Communiqué de presse

Iran. Les autorités doivent annuler l’exécution imminente de trois condamnés à mort

Amnesty International est plus que préoccupée par des informations reçues récemment selon lesquelles la mise à mort de trois prisonniers serait imminente. Il s’agit de deux hommes issus de la minorité kurde d’Iran, Zaniar Moradi et Loghman Moradi, et d’un membre de la minorité azérie, Yunes Aghayan, qui est également un fidèle de la communauté religieuse d’Ahl-e Haqq (Gens de la Vérité). L’organisation appelle les autorités iraniennes à suspendre leur exécution et à commuer les peines capitales prononcées à leur encontre. Ces hommes doivent être rejugés dans le cadre d’une procédure totalement conforme aux normes internationales d’équité, excluant le recours à la peine de mort.

Amnesty International s’inquiète vivement de ce que ces trois hommes affirment avoir subi des actes de torture et des mauvais traitements durant leur détention, en vue de leur extorquer des « aveux », et avoir été condamnés à mort à l’issue de procès iniques. Lorsqu’une personne risque la sanction la plus dure qui soit, il est d’autant plus nécessaire que les normes internationales d’équité soient scrupuleusement respectées lors de son jugement.

Amnesty International engage le gouvernement iranien à instaurer un moratoire sur toutes les exécutions et à ratifier sans délai et sans réserve la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants [ONU]. Il doit mettre en œuvre des mesures efficaces afin que nul en Iran ne soit victime d’actes de torture ni de mauvais traitements, et que toute personne soupçonnée d’être responsable de tels agissements soit poursuivie et déférée à la justice dans le cadre d’une procédure équitable, excluant le recours à la peine capitale.

Zaniar Moradi et Loghman Moradi

Zaniar (ou Zanyar) Moradi et Loghman (ou Loqman) Moradi sont actuellement incarcérés dans la prison de Rajai Shahr, au nord-ouest de Téhéran. Ils ont été arrêtés respectivement le 1er août et le 17 octobre 2009 à Marivan, dans la province du Kurdistan, dans le nord-est de l’Iran. Ils ont été détenus sans inculpation par le ministère du Renseignement pendant les neuf premiers mois de leur emprisonnement, dans divers centres de détention, et n’auraient pas été autorisés à consulter un avocat durant cette période. Ils ont ensuite été transférés à la section 209 de la prison d’Evin à Téhéran, qui se trouve sous le contrôle du ministère du Renseignement.

Le 12 novembre 2010, avant d’être jugés, Zaniar et Loghman Moradi sont apparus dans un programme intitulé « L’Iran aujourd’hui, l’organisation terroriste Komala », diffusé par Press TV, réseau d’informations appartenant à la société de télédiffusion de la République islamique d’Iran (IRIB). Ils auraient alors « avoué » le meurtre, le 4 juillet 2009, du fils d’un haut dignitaire religieux de Marivan, l’imam en charge de la prière du vendredi. Ces « aveux », qui auraient été enregistrés en vidéo lors de leur détention provisoire, ont été diffusés en même temps que des scènes montrant Loghman Moradi au domicile de l’imam, avouant le meurtre du fils de celui-ci. La diffusion de tels « aveux » avant la tenue d’un procès constitue une violation du droit à la présomption d’innocence et du droit des accusés à un procès équitable.

Le 22 décembre 2010, Zaniar et Loghman Moradi ont été condamnés à être pendus en public par la 15e chambre du tribunal révolutionnaire de Téhéran pour « inimitié à l’égard de Dieu » (mohareb) et pour le meurtre du fils de l’imam. Ils ont également été déclarés coupables d’avoir participé à des activités armées aux côtés du Komala, un groupe d’opposition kurde interdit par les autorités. Ils n’ont pu s’entretenir avec un avocat que de manière très restreinte lors de leur audience, qui n’aurait duré que quelques minutes.

Une semaine après l’audience, les deux hommes ont été transférés à la prison de Rajai Shahr, où ils ont rédigé une lettre ouverte dans laquelle ils revenaient sur leurs « aveux » et expliquaient que lors de l’interrogatoire mené durant leur détention provisoire, ils avaient été contraints d’« avouer » l’homicide en question après avoir été torturés. D’après cette lettre, ils ont été torturés à plusieurs reprises lors de leurs interrogatoires, en étant frappés, notamment sur les organes sexuels, privés de sommeil et menacés de violences sexuelles, notamment de viol. Dans cette lettre, Zaniar Moradi a écrit : « Je n’avais rien avoué, jusqu’à ce qu’ils menacent de me violer. Ils ont amené une bouteille et m’ont dit que j’avais intérêt à avouer, sinon ils me forceraient à m’asseoir dessus. »

En janvier 2012, la Cour suprême a confirmé leurs condamnations. Un peu plus tard, un ordre d’application de la peine a été adressé au service judiciaire compétent, à Téhéran.

Aux termes du droit iranien, la condamnation pour meurtre est désignée sous le terme de qisas (ou « réparation »), au titre de laquelle un meurtrier reconnu coupable peut être exécuté en représailles de la mort causée. Les proches parents de la victime d’un meurtre ont le droit d’exiger l’application de la sentence de mort ou de pardonner au meurtrier, habituellement en échange du paiement de la diya (ou « prix du sang »). Les principes régissant les exécutions exigent la présence des proches parents lors de l’application de la sentence.

Début janvier 2013, ont commencé à circuler sur Internet des éléments laissant à penser que Zaniar et Loghman Moradi allaient être exécutés très prochainement. Amnesty International a reçu des informations indiquant que l’imam dont le fils a été tué et le procureur du Kurdistan s’étaient probablement rendus à Téhéran, laissant craindre que les préparatifs fussent en cours pour l’exécution imminente des deux hommes.

Yunes Aghayan

Yunes Aghayan a été transféré de la prison de Mahabad, dans la province de l’Azerbaïdjan occidental, dans le nord-ouest de l’Iran, le 26 décembre 2012, et placé à l’isolement dans la prison d’Oroumieh, ce qui laisse à craindre que les autorités ne lui ôtent la vie d’un moment à l’autre. Les condamnés à mort sont généralement placés à l’isolement peu avant leur exécution. Le jour de son transfert, Yunes Aghayan a entamé une grève de la faim « sèche », refusant de manger mais également de boire. Comme il est détenu au secret, on ignore s’il a mis un terme à cette grève de la faim.

Yunes Aghayan a été arrêté vers le mois de novembre 2004, à la suite d’au moins deux affrontements, en septembre de cette même année, entre la police et des adeptes de la communauté religieuse d’Ahl-e Haqq (Gens de la Vérité). Le groupe avait refusé d’enlever les slogans religieux à l’entrée de leur ferme à Uch Tepe, dans la province de l’Azerbaïdjan occidental. Lors des affrontements, cinq membres d’Ahl-e Haqq et au moins trois membres des forces de sécurité ont été tués. La famille de Yunes Aghayan a fermement nié son implication dans les affrontements de 2004, insistant sur le fait qu’il travaillait à la ferme. Yunes Aghayan affirme que durant sa période de détention provisoire, il a subi des actes de torture et d’autres mauvais traitements. Il semble qu’aucune enquête officielle n’ait été ordonnée sur ces allégations.

Yunes Aghayan et quatre autres personnes ont été jugés devant la deuxième chambre du tribunal révolutionnaire de Mahabad. En janvier 2005, Yunes Aghayan et Mehdi Qasemzadeh ont été condamnés à mort pour « inimité à l’égard de Dieu » (mohareb). Leurs peines ont été confirmées par la Cour suprême en avril 2005. Mehdi Qasemzadeh a été exécuté autour du 28 février 2009. Trois autres personnes – Sehend Ali Mohammadi, Bakhshali Mohammadi et Ebadollah Qasemzadeh – ont également été condamnées à mort en première instance, mais leurs peines ont été annulées par la Cour suprême en septembre 2007. En 2009, selon certaines informations, elles purgeaient toutes une peine de 13 ans d’emprisonnement en exil intérieur dans la province de Yazd (centre de l’Iran).

Complément d’information

En 2012, les autorités iraniennes auraient procédé à plus de 500 exécutions, dont plus de 180 qui n’ont pas été officiellement annoncées. La majorité des personnes exécutées avaient été reconnues coupables d’infractions à la loi relative à la lutte contre les stupéfiants.

Les membres de la minorité kurde d’Iran vivent principalement dans l’ouest et le nord-ouest du pays, dans la province du Kurdistan et dans les provinces voisines à la frontière des régions kurdes de Turquie et d’Irak. Au moins 20 autres Kurdes seraient dans le quartier des condamnés à mort en raison de leur appartenance présumée à des organisations kurdes interdites et de leurs activités pour le compte de ces groupes. Au moins sept Kurdes ont été exécutés le 26 décembre 2012 à la prison de Ghezel Hesar, à Karaj, près de Téhéran, pour « appartenance à des groupes salafistes » et « participation à des actes terroristes », notamment à l’assassinat d’un imam de la prière du vendredi à Sanandaj en 2009.

Les fidèles d’Ahl-e Haqq croient en une religion fondée au XIVe siècle qui partage certains préceptes de l’islam, et vivent principalement en Irak et dans l’ouest de l’Iran. La plupart sont Kurdes, mais certains, moins nombreux, sont issus d’autres minorités ethniques, notamment celle des Azéris.

L’article 3(14) de la Constitution iranienne prévoit l’égalité de tous les citoyens, y compris les membres des minorités. Toutefois, les membres de minorités ethniques et religieuses en Iran sont en butte à des discriminations religieuses, économiques et culturelles généralisées, dans la loi comme en pratique, et à des discriminations au niveau de leurs interactions avec le système judiciaire. La religion d’Ahl-e Haqq n’est pas reconnue par le droit iranien et ses rituels sont interdits. En vertu de l’article 13 de la Constitution iranienne, seules trois minorités religieuses – les chrétiens, les juifs et les zoroastriens – sont autorisées à pratiquer leur culte. En outre, il est interdit aux fidèles d’Ahl-e Haqq de discuter de leur foi avec les médias.

La détention prolongée sans inculpation favorise la torture et les autres mauvais traitements et bafoue les normes d’équité. Aux termes du droit iranien, un suspect n’est pas autorisé à consulter un avocat tant que des chefs d’inculpation ne sont pas officiellement énoncés, ce qui peut prendre des mois.

Aux termes de l’article 38 de la Constitution iranienne et de l’article 9 de la Loi sur le respect des libertés légitimes et la sauvegarde des droits des citoyens, toutes les formes de torture visant à obtenir des « aveux » sont prohibées. Le Code pénal iranien prévoit aussi des sanctions contre les représentants de l’État qui torturent les citoyens dans ce but. Cependant, malgré ces garanties légales et constitutionnelles concernant l’irrecevabilité des témoignages, des serments et des « aveux » extorqués sous la contrainte, des « aveux » forcés sont parfois diffusés à la télévision avant même la fin du procès, et sont souvent retenus à titre de preuve par les tribunaux iraniens. Ces pratiques constituent une violation des obligations de l’Iran aux termes de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel le pays est partie. Elles bafouent aussi le droit iranien, notamment l’article 37 de la Constitution, l’article 2 de la Loi de 2004 sur le respect des libertés légitimes et la sauvegarde des droits des citoyens et l’article 188(1) du Code de procédure pénale, qui érige en infraction le fait de rendre publics le nom et l’identité d’un prévenu dans les médias avant que la peine définitive ne soit prononcée.

Toutes les infos
Toutes les actions
2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit