Les preuves recueillies auprès de témoins et les vidéos géolocalisées qui ont été vérifiées indiquent que le 28 octobre, sur le rond-point Tarbiya, les forces de sécurité et la police antiémeute irakiennes ont ouvert le feu à balles réelles et tiré des gaz lacrymogènes sur des manifestants pacifiques qui avaient organisé un sit-in, qu’ils ont aussi pourchassés. Des témoins ont également indiqué que les forces de sécurité ont essayé de les renverser avec leurs véhicules.
« Des scènes d’horreur se sont produites à Karbala hier soir, quand les forces de sécurité irakiennes ont tiré à balles réelles sur des manifestants pacifiques et utilisé, de façon impitoyable et tout à fait illégale, une force excessive et souvent meurtrière pour les disperser. Ces scènes sont d’autant plus choquantes que les autorités irakiennes avaient assuré que les actes d’extrême violence commis contre des manifestants lors des mouvements de protestation au début du mois ne se reproduiraient pas, a déclaré Lynn Maalouf, directrice de la recherche sur le Moyen-Orient à Amnesty International.
« Aux termes du droit international, les forces de sécurité doivent s’abstenir d’utiliser des armes à feu à moins d’être confrontées à une menace imminente de mort ou de blessure grave et de ne pouvoir utiliser aucun autre moyen. Les récits de témoins indiquent clairement que tel n’était pas le cas. Les autorités irakiennes doivent immédiatement réfréner les forces de sécurité pour empêcher d’autres bains de sang. »
Une deuxième vague de manifestations a eu lieu le 24 octobre à Bagdad et dans d’autres gouvernorats à travers l’Irak, notamment à Diwaniya, Thi Qar, Bassora, Karbala, Najaf, Maysan et Babel. Selon la Haute commission indépendante irakienne des droits de l’homme, 77 manifestants ont été tués et 3 654 blessés lors de cette dernière série de manifestations.
Un témoin qui a assisté aux manifestations à Karbala hier soir a dit à Amnesty International que les forces de sécurité avaient essayé de chasser les manifestants en utilisant des gaz lacrymogènes et à coups de matraque les jours précédents, mais que les violences commises hier soir étaient bien pires.
« Les forces de sécurité ont ouvert le feu sur des manifestants qu’elles pourchassaient. Un véhicule 4×4 noir s’est dirigé vers le rond-point et a essayé de renverser des manifestants. C’était l’horreur totale. Il y avait des femmes et des enfants. Les enfants hurlaient. Les forces de sécurité ont dispersé tous les gens et ont commencé à les prendre en chasse dans les rues adjacentes », a-t-il expliqué.
Un médecin de l’hôpital al Hussein de Karbala interrogé par Amnesty International a dit que les manifestants qui sont arrivés aux urgences hier soir présentaient des blessures par balle et causées par des éclats de métal aux jambes, à l’abdomen, aux yeux et à la tête. Le médecin a ajouté avoir aussi examiné plusieurs manifestants blessés à cause des coups qu’ils avaient reçus au cours des jours précédents, et que le 27 octobre, des membres des forces de sécurité en civil étaient venus à l’hôpital et avaient arrêté une cinquantaine de personnes soupçonnées d’avoir participé aux manifestations.
« Ils ont arrêté de nombreuses personnes à l’hôpital […] Ils ont même emmené des enfants. L’un des manifestants qu’ils ont emmenés était âgé de 14 ans », a indiqué le médecin.
Un autre témoin a dit à Amnesty International qu’au début, des militaires avaient oralement prévenu les manifestants qu’ils ne devaient pas franchir le seuil des bâtiments du gouvernement proches du rond-point où les protestataires étaient rassemblés depuis le 24 octobre. Certains manifestants n’ont pas tenu compte de cet avertissement et se sont approchés de ce secteur, mais ils ont été repoussés par des tirs de gaz lacrymogènes et de grenades assourdissantes.
« Ils ont utilisé beaucoup de gaz lacrymogènes. Même les soldats suffoquaient et ils ont commencé à partir. Quand l’armée s’est retirée, les manifestants ont commencé à brûler des pneus et des ordures », a-t-il raconté, ajoutant que des manifestants se sont aussi mis à jeter des pierres.
« Vers 20 heures, ils ont commencé à tirer à balles réelles pour nous disperser. Au début, c’était un peu, et puis ça a pris de l’ampleur », a-t-il ajouté.
Le témoin a dit que vers 23 heures, des véhicules de la police antiémeute ont commencé à foncer sur des manifestants pacifiques, essayant de les renverser. Il a expliqué que la méthode consistant à utiliser les véhicules pour renverser les manifestants avait aussi été utilisée lors des manifestations qui ont eu lieu pendant le week-end.
Un autre manifestant encore a dit qu’il participait à une manifestation essentiellement pacifique quand il a entendu des coups de feu venant du secteur proche des bâtiments du gouvernement. Il a raconté que des membres des forces de sécurité vêtus de noir chassaient les manifestants.
« On a vu entre sept et 10 véhicules foncer sur nous, et les hommes qui se trouvaient à bord tiraient en l’air pour effrayer les gens. Nous avons tous commencé à nous retirer [...] des manifestants et des soldats étaient blessés. Les autres forces se sont mises à attraper des gens et à les frapper, même les jeunes garçons. Ils les ont frappés sauvagement. Ils m’ont attrapé et m’ont frappé à la tête […] Les tirs à balles réelles étaient incessants. C’était l’horreur totale. Il y avait parmi les manifestants des enfants dont certains n’avaient que 12 ans. »
Un manifestant arrêté à Karbala le 28 octobre a décrit les terribles conditions de détention dans le poste de la police anticriminalité, dans des bâtiments du gouvernement.
« Il y avait du sang partout sur les murs. Il y avait des jeunes garçons âgés de moins de 18 ans. Nous avons entendu des cris qui venaient d’une autre pièce », a-t-il dit, ajoutant qu’il a vu au moins un enfant saigner abondamment de la bouche parce qu’il avait reçu un coup de pied au visage, et un jeune homme avec des blessures similaires qui a été privé de soins médicaux.
« Les forces irakiennes doivent ordonner qu’une enquête indépendante et impartiale soit menée sur les événements de la nuit dernière à Karbala, et veiller à ce que tous les responsables présumés répondent de leurs agissements », a déclaré Lynn Maalouf.
Amnesty International demande également aux autorités irakiennes de mettre fin aux arrestations arbitraires, et de lever les couvre-feux imposés dans plusieurs régions du pays, y compris à Karbala.