Depuis le 13 novembre, les autorités ont annoncé dans des déclarations distinctes que les tribunaux révolutionnaires de Téhéran avaient condamné à mort cinq personnes dont le nom n’a pas été divulgué pour « inimitié à l’égard de Dieu » (mohareb) et « corruption sur terre » (ifsad fil Arz), en raison de ce qu’elles ont qualifié d’actes d’incendie volontaire, de destruction de biens et d’agression mortelle d’un membre des forces de sécurité lors des manifestations dans la province de Téhéran. Depuis le 29 octobre, les médias officiels font régulièrement état du procès de neuf hommes accusés d’infractions en lien avec les manifestations et passibles de la peine de mort. On ignore si parmi ces neuf hommes figurent les cinq personnes condamnées à mort dont les noms ne sont pas cités. Au moins 12 autres personnes, dont une femme, font également l’objet de poursuites pénales pour des infractions punies de la peine de mort en rapport avec les manifestations.
Dans son analyse détaillée publiée le 16 novembre au sujet des 21 personnes qui sont en danger, Amnesty International met en évidence le caractère profondément biaisé des procédures engagées par les tribunaux révolutionnaires, dans un contexte où les autorités appellent à juger rapidement et à exécuter en public.
« Les autorités iraniennes doivent immédiatement annuler toutes les condamnations à mort, s’abstenir de requérir l’application de la peine capitale et abandonner toutes les poursuites contre les personnes arrêtées pour avoir participé pacifiquement aux manifestations. La peine de mort est le châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit, et son caractère odieux est encore aggravé par des procès fondamentalement entachés d’irrégularités, dénués de transparence et d’indépendance, a déclaré Diana Eltahawy, directrice adjointe pour la région Afrique du Nord et Moyen-Orient à Amnesty International.
« Deux mois après le début du soulèvement populaire et trois ans après les manifestations de novembre 2019, la crise d’impunité qui prévaut en Iran permet aux autorités de perpétrer de nouveaux massacres, mais aussi d’intensifier le recours à la peine de mort comme outil de répression politique. Les États membres du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, qui tiendra une session spéciale sur l’Iran la semaine prochaine, doivent sans délai mettre en place un mécanisme d’enquête et d’obligation de rendre des comptes, afin de faire face à cette attaque virulente contre le droit à la vie et les droits humains. »
Amnesty International craint que beaucoup d’autres personnes ne soient condamnées à mort, au regard des milliers d’arrestations qui ont eu lieu et du nombre de mises en accusation.
Elle engage tous les gouvernements ayant une ambassade en Iran à envoyer sans attendre des observateurs de haut niveau assister à tous les procès en cours dans lesquels les accusés risquent d’être condamnés à mort. Il a été annoncé que ces procès seraient publics.
Risque de condamnations à mort à la suite des manifestations
Les affaires concernant les 21 personnes qui risquent la peine de mort en sont à différents stades et se déroulent devant divers tribunaux. Les personnes déjà condamnées à mort peuvent faire appel devant la Cour suprême.
Six hommes inculpés d’« inimitié à l’égard de Dieu » (mohareb) et de « corruption sur terre » (ifsad fil Arz) ont comparu devant un tribunal révolutionnaire à Téhéran dans le cadre d’un procès collectif. Il s’agit de Mohammad Ghobadlou, Saman Seydi (Yasin), Saeed Shirazi, Mohammad Boroughani, Abolfazl Mehri Hossein Hajilou et Mohsen Rezazadeh Gharagholou. Trois autres hommes – Sahand Nourmohammad-Zadeh, Mahan Sedarat Madani et Manouchehr Mehman-Navaz – font l’objet de procès distincts devant des tribunaux révolutionnaires à Téhéran pour des actes criminels présumés s’apparentant à l’« inimitié à l’égard de Dieu » (mohareb). Dans huit de ces affaires, les chefs d’accusation passibles de la peine de mort n’impliquent aucune accusation d’homicide volontaire et découlent principalement d’actes qualifiés de vandalisme, destruction de biens publics ou privés, incendie volontaire et troubles à l’ordre public.
Si les autorités n’ont pas révélé l’identité des cinq personnes dont la condamnation à mort a été officiellement annoncée, des informations divulguées au sujet des faits qui leur sont reprochés ont amené des défenseur·e·s des droits humains à penser qu’il s’agit de Mohammad Ghobadlou, Manouchehr Mehman Navaz, Mahan Sedarat Madani, Mohammad Boroughani et Sahand Nourmohammad-Zadeh.
Onze autres personnes sont également jugées pour « corruption sur terre » (ifsad fil Arz) devant un tribunal révolutionnaire à Karaj, dans la province d’Alborz. Parmi elles, un couple marié, Farzaneh Ghare-Hasanlou et Hamid Ghare-Hasanlou, qui est médecin.
En outre, Amnesty International a eu connaissance du cas d’un autre homme, Parham Parvari, âgé de 26 ans, membre de la minorité kurde d’Iran. Il est inculpé d’« inimitié à l’égard de Dieu » (mohareb) en lien avec les manifestations. Selon sa famille, il a été violemment arrêté à Téhéran alors qu’il ne faisait que passer en rentrant de son travail pendant les manifestations.
Des éléments de preuve attestent qu’au moins trois personnes ont été soumises à des actes de torture et à des mauvais traitements et que des « aveux » entachés de torture ont été invoqués contre les accusés devant les tribunaux.
Les droits à un procès équitable bafoués
Les 21 personnes mentionnées ont vu leur droit à un procès équitable bafoué : elles n’ont pas pu consulter l’avocat de leur choix dès le moment de l’arrestation, tout au long de l’enquête et du procès, et elles ont été privées du droit à la présomption d’innocence, du droit de garder le silence et de ne pas être contraint de témoigner contre soi-même ou de s’avouer coupable. Les accusés sont systématiquement et régulièrement privés du droit d’être protégés contre la torture et les mauvais traitements, d’avoir pleinement accès aux preuves pertinentes et de bénéficier d’une audience équitable et publique devant un tribunal compétent, indépendant et impartial.
En vertu du droit international, prononcer la peine de mort à l’issue d’un procès inique viole le droit à la vie et l’interdiction absolue de la torture et des mauvais traitements.
Des représentants de l’État réclament des procès rapides et des exécutions publiques
Dans une déclaration parlementaire, 227 des 290 parlementaires iraniens ont demandé au pouvoir judiciaire de ne faire preuve « d’aucune indulgence » à l’égard des manifestant·e·s en prononçant de toute urgence des sentences capitales à leur encontre, en vue de servir de « leçon » aux autres. Le responsable du pouvoir judiciaire, Gholamhossein Mohseni-Ejei, a réclamé des procès rapides et des peines exemplaires, y compris des exécutions.
Selon un document officiel examiné par Amnesty International, le 9 octobre, le procureur général du pays, Mohammad Jafar Montazeri, a ordonné aux autorités chargées des poursuites d’accélérer les procédures pénales contre Mohammad Ghobadlou. Dans un autre document officiel en date du 29 septembre, un haut gradé de la police a demandé que le procès de cet homme soit achevé « dans les plus brefs délais » et que sa condamnation à mort soit exécutée en public, à titre de « geste de réconfort envers les forces de sécurité ».
Complément d’information
Un soulèvement populaire contre le régime de la République islamique d’Iran ébranle tout le pays depuis la mort en garde à vue de Mahsa (Zhina) Amini, alors qu’elle avait été violemment arrêtée par la « police des mœurs » iranienne le 16 septembre 2022. Les forces de sécurité réagissent en ayant recours à une force illégale, et notamment meurtrière. On dénombre des centaines de morts et des milliers de blessés, hommes, femmes et enfants.
D’après un fichier audio obtenu par la chaîne BBC Persian, les autorités ont interpellé arbitrairement entre 15 000 et 16 000 personnes lors de la première vague d’arrestations depuis le début du mouvement de contestation, notamment des manifestant·e·s, des journalistes, des défenseur·e·s des droits humains, des dissident·e·s, des étudiant·e·s et des élèves. Beaucoup ont été victimes de disparition forcée, de détention au secret, de torture et de mauvais traitements, ainsi que de procès iniques.
Le 8 novembre 2022, le pouvoir judiciaire iranien a annoncé que 1 024 actes d’inculpation avaient été émis en lien avec les manifestations dans la seule province de Téhéran, sans fournir aucun détail sur les accusations.