avaient accès aux services de soins d’urgence, quel que soit leur statut au regard de la loi.

Il existe également des centres de santé, qui dispensent des soins gratuitement ou pour à un prix très modique. L’association Caritas propose des soins de santé aux Irakiens enregistrés par le HCR, notamment aux personnes bénéficiant du statut de réfugié, en attente de réinstallation. D’autres ONG, comme le Croissant rouge jordanien ou Care International, apportent une aide aux Irakiens présents en Jordanie.

Lors de leurs discussions avec les délégués d’Amnesty International, des responsables jordaniens se sont dits préoccupés par la présence dans leur pays d’un aussi grand nombre d’Irakiens – présence qui pourrait, selon eux, avoir des répercussions graves et déstabilisatrices. Ces responsables craignaient en particulier que les violences sectaires entre sunnites et chiites irakiens ne fassent tache d’huile et ne gagnent la Jordanie. Ils ont également indiqué que les autorités jordaniennes ne souhaitaient pas que les réfugiés irakiens s’installent durablement en Jordanie, soulignant que tout devait être mis en œuvre pour que soit trouvée en Irak une solution politique permettant aux réfugiés de rentrer chez eux. Ils se sont dits favorables à la mise en place de « sanctuaires » en territoire irakien, pour éviter que davantage de personnes ne soient tentées d’aller se réfugier dans les pays voisins. Il s’agit là d’une proposition à laquelle Amnesty International est fermement opposée. La création de tels « sanctuaires » entraînerait presque immanquablement des violations massives du principe de non-refoulement. En tout état de cause, elle n’est pas matériellement envisageable dans un pays en proie à de graves violences, comme l’Irak. Les autorités jordaniennes sont en outre hostiles à toute intégration des Irakiens en Jordanie. Pour toutes ces raisons, elles rejettent manifestement toute action susceptible d’encourager une présence durable de ressortissants irakiens en Jordanie. Amnesty International a néanmoins relevé un certain nombre de signes, donnant à penser que la Jordanie pourrait accepter une assistance internationale, sous certaines conditions (octroi d’une aide économique plus générale à la Jordanie, par exemple).

Amnesty International appelle la communauté internationale, et notamment les États-Unis, l’Union européenne et tous les États qui en ont les moyens, à assumer sa part de responsabilité, en participant à la réinstallation des Irakiens présents en Jordanie et en Syrie, en donnant la priorité aux plus vulnérables, conformément aux principes directeurs du HCR concernant la réinstallation des réfugiés irakiens. Ces programmes de réinstallation ne doivent pas être de simples mesures symboliques, ne bénéficiant qu’à un petit nombre d’élus, et doivent concourir de manière significative à la résolution de la crise actuelle. En outre, les pays cités plus haut, comme les autres d’ailleurs, doivent s’abstenir de renvoyer de force les demandeurs d’asile irakiens déboutés où que ce soit dans leur pays, en raison de la violence endémique qui y règne.

Ces pays doivent également apporter une assistance financière, technique et en nature aux gouvernements jordanien, irakien et syrien, ainsi qu’au HCR et aux organisations humanitaires nationales et internationales, afin que les Irakiens réfugiés en Jordanie et en Syrie puissent bénéficier des services les plus élémentaires, notamment dans le domaine de la santé et de l’enseignement. Cette assistance doit être large et profiter aussi bien aux Jordaniens et aux Syriens qu’aux populations irakiennes, pour éviter que les habitants des pays d’accueil que sont la Jordanie et la Syrie ne se sentent lésés.

Tout en reconnaissant que la présence en Syrie et en Jordanie de près de 2 000 000 d’Irakiens pèse lourdement sur les ressources de ces pays, Amnesty International prie instamment les gouvernements de Amman et de Damas de mettre fin aux expulsions d’Irakiens vers l’Irak, y compris des personnes n’ayant pas été enregistrées par le HCR, de laisser ouvertes leurs frontières avec l’Irak et de ne pas rejeter les habitants de ce pays qui cherchent à échapper à la violence qui y règne.

Lors de la conférence annoncée, la Jordanie et la Syrie doivent définir clairement les besoins qui sont les leurs face à la crise actuelle et en faire part à la communauté internationale, en particulier aux États-Unis, au Royaume-Uni, à l’Union européenne et à tous les autres États susceptibles de répondre à ces besoins. Le gouvernement jordanien doit en outre publier dès que possible les résultats du recensement des ressortissants irakiens présents sur son territoire, récemment entrepris avec le concours d’une organisation basée en Norvège.

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