IRAN - Les autorités doivent faire preuve de retenue à l’approche du premier anniversaire des troubles dans le Khuzestan

Index AI : MDE 13/040/2006

DÉCLARATION PUBLIQUE

À l’approche du premier anniversaire, le 15 avril, des troubles qui avaient endeuillé la population arabe de la province du Khuzestan, Amnesty International appelle les autorités iraniennes à faire preuve de retenue dans l’exercice du maintien de l’ordre lors des manifestations qui pourraient se produire ; l’organisation invite également les autorités à prendre des mesures urgentes en réaction aux graves violations des droits humains, perpétrées par les forces iraniennes de sécurité contre des membres de la minorité arabe du pays, au cours de l’année qui vient de s’écouler.

La minorité arabe d’Iran vit principalement dans la province du Khuzestan (appelée Ahwaz par la communauté arabe). Voisine de l’Irak, cette région recèle une grande partie des ressources pétrolières de l’Iran. Cependant, les membres de la communauté arabe d’Iran estiment depuis longtemps qu’ils font l’objet de discrimination, que les gouvernements successifs ont oublié les Arabes en termes de distribution des ressources et que les mesures d’expropriation des terres prises par les autorités iraniennes les concernent massivement. Ces expropriations entreraient, selon eux, dans le cadre d’une politique gouvernementale visant à déposséder les Arabes de leurs terres ancestrales et à les réinstaller dans d’autres régions, afin de faciliter l’arrivée d’Iraniens non-arabes dans le Khuzestan. Frustrations et difficultés économiques ont entraîné l’année dernière un cycle de manifestations violentes suivies de répression ; cette situation menace de s’installer si les autorités iraniennes ne prennent pas les mesures nécessaires pour répondre aux revendications sociales, économiques et autres à l’origine des troubles. (Pour plus d’informations concernant les préoccupations d’Amnesty International au sujet des minorités arabes et autres en Iran, consulter le document : L’incurie du nouveau gouvernement face à la désastreuse situation des droits humains (index AI : MDE 13/010/2006) disponible sur le site de l’organisation à l’adresse suivante : http://web.amnesty.org/library/index/framde130102006)

De grandes manifestations rassemblant les Arabes d’Iran avaient éclaté le 15 avril 2005 et s’étaient poursuivies les jours suivants, après la publication d’une lettre écrite, semble-t-il, en 1999 par un conseiller du président iranien et établissant les grandes lignes d’une politique visant à réduire la population arabe dans la province du Khuzestan. L’auteur supposé de la lettre a démenti son authenticité, mais son contenu - qui prévoit notamment le transfert de la population arabe vers d’autres régions d’Iran et le transfert de non-Arabes dans la province, ainsi que le remplacement de noms de lieux arabes par des noms persans - a suscité émoi et colère. (Une copie de la lettre qui serait à l’origine des troubles, ainsi que sa traduction en anglais se trouvent sur le site http://www.ahwaz.org.uk/images/ahwaz-khuzestan.pdf ; la réponse, en persan, de l’auteur présumé de la lettre, qu’il dit être un faux, ainsi qu’une explication sur le contenu se trouve sur le site http://www.webneveshteha.com/.) Lorsque les forces de sécurité étaient intervenues pour disperser les manifestations le 15 avril et les jours suivants, de très nombreux Arabes d’Iran avaient été tués, des centaines d’autres avaient été blessés et des arrestations avaient eu lieu par centaines. Selon certaines informations, les forces de sécurité iraniennes auraient fait un usage excessif de la force et seraient responsable d’homicides illégaux, voire même d’exécutions extrajudiciaires. Après ces évènements, le gouvernement de Téhéran et le parlement iranien, le Majlis, ont ouvert une enquête limitée sur les troubles mais ses conclusions ne sont pas connues d’Amnesty International.

Le cycle des violences s’est poursuivi et intensifié au cours de l’année passée. De très nombreuses personnes ont été arrêtées dans la période précédant les élections de juin 2005, après l’explosion de quatre bombes dans la ville d’Ahvaz et deux à Téhéran ; une dizaine de personnes auraient été tuées et au moins 90 autres blessées dans ces attentats. En septembre et octobre 2005, des attaques armées avaient eu lieu contre d’importantes installations pétrolières dans le Khuzestan et de nouveaux attentats à la bombe en octobre 2005 et janvier 2006 ont fait au moins 12 morts et des centaines de blessés. Les autorités iraniennes ont accusé le gouvernement britannique d’être impliqué dans ces attentats, mais le Royaume-Uni a démenti. Amnesty International condamne tout attentat à la bombe ou autre attaque contre des populations civiles.

Plusieurs vagues d’arrestations ont eu lieu après les attentats et au moins huit Arabes ont été exécutés pour leur implication présumée. Parmi eux se trouvaient Mehdi Nawaseri et Ali Afrawi, exécutés en public le 2 mars 2006 après avoir avoué à la télévision iranienne leur implication dans les attentats d’octobre. Ils auraient été jugés à huis clos sans avoir pu consulter d’avocat, par des tribunaux révolutionnaires dont la procédure ne respecte en rien les normes internationales d’équité des procès. D’autres ont été condamnés à de longues peines d’emprisonnement à l’issue de procès inéquitables.

D’autres Arabes d’Iran ont été arrêtés lors de rassemblements ou de manifestations culturelles décrites comme pacifiques avant le recours à la force par les autorités iraniennes pour les disperser. Début novembre 2005 par exemple, au moins 81 personnes ont été arrêtées pendant la semaine précédant la fin du ramadan, l’Aïd el-Fitr, alors qu’elles assistaient à un Mahabis, cérémonie traditionnelle arabe pratiquée pour l’iftar (la rupture du jeûne). Le 4 novembre 2005, jour de l’Aïd el-Fitr, plusieurs centaines de manifestants arabes d’Iran ont commencé à marcher en direction du centre ville d’Ahvaz, peut-être pour protester contre les arrestations précédentes ; ils se sont heurtés aux forces de sécurité qui auraient lancé des grenades de gaz lacrymogène sur la foule, provoquant la chute et la noyade dans la rivière Karoun de deux jeunes, victimes de l’effet incapacitant des gaz, semble-t-il. De nouveaux heurts ont eu lieu entre Arabes d’Iran et forces de sécurité les 11 et 12 janvier 2006 au Khuzestan, à l’issue d’une manifestation initialement pacifique le jour de l’Aïd el-Adha, la fête musulmane du sacrifice ; trois hommes auraient été tués par les forces de sécurité et il y aurait eu une quarantaine de blessés. Les manifestants auraient exigé ouvertement que soit mis fin aux persécutions, à la pauvreté et au chômage des Arabes ; ils auraient également exigé la libération de prisonniers politiques détenus depuis avril 2005.

Amnesty International a reçu les noms d’au moins 448 Arabes d’Iran qui auraient été arrêtés depuis avril 2005 ; toutefois, selon l’organisation, les chiffres réels pourraient être plus élevés. De nombreuses personnes dont les noms figurent sur cette liste ont été remises en liberté depuis ; certaines ont été arrêtées plusieurs fois. Certains détenus auraient été torturés ou maltraités, notamment Zahra Nasser-Torfi, directrice du centre culturel Ahwaz al Amjad de la ville d’Ahwaz. Elle aurait été sévèrement battue, menacée d’exécution et menacée de viol après avoir été arrêtée en novembre 2005 au moment du Mahabis. Hajj Salem Bawi, chef d’une tribu arabe et homme d’affaires arrêté en août 2005 en même temps que ses cinq fils, un neveu et deux autres membres de sa famille, a expliqué qu’après sa libération il avait vu trois de ses fils dans la prison Amaniya de la ville d’Ahvaz ; ils avaient été torturés et maltraités. Deux de ses fils, Hani et Moslem, ont été condamnés à des peines d’emprisonnement et un au moins, Zamel, a été condamné à mort.

Des femmes et des enfants arabes d’Iran sont également détenus comme otages pour forcer les hommes de leur famille à se rendre aux autorités iraniennes. Maisoumeh Kaibi, par exemple, a été arrêtée avec son fils de quatre ans, Imad, tôt le matin du 27 février 2006, apparemment dans le but de faire pression sur son mari, Habib Nabgan, militant politique, pour qu’il se rende aux autorités. Il a fui le pays et s’est réfugié à l’étranger mais a reçu des menaces selon lesquelles sa famille pourrait être torturée ou tuée s’il ne rentre pas en Iran. Dans une autre affaire, Sakina Naisi, mère de cinq enfants et enceinte, aurait été arrêtée à Ahvaz le 27 février 2006 parce que son mari Ahmad Naisi, militant politique, est recherché par les autorités ; leur maison, située dans le quartier de Shoiaybiyeh à Ahvaz a été détruite à coups de bulldozers par les autorités. Sakina Naisi a, semble-t-il, dû subir un avortement début avril 2006 en raison des traumatismes subis. Soghra Khudayrawi, quant à elle, aurait été arrêtée à Ahvaz le 7 mars 2006 avec son fils de quatre ans, Zeidan, son mari étant recherché par les autorités en raison de ses activités politiques. Une autre femme, Hoda Hawashemi, aurait été arrêtée chez elle à Ahvaz le 1er avril 2006, en compagnie de ses deux fils - Ossama, deux ans et Ahmed, quatre ans - parce que son mari, Habib Farajallah Chaab, est un chef militant recherché par les autorités. On est à ce jour sans nouvelles d’elle et de ses deux jeunes enfants.

Amnesty International appelle les autorités iraniennes à :

 libérer tous les prisonniers d’opinion sans délai ni condition ;

 revoir le droit et la pratique afin de s’assurer que nul ne soit emprisonné pour ses opinions ou ne fasse l’objet de discrimination uniquement en raison de ses opinions politiques, de sa couleur de peau, de ses origines ethniques, de son genre ou de sa langue :

 faire réexaminer de toute urgence, par un organe judiciaire indépendant, les dossiers de tous les prisonniers politiques, détenus sans avoir été jugés, ou condamnés à l’issue de procès inéquitables, et ordonner la remise en liberté immédiate de tous ceux contre lesquels aucune preuve n’existe qu’ils aient commis une infraction dûment reconnue par la loi ;

 accorder à ces prisonniers la possibilité de consulter rapidement et régulièrement un avocat de leur choix, de contacter leur famille et de bénéficier des soins médicaux nécessités par leur état ;

 veiller à ce que tous les procès, notamment lorsque l’accusé est passible de la peine de mort, respectent au minimum les dispositions du PIDCP (Pacte international relatif aux droits civils et politiques) ;

 enquêter sur toutes les allégations de torture et de mauvais traitement de manière approfondie et dans les meilleurs délais. Les méthodes et les conclusions de ces enquêtes devraient être rendues publiques. Toute personne impliquée dans des violations des droits humains devrait être jugée de manière équitable dans les meilleurs délais et une indemnisation devrait être accordée aux victimes d’actes de torture et de mauvais traitements ;

 prendre des mesures effectives visant à éliminer tout recours à la torture, notamment en appliquant pleinement la législation iranienne en pratique, en ratifiant la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou châtiments cruels, inhumains et dégradants et en se conformant à ses dispositions ;

 faire la preuve de son respect du droit inhérent à la vie en décrétant un moratoire sur les exécutions ;

 mener dans les meilleurs délais et de manière équitable des enquêtes sur tous les homicides illégaux et exécutions extrajudiciaires qui ont pu se produire, en conformité avec les Principes des Nations unies relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d’enquêter efficacement sur ces exécutions ;
 juger dans les meilleurs délais et de manière équitable les membres de forces de sécurité auteurs présumés d’homicides illégaux et autres graves violations des droits humains ;

 mettre fin à toute politique délibérée d’expropriation discriminatoire des terres et de transfert de populations visant à déposséder certaines minorités de leurs terres ancestrales ;

 mettre un terme à la pratique des expulsions forcées, c’est-à-dire à l’éviction de personnes de leurs foyers ou des terres qu’elles occupent sans que la population ait été consultée, en dehors des garanties prévues par la loi et sans l’assurance d’un logement de remplacement approprié ;

 mettre fin aux déplacements internes forcés de populations liés aux expulsions forcées et à « l’accaparement des terres » ;

 prendre des mesures immédiates visant à éliminer la discrimination existant de facto au niveau de l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels, tels le droit à l’éducation, à un logement approprié, l’accès à l’eau et à des installations sanitaires ainsi qu’à des services de base comme l’électricité, en adoptant, s’il le faut, des mesures spéciales, par exemple en mettant en place un enseignement multilingue.

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