Iran - Arabie Saoudite : Stop aux condamnations à mort de mineurs !

Ce mardi 26 janvier, en marge de la sortie d’un nouveau rapport consacré à la condamnation à mort en Iran de personnes pour des crimes commis lorsqu’ils étaient mineurs, des jeunes militants d’Amnesty International ont tendu entre les ambassades d’Iran et d’Arabie saoudite une corde symbolisant la peine capitale pour dénoncer le recours aux exécutions dans les deux pays.

« La Convention relative aux droits de l’enfant, que l’Iran et l’Arabie saoudite ont ratifiée, est claire : la peine de mort ne peut être prononcée pour des infractions commises par des individus mineurs. Malgré cela, ces deux pays continuent de condamner à la peine capitale des jeunes qui n’étaient pas majeurs au moment des faits pour lesquels ils sont jugés », explique Philippe Hensmans, directeur de la section belge francophone d’Amnesty International. « L’Iran détient le record mondial dans ce domaine. Quant à l’Arabie saoudite, outre le fait qu’elle est l’un des pays qui exécutent le plus de prisonniers au monde, elle n’hésite pas à avoir recours à la peine de mort pour faire taire les jeunes activistes, comme Ali Al-Nimr, condamné à être décapité et crucifié pour avoir participé à une manifestation anti-gouvernementale ».

A l’occasion de cette manifestation, Amnesty International a déposé aux deux ambassades des pétitions en faveur d’inculpés, mineurs au moment des faits qui leur sont reprochés. Les premières, adressées aux autorités saoudiennes, avaient été lancées en faveur d’Ali Mohammed Baqir al Nimr, Dawood Hussein al Marhoon et Abdullah Hasan al Zaher ; les secondes, visant les autorités iraniennes, avaient elles été initiées en faveur de Saman Naseem et de Sajad Sanjari, Hamid Ahmadi et Salar Shadizadi. Ces pétitions ont en tout récolté près de 60 000 signatures en Belgique (30 000 à destination de l’Arabie saoudite et 30 000 à l’attention de l’Iran).

Le rapport, intitulé Growing up on death row : The death penalty and juvenile offenders in Iran, dénonce les tentatives récentes des autorités iraniennes visant à étouffer des violations persistantes des droits des mineurs, et à détourner l’attention du fait que l’Iran soit l’un des dernier pays au monde à exécuter des personnes qui étaient mineures au moment des faits qui leur sont reprochés.

Ce document révèle que l’Iran continue à envoyer des jeunes gens au gibet tout en présentant comme des avancées majeures des réformes fragmentaires qui n’abolissent pas le recours à la peine de mort contre cette catégorie d’accusés.

« Malgré quelques réformes sur le terrain de la justice pour mineurs, l’Iran reste loin derrière le reste du monde, conservant des lois permettant que des mineurs soient condamnés à mort - à partir de neuf ans pour les filles et de 15 ans pour les garçons. », a déclaré Said Boumedouha, directeur adjoint du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

Ces dernières années, les autorités iraniennes se sont félicitées de certaines modifications apportées au Code pénal islamique en 2013 afin de remplacer la peine de mort par un autre châtiment s’appuyant sur une évaluation de la maturité psychologique des accusés au moment de leur crime présumé. Ces mesures sont pourtant loin d’être réjouissantes. Dans les faits, elles mettent à nu les manquements systématiques de l’Iran à un engagement pris il y a deux décennies, lorsqu’il a ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE), concernant l’abolition du recours à la peine de mort contre les personnes qui étaient mineures au moment de leur crime présumé.

En sa qualité d’État partie à la CDE, l’Iran est légalement tenu de traiter toute personne ayant moins de 18 ans comme un mineur, et de s’assurer qu’aucun individu ne soit jamais condamné à mort ou à la réclusion à perpétuité sans possibilité de libération pour un crime commis alors qu’il était mineur.

Le rapport d’Amnesty International indique cependant qu’au moins 73 condamnés de ce type ont été exécutés entre 2005 et 2015. Selon les Nations unies, au moins 160 personnes qui étaient mineures au moment des faits qu’on leur reproche se trouvent actuellement dans le quartier des condamnés à mort. Ce chiffre est sans doute bien en-deçà de la réalité, car les informations relatives au recours à la peine de mort en Iran sont souvent entourées de secret.

Amnesty International a pu retrouver le nom et le lieu de détention de 49 jeunes gens se trouvant sous le coup d’une condamnation à la peine capitale, informations qu’il livre dans son rapport. Il a été établi que beaucoup d’entre eux avaient déjà passé environ sept ans en moyenne dans le quartier des condamnés à mort. Dans quelques cas recensés par Amnesty International, certains s’y trouvaient depuis plus de dix ans.

« Le rapport dresse un tableau alarmant de la situation de personnes ayant commis des infractions quand elles étaient mineures, languissant désormais dans le quartier des condamnés à mort, privées d’années précieuses de leur vie - souvent après avoir été condamnées à l’issue de procès iniques, notamment sur la base d’aveux forcés, arrachés sous la torture et d’autres formes de mauvais traitements  », a déclaré Said Boumedouha.

Dans plusieurs cas, les autorités ont programmé l’exécution de certains de ces condamnés, avant de la reporter au dernier moment, exacerbant la profonde angoisse que ressentent déjà les détenus du quartier des condamnés à mort. Ce type d’agissement est pour le moins cruel, inhumain et dégradant.

Des réformes « parcellaires » qui ne rendent pas justice

Le nouveau Code pénal islamique adopté par l’Iran en mai 2013 avait fait naître le timide espoir que la situation des personnes condamnées à mort pour des faits commis lorsqu’elles étaient mineures s’améliorerait, au moins en pratique. Le Code habilite les juges à évaluer quelle était la maturité psychologique de ce type d’accusés au moment de leur infraction et, selon l’issue de cette évaluation, à proposer un autre châtiment que la peine de mort. Une décision de la Cour suprême iranienne de 2014 a confirmé que toutes les personnes condamnées à mort pour des faits commis lorsqu’elles étaient mineures pouvaient demander une révision de leur procès.

Cependant, près de trois ans après l’introduction de ces changements dans le Code pénal, les autorités ont continué de procéder à des exécutions de mineurs délinquants, dans certains cas sans les informer de leur droit à demander un nouveau procès.

Le rapport souligne par ailleurs que lorsque des jeunes condamnés sont rejugés en vertu de réformes récentes, il est souvent considéré qu’ils avaient atteint le stade de la « maturité psychologique » au moment des faits qu’on leur reproche ; ils sont alors de nouveau condamnées à mort, preuve que les choses ont bien peu changé.

« Ces nouveaux procès et d’autres réformes parcellaires avaient été annoncés comme de possibles avancées sur le terrain de la justice pour mineurs en Iran, mais ces derniers font de plus en plus souvent l’objet de procédures fantaisistes débouchant sur des résultats cruels », a déclaré Said Boumedouha.

Dans certains cas, des juges ont conclu qu’un accusé était suffisamment « mûr » en s’appuyant sur les réponses données à quelques questions simples, comme par exemple s’il ou elle comprenait qu’il est mal de tuer un être humain. Ils associent par ailleurs souvent la question du manque de maturité des mineurs, du fait de leur âge, à la responsabilité atténuée des personnes souffrant de troubles mentaux, concluant que le mineur ne souffrait pas de « folie » et mérite par conséquent la mort.

Fatemeh Salbehi a été exécutée en octobre 2015 pour avoir tué son époux, qu’elle avait été forcée à épouser lorsqu’elle avait 16 ans. Elle a de nouveau été condamnée à mort à l’issue d’un nouveau procès qui n’a duré que quelques heures, et son évaluation psychologique s’est limitée à quelques questions de base, comme le fait de savoir si elle priait ou non ou étudiait des manuels religieux. Dans cinq autres cas, Hamid Ahmadi, Amir Amrollahi, Siavash Mahmoudi, Sajad Sanjari et Salar Shadizad ont de nouveau été condamnés à la peine capitale, après que les tribunaux chargés de leur nouveau procès ont conclu que ces jeunes gens comprenaient la nature de leur crime et n’étaient pas en état de démence au moment des faits.

« Les irrégularités qui continuent à caractériser le traitement réservé par l’Iran aux personnes condamnées pour des faits commis alors qu’elles étaient mineures montrent qu’il reste urgent d’adopter des lois interdisant catégoriquement le recours à la peine de mort contre ces condamnés  », a déclaré Said Boumedouha.

« La vie ou la mort d’une personne condamnée quand elle était mineure ne doit pas se jouer sur le coup de tête d’un magistrat. Au lieu d’introduire des demi-réformes qui s’avèrent très insuffisantes, les autorités iraniennes doivent reconnaître qu’il est nécessaire de commuer toutes les condamnations à mort prononcées contre ces jeunes, et s’abstenir une fois pour toutes de condamner à la peine capitale des personnes qui étaient mineures au moment des faits qu’on leur reproche. »

À l’heure où l’Iran fait son retour sur la scène diplomatique internationale, il est également crucial que les dirigeants mondiaux utilisent ces nouveaux canaux de communication pour évoquer avec les autorités iraniennes les cas identifiés dans le rapport, et les exhorter à commuer immédiatement l’ensemble des condamnations à mort prononcées contre cette catégorie d’accusés.

Complément d’information

En juin 2015, l’Iran a introduit des réformes prévoyant que les mineurs accusés d’une infraction soient jugés par des tribunaux spécialisés pour mineurs. Précédemment, les mineurs accusés de crimes passibles de la peine de mort étaient généralement jugés par des tribunaux pour adultes.

Si l’introduction de tribunaux spécialisés pour mineurs est une avancée positive, on ignore encore si cela empêchera dans les faits le recours à la peine capitale contre des personnes qui étaient mineures au moment des faits qu’on leur reproche.

Ces 10 dernières années, des études interdisciplinaires dans le domaine des sciences sociales, portant sur les relations entre l’adolescence et la délinquance, en particulier les conclusions des neurosciences sur la maturité du cerveau des adolescents, sont venus étayer les arguments selon lesquels la responsabilité des délinquants mineurs devrait être considérée comme atténuée par rapport à celle des adultes. Ces éléments d’appréciation ont été invoqués dans le cadre des discussions ayant fini par convaincre la Cour suprême des États-Unis d’abolir la peine de mort contre les personnes déclarées coupables d’un crime commis alors qu’elles étaient mineures, en 2005.

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