Les autorités suédoises ont pris la décision historique d’arrêter le 9 novembre un Iranien soupçonné « d’atteinte au droit international en Iran, d’infraction grave et de meurtre, remontant à la période du 28 juillet au 31 août 1988 à Téhéran, en Iran ». Durant cette période, les autorités iraniennes ont soumis à des disparitions forcées plusieurs milliers de dissident·e·s politiques dans des prisons à Téhéran et dans de nombreuses autres villes du pays, avant de les exécuter en secret. Le 13 novembre, le parquet suédois a annoncé [1] que le procureur saisi devait décider d’ici au 11 décembre 2019 s’il était opportun d’inculper cette personne.
Autre fait marquant, les gouvernements de la Belgique et du Lichtenstein ont pour la première fois soumis, auprès du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, des questions destinées à l’Iran sur ce qui est arrivé aux victimes et sur le lieu où se trouvent leurs corps, en prévision de l’Examen périodique universel concernant l’Iran, le 8 novembre 2019.
La Belgique a demandé si : le gouvernement iranien prévoit de révéler la vérité sur les disparitions forcées ayant résulté des exécutions extrajudiciaires secrètes de dissident·e·s politiques en 1988, et notamment sur le nombre et l’identité de ces victimes, la date, le lieu, les causes et circonstances de chaque disparition et exécution extrajudiciaire, ainsi que le lieu où se trouvent les corps des victimes ; et si le gouvernement compte en permettre la restitution aux familles.
Le Lichtenstein a demandé quelles mesures l’Iran a prises pour enquêter sur les exécutions extrajudiciaires de 1988, et pour traduire en justice les responsables présumés, parmi lesquels de hauts représentants actuels du pays, mais aussi pour garantir le droit à la vérité, à la justice et à des réparations des familles de celles et ceux qui ont été soumis à une exécution judiciaire durant l’été 1988.
Ces démarches contribuent de manière considérable à la lutte contre l’impunité pour les crimes actuels et passés contre l’humanité en relation avec les massacres de 1988 dans des prisons, parmi lesquels on recense des meurtres, des disparitions forcées, des persécutions, des actes de torture et d’autres actes inhumains. Elles témoignent aussi du long combat pour la vérité et la justice mené par les rescapé·e·s et les familles de victimes, qui sont cruellement maintenues dans l’incertitude depuis plus de 30 ans, sans savoir où, pourquoi ni comment leurs proches ont été tués et où les corps sont inhumés.
Amnesty International se félicite que ces gouvernements aient braqué les projecteurs sur les exécutions extrajudiciaires et disparitions forcées de plusieurs milliers de dissident·e·s politiques dans des prisons iraniennes entre la fin juillet et le début septembre 1988, et continue à demander à ces pays et à d’autres de prendre des mesures concrètes afin que les responsables présumés soient amenés à rendre des comptes. Cela doit notamment passer par l’exercice de leur compétence extraterritoriale, en particulier de leur compétence universelle, dans l’objectif de lancer des enquêtes et des poursuites indépendantes et efficaces, lorsqu’une personne dont il est raisonnable de penser qu’elle est pénalement responsable de ces crimes se rend sur leur territoire, comme on le voit actuellement en Suède. Tout doit être fait par ailleurs pour que les Nations unies mènent une enquête indépendante sur les disparitions forcées ayant résulté des exécutions extrajudiciaires secrètes de 1988, notamment sur les milliers de corps inhumés dans des charniers à travers le pays.
Complément d’information
En 2018, Amnesty International a publié un rapport exhaustif sous le titre Blood-soaked secrets : Why Iran’s 1988 prison massacres are ongoing crimes against humanity . Ce rapport déterminait qu’en persistant à dissimuler ce qui est arrivé aux victimes des exécutions extrajudiciaires de masse commises en 1988 en Iran, les autorités iraniennes continuent à se rendre coupables de disparition forcée, qui constitue un crime contre l’humanité. Cela vient s’ajouter à d’autres crimes contre l’humanité - meurtre, extermination, persécution, torture et autres actes inhumains - ayant été perpétrés en Iran en 1988 selon les constats de l’organisation . Amnesty International estime que les souffrances infligées aux familles de victimes portent atteinte à l’interdiction absolue de la torture et autres traitements et sanctions cruels, inhumains ou dégradants en vertu du droit international.
Aucun haut responsable iranien n’a à ce jour été traduit en justice pour les crimes passés et présents contre l’humanité en relation avec les massacres de détenu·e·s datant de 1988. Un grand nombre des fonctionnaires impliqués continuent même à occuper des postes à responsabilités, notamment au sein des principaux organes judiciaires et gouvernementaux, et instances chargés des poursuites, censés veiller à ce que les victimes obtiennent justice .
Le manquement des organes politiques des Nations unies à leur devoir d’agir a eu des effets dévastateurs non seulement sur les rescapé·e·s et sur les familles de victimes, mais également sur l’état de droit et sur le respect des droits humains dans le pays. Cela a encouragé les autorités iraniennes à continuer de dissimuler le sort réservé aux victimes et les lieux où leurs corps sont inhumés, et à persister à employer une stratégie d’évitement et de déni à propos des disparitions forcées et des exécutions extrajudiciaires.