IRAK : « Nous voulons simplement connaître la vérité et traduire en justice ceux qui nous ont causés tant de souffrances. »

Index AI : MDE 14/119/2003

Vendredi 16 mai 2003

Plusieurs semaines se sont écoulées depuis la fin du conflit. Les gens continuent de creuser à la recherche de leurs proches. Les horreurs du passé commencent à refaire surface, sous forme de charniers qui sont encore mis à jour dans tout le pays. Très récemment, dans la ville d’al Mahawil, près d’al Hilla, les Irakiens ont exhumé quelque 3 000 corps d’un site où près de 15 000 « disparus » auraient été enterrés. On croit savoir que tous ont été arrêtés et sommairement exécutés au lendemain du soulèvement de 1991.

Depuis de nombreuses années, Amnesty International recueille des données sur ces personnes qui ont « disparu » en Irak, au gré d’informations qu’elle reçoit et d’entretiens menés auprès des proches notamment. Il n’est pas rare que ces informations concernent des gens arrêtés il y a très longtemps, en 1980. Cependant, pour la toute première fois, l’organisation a pu s’entretenir en Irak même avec des victimes et des membres de leurs familles afin de recueillir leurs témoignages, ce qui était impensable sous le précédent gouvernement. Depuis le 23 avril, les délégués d’Amnesty International ont organisé de nombreux entretiens avec des victimes dont les droits humains avaient été bafoués par le gouvernement de Saddam Hussein. Ils se sont aussi rendus sur des sites de charniers dans la région de Bassora. Voici une synthèse de quelques-uns des témoignages recueillis :

Au cours d’une visite dans le quartier al Haritha, à Bassora, les délégués ont rencontré deux sœurs, Yosra et Hadhan, dont le frère, Shaker, avait été exécuté en 1980 - il était soupçonné d’appartenir au groupe islamiste interdit Al Daawa al Islami (l’Action islamique). Si bien que six autres frères, dont le cadet âgé de treize ans, s’étaient réfugiés dans la clandestinité. En 1990, un septième frère, Ayad, a été interpellé. À ce jour, les sept frères sont toujours portés disparus.

Yosra et Hadhan ont été arrêtées en juillet 1986, ainsi que leur père et que dix autres personnes, après qu’un homme, qui s’est plus tard révélé être un agent des services de renseignements, ait rendu visite à la famille pour lui proposer de faire sortir clandestinement les six frères d’Irak. Les deux sœurs ont été détenues pendant onze jours à Bassora, avant d’être transférées à la Sûreté générale à Bagdad, où elles sont restées six mois. Au cours de leur détention, Yosra et Hadhan ont été insultées, soumises à la falaqa (coups assenés sur la plante des pieds), menacées de recevoir des décharges électriques et d’être exécutées, et n’ont pas bénéficié de soins médicaux. Yosra a témoigné : « Au cours des interrogatoires, c’était très dur à supporter, chaque seconde semblait durer des mois, nous n’oublierons jamais. » Hadhan a été frappée sur les épaules et elle en porte encore les marques. Ceux qui procédaient à leur interrogatoire, tous des hommes, cherchaient à obtenir des informations sur l’un des frères, Emad. Une autre femme interpellée avec elles, Safia, a été contrainte de se dévêtir au cours de son interrogatoire. Condamnée à mort, elle a été exécutée neuf mois plus tard.

Yosra et Hadhan ont été amenées devant un juge et inculpées de « protection d’un membre d’une organisation illicite », à savoir Safia. Elles ont pu bénéficier des services d’un avocat. Au terme d’un procès qui a duré deux heures, elles ont été condamnées respectivement à vingt et quinze ans d’emprisonnement. Elles n’ont pas été autorisées à faire appel. Après le procès, les deux sœurs ont été transférées à la prison pour femmes d’Al Rashad, dans le quartier d’al Thawra à Bagdad. Elles ont été maintenues en détention au secret pendant deux années avant d’être autorisées à recevoir des visites de leur famille. Yosra et Hadhan ont été libérées en 1991, à la suite d’une amnistie présidentielle. Toutes deux souffrent de problèmes de vue depuis leur séjour derrière les barreaux.

Amnesty International a également rencontré la famille Taleb et s’est entretenue plus particulièrement de quatre de leurs enfants : Hayder, Monaf, Haifa (fille) et Hana (fille). Hayder et Monaf ont été arrêtés en 1979, alors qu’ils priaient dans une mosquée ; Haifa a été interpellée sur le chemin de l’école et Hana à l’école le 3 octobre 1980, semble-t-il à cause de leurs pratiques religieuses (prier et porter le voile islamique, le Hijab). On ignore toujours ce qu’il est advenu de Hayder, Monaf, Haifa et Hana. Le reste de la famille, notamment le père, la mère, un garçon d’un an, Abbas, et deux autres frères, ont également été arrêtés ce même jour. L’un d’entre eux, Baqir, a été torturé et Abbas a été frappé sous les yeux de son père. Abbas et sa mère ont été remis en liberté un an et demi plus tard ; les autres ont été maintenus en détention pendant encore sept ans. La famille n’espère plus retrouver vivants ses enfants portés disparus, mais a déclaré : « Nous voulons simplement connaître la vérité et traduire en justice ceux qui nous ont causés tant de souffrances. »

Dans une autre affaire, Mahdi Ghadhban al Tai recherche toujours ses trois fils, Asad, Adnan et Mortadha, tous trois collégiens. Ils sont portés disparus depuis 1992. Mortadha a été interpellé à l’endroit où il travaillait le soir, Adnan a été arrêté à l’école et Asad chez lui. Mahdi a confié à Amnesty International : « J’étais un homme riche, j’ai tout vendu pour tenter de retrouver mes fils. Qu’ils prennent tout, qu’ils me rendent simplement mes fils. » Cet homme avait besoin d’argent pour acheter des informations concernant ses fils.

Dans le quartier al Andalous de Bassora, l’équipe d’Amnesty International a été conduite sur un site où les restes de sept personnes, qui auraient « disparu » en 1991, venaient d’être découverts. Les délégués n’ont pas vu les corps, mais un journaliste étranger a confirmé que des dépouilles avaient été exhumées.

La délégation d’Amnesty International s’est rendue dans Arabian Gulf Street à Bassora, où selon certaines sources quelque 33 personnes ont été alignées contre un mur et exécutées, avant d’être enterrées sur place. Amnesty International s’est entretenue avec Salah, témoin des exécutions. Les familles ont emmené les corps de leurs proches, tandis que les chiens prenaient les autres pour proie.

Depuis la chute du régime de Saddam Hussein, les Irakiens recherchent les « prisons secrètes » : on dit qu’il en existe dans tout le pays et que des milliers de « disparus » y sont détenus. En plusieurs lieux, des gens auraient entendu des voix provenant du sous-sol. À al Haritha, les délégués d’Amnesty International ont pu voir, affichée près d’une mosquée, une liste de prisons souterraines.

Sur le site de la Société pétrolière irakienne, près de l’université de Bassora, Amnesty International a rencontré une personne qui a affirmé avoir assisté à l’exécution de 20 à 25 hommes et de 10 femmes dans l’enceinte de l’usine, en 1991. Les corps avaient été inhumés aux alentours.

À Umm al Broom Square, au centre de Bassora, les délégués d’Amnesty International ont eu entre les mains la copie d’un document publié par le tribunal révolutionnaire, sur lequel figuraient 141 noms de détenus. Une autre liste regroupait 84 noms de personnes exécutées entre 1982 et 1984.

Enfin, la délégation d’Amnesty International s’est rendue sur un terrain vague, où un charnier a été découvert, à al Fadhlia, près d’Abu al Khasib. Parmi la foule qui creusait, deux personnes ont reconnu les vêtements de leur père et éclaté en sanglots, dans une ambiance mêlée d’angoisse et de chagrin. Il semble que ce charnier contienne des centaines de corps. On croit savoir que les victimes ont été exécutées dans le cadre du soulèvement de 1991. Selon les témoignages des habitants du quartier, ces personnes ont été mises à mort sur place ou amenées dans des camions et jetées dans les fosses.

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