Iran. Les autorités doivent faire respecter l’ordre avec mesure lors du rassemblement au château de Babek, et réagir aux violations des droits humains à l’encontre des Turcs azéris iraniens

Déclaration publique

MDE 13/074/2006

Alors que s’approche le rassemblement culturel des Turcs azéris iraniens au château de Babek, ce 30 juin, Amnesty International demande aux autorités iraniennes de faire respecter l’ordre avec mesure lors de cette réunion. En outre, notre organisation demande instamment aux autorités de réagir à l’accroissement des violations des droits humains commises par les forces de sécurité iraniennes et d’autres à l’encontre de membres de la minorité turque azérie d’Iran (qui se décrivent parfois comme des Azéris iraniens).

La communauté turque azérie est la plus grande minorité ethnique d’Iran ; elle représenterait de 25 à 30 p. cent de la population totale et se trouve principalement dans le nord-ouest du pays. Musulmans chiites pour la plupart, comme la majorité de la population, les Turcs azéris ne subissent pas autant de discriminations que les minorités d’autres religions, et sont bien intégrés dans l’économie. Ces dernières années, cependant, ils ont exprimé une demande croissante en faveur de droits culturels et linguistiques plus importants, comme le droit de suivre un enseignement en turc et de célébrer la culture et l’histoire azéries lors d’événements tels le rassemblement annuel au château de Babek et le jour de la Constitution, célébré en octobre. Une petite minorité de Turcs azéris revendique la sécession des provinces azéries iraniennes et l’union avec la république d’Azerbaïdjan. Les militants qui font la promotion de l’identité culturelle turque azérie sont considérés avec suspicion par les autorités iraniennes, qui les inculpent souvent d’infractions vagues comme la « propagande panturque ».

Le rassemblement annuel au château de Babek se serait tenu ces six dernières années au château de Babek (ou Bazz), dans la ville de Kalayber, dans le nord-ouest de l’Iran. Chaque année, des milliers de Turcs azéris se réunissent à Kalayber et montent au château pour célébrer l’anniversaire de la naissance de Babek Khorramdin, qui a vécu au IXème siècle et est considéré comme un héros par les Turcs azéris iraniens. Ces rassemblements subissent souvent la répression des autorités iraniennes. En 2005, par exemple, des dizaines de personnes auraient été arrêtées et au moins 21 ont été condamnées à des peines de prison allant jusqu’à une année, même si certaines étaient assorties de sursis.

D’importantes manifestations ont eu lieu dans des villes et bourgs du nord-ouest de l’Iran, après la publication, le 12 mai 2006, d’un dessin dans le quotidien d’État Iran, qui a offensé de nombreux membres de la communauté turque azérie. Le gouvernement a suspendu la publication du journal le 23 mai, et le rédacteur en chef et le dessinateur ont été arrêtés. Les manifestations ont commencé avec une faible ampleur, principalement chez des étudiants turcs azéris d’universités de Téhéran et de Tabriz, avant de toucher des régions turques azéries. Une importante manifestation a eu lieu à Tabriz le 22 mai, et d’autres se sont tenues en d’autres endroits les jours suivants. La plupart de ces manifestations étaient pacifiques, mais certaines se sont achevées sur des attaques de véhicules et de bâtiments gouvernementaux. Certaines sources turques azéries d’Iran ont affirmé que des agents du gouvernement étaient à l’origine de ces attaques. Le gouvernement iranien a accusé les États-Unis et d’autres forces extérieures d’avoir déclenché ces troubles, ce qu’a nié le gouvernement des États-Unis.

Les autorités iraniennes auraient fait un usage excessif de la force pour disperser les manifestants, notamment par des passages à tabac et des coups de feu mortels. Amnesty International a reçu les noms de 27 personnes qui auraient été tuées, dont sept à Tabriz et 14 à Naqadeh (ou Sulduz pour les Turcs azéris iraniens). L’une de ces personnes, Jalil Abedi, âgé de vingt-six ans, aurait été touché d’une balle sur le côté gauche de la tête par un membre des services de renseignement iraniens à Meshkin Sharh (ou Khiyov pour les Turcs azéris iraniens) lors d’une manifestation le 25 mai, et abandonné à la mort par des agents de sécurité qui n’ont pas permis à un médecin de le soigner. La famille de Jalil Abedi aurait été empêchée d’organiser son service funèbre dans une mosquée et seuls quelques-uns de ses parents auraient reçu la permission d’assister à l’enterrement. Les autorités iraniennes ont généralement nié que des décès se soient produits lors des manifestations, mais un responsable de la police a reconnu publiquement ce 29 mai que quatre personnes avaient été tuées et 43 blessées à Naqadeh.

Des centaines, voire des milliers de manifestants auraient été placés en détention ; Amnesty International a reçu les noms de presque 200 d’entre eux. Le 23 juin, l’hodjatoleslam Aghazadeh, chef du bureau du ministère de la Justice dans la province d’Azerbaïdjan oriental, a déclaré à la presse que quelque 330 personnes avaient été arrêtées à Tabriz, dont la plupart avaient déjà été libérées, même si 85 d’entre elles seraient jugées ultérieurement. Selon ce responsable, 20 à 25 personnes avaient été identifiées comme jouant un rôle essentiel dans ces troubles ; certaines seraient des Baha’is, d’autres des membres du parti Tudeh (communiste) et deux d’entre elles auraient « des liens avec Israël ». De nombreux manifestants ont été libérés, mais des dizaines d’autres seraient encore détenus, notamment Changiz Bakhtavar, Ahmad Gholipour Rezaie (appelé aussi Heydaroglou) et Hassan Ali Hajabollu (ou Hassan Ark). Toutes ces personnes ont été détenues après la manifestation du 22 mai à Tabriz. Hassan Damirchi, âgé de soixante-cinq ans, homme d’affaires et musicien célèbre de Tabriz (également appelé Hassan Azerbaijan) et son fils Babak ont été arrêtés à leur domicile ce 26 mai, et Gholam Reza Amani a été placé en détention ce 28 mai ; il aurait entamé une grève de la faim. Certains de ces détenus, voire tous, ont pu être transférés à la prison d’Evin, à Téhéran, pour y être interrogés, mais le lieu de leur détention reste incertain. Certains détenus auraient été torturés, comme Davoud Maghami, détenu à Parsabad (ou Mughan en turc azéri), qui aurait dû être soigné à l’hôpital à la suite de ces tortures. Il a à présent été libéré.

D’autres importants militants turcs azéris auraient été placés en détention, dont Abbas Lisani (ou Leysanli), arrêté le 3 juin alors qu’il rentrait chez lui après s’être caché pendant une semaine, à la suite d’une manifestation à Ardebil où il avait été frappé par des policiers. Abbas Lisani aurait entamé une grève de la faim et son état inspire des inquiétudes. Sa ligne de téléphone privée a apparemment été coupée, peut-être pour empêcher sa femme de faire connaître son sort. Abbas Lisani a déjà été détenu plusieurs fois en raison de ses activités politiques en faveur de la communauté turque azérie, notamment pendant ou après les rassemblements de 2003 et 2005 au château de Babek. Abbas Lisani a subi de graves tortures en juin 2004, lors de son arrestation pendant un sit-in de protestation des turcs azéris à la mosquée de Sarcheshme, à Ardebil.

En prévision du rassemblement de cette année au château de Babek, les forces de sécurité iraniennes auraient procédé à des arrestations, peut-être pour empêcher certaines personnes de participer à ce rassemblement. Akbar Qorbani, l’une de ces personnes, aurait été arrêté le 26 juin sur son lieu de travail d’Ardebil par des hommes en civil non identifiés (lebas-e shakhsi), après avoir déjà reçu des menaces de telles personnes depuis qu’il avait participé à une manifestation à Ardebil. Ebrahim Jafarzadeh, un autre militant politique, aurait été arrêté le 26 juin à Khoy, après avoir été convoqué à un local du ministère du Renseignement ; il a été libéré le lendemain. Le 27 juin, Reza Abbasi, membre de l’ASMEK (Association pour la défense des prisonniers politiques azéris) et du Bureau pour le renforcement de l’unité (Daftar-e Tahkim-e Vahdat), un organisme étudiant, aurait été arrêté à Zenjan après avoir refusé d’obtempérer à une convocation verbale à un local du ministère du Renseignement pour interrogatoire. Le même jour, Jahanbaksh Bakhtavar, frère de Changiz Bakhtavar (voir plus haut) aurait été arrêté à son domicile de Tabriz par des représentants du ministère du Renseignement, qui auraient également confisqué ses livres et d’autres objets personnels. Toujours le 27 juin, Isa Yeganeh, directeur du journal - suspendu - Payam-e Sulduz aurait été arrêté à Naqadeh, Sayed Mehdi Sayedzadeh a été arrêté à Tabriz, et cinq personnes au moins, libérées après les manifestations de mai à Miandoab, auraient été de nouveau placées en détention.

Amnesty International reconnaît le droit et la responsabilité des autorités iraniennes de traduire en justice les personnes soupçonnées d’infractions pénales. Cependant, Amnesty International craint que ces détenus soient pour beaucoup des prisonniers d’opinion, détenus seulement pour avoir exercé pacifiquement leur droit à la liberté d’expression et d’association, ou pour leurs activités politiques pacifiques au nom de la communauté turque azérie d’Iran.

Amnesty International demande aux autorités iraniennes de :

 respecter les normes internationales relatives aux droits humains dans le cadre du maintien de l’ordre au rassemblement du château de Babek, et faire en sorte que tous les responsables de l’application des lois respectent en permanence les normes comme le Code de conduite des Nations unies pour les responsables de l’application des lois

 libérer tous les prisonniers d’opinion immédiatement et sans conditions. Les autres détenus doivent être libérés, sauf s’ils sont inculpés d’une infraction pénale reconnue et traduits en justice de manière prompte et équitable

 accorder à tous les détenus un accès rapide et régulier à des avocats de leur choix, à leurs familles et à des soins médicaux adéquats si nécessaire

 enquêter sur toutes les allégations de torture ou de mauvais traitements de manière prompte et approfondie. Les méthodes et les conclusions de cette enquête doivent être rendues publiques. Toute personne impliquée dans des violations des droits humains doit être traduite en justice de manière prompte et équitable, et les victimes de torture et de mauvais traitements doivent recevoir des compensations

 faire en sorte que tous les procès respectent, au minimum, les dispositions adéquates du Pacte international relatif aux droits civils et politiques

 enquêter sur les éventuels homicides illégaux ou exécutions extrajudiciaires de manière prompte et équitable, dans le respect des Principes des Nations unies sur la prévention des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires, et les moyens d’enquête sur ces exécutions ; et traduire en justice, de manière prompte et équitable, tous les membres des forces de sécurité responsables d’homicides illégaux ou de graves violations des droits humains.

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