IRAN - Une enquête doit être ouverte d’urgence sur les violences commises par les forces de sécurité contre des musulmans soufis à Qom

Index AI : AMR 13/016/2006

DÉCLARATION PUBLIQUE

Amnesty International demande instamment aux autorités iraniennes d’ordonner l’ouverture immédiate d’une enquête indépendante sur la violente répression exercée à Qom, le 13 février 2006, contre une manifestation apparemment non violente de musulmans soufis de l’ordre nématollahi. Des centaines de manifestants, y compris des femmes et des enfants, ont été blessés. Les policiers et des membres des organisations Hojatieh et Fatemiyon (des organisations progouvernementales) ont dispersé la manifestation en utilisant apparemment une force excessive, et pas moins de 1 200 manifestants auraient été arrêtés. La plupart ont à présent été libérés mais environ 200 d’entre eux sont toujours détenus. Amnesty International demande qu’ils soient libérés immédiatement et sans condition à moins qu’ils ne soient inculpés d’infractions prévues par la loi et jugés équitablement et dans les délais les plus brefs, conformément aux dispositions du droit international.

Les soufis de l’ordre nématollahi - connus pour être des derviches ou mystiques -, sont des musulmans chiites ; ils accordent une grande importance à l’aspect spirituel de leur foi. Les manifestants s’étaient réunis pour protester contre une décision rendue quelques jours plus tôt ordonnant l’évacuation, pour le 11 février, de leur lieu de culte - connu sous le nom d’hosseiniye - dans la ville de Qom. L’hosseiniye de Qom est situé non loin du domicile du principal prêcheur du groupe soufi. Il a été construit il y a trois ans, apparemment de façon légale et avec l’autorisation des autorités municipales.

Les soufis auraient commencé à manifester le 9 février, certains se tenant dans le lieu de culte et d’autres à l’extérieur du bâtiment. Ils ont tenu une cérémonie de prière et de deuil le 10 février, jour de la fête chiite d’Achoura. Ces rassemblements se sont déroulés de manière pacifique mais le nombre des manifestants a considérablement augmenté car des centaines de soufis de l’ordre nématollahi sont venus de tout le pays pour y participer. Il y avait parmi les manifestants un grand nombre de femmes et d’enfants qui offraient des fleurs blanches et des gâteaux aux habitants du quartier.

Les forces de sécurité, notamment la police antiémeute, ont pris position autour du centre de prière et le 13 février, vers 15 heures, elles ont donné aux soufis un dernier délai pour procéder à l’évacuation du bâtiment. Des membres des organisations Fatemiyon et Hojatieh ont, semble-t-il, également cerné le centre, proférant des slogans tels que « mort aux soufis » et « le soufisme est un complot britannique ». Ils ont distribué des tracts affirmant que les soufis sont des ennemis de l’islam. Des soufis ont alors brandi des portraits du défunt ayatollah Khomeini, le fondateur de la République islamique d’Iran, et des photos de proches tués pendant la guerre contre l’Irak alors qu’ils combattaient pour leur pays, afin de montrer qu’ils ne sont pas opposés au gouvernement et qu’ils font partie intégrante de la société iranienne.

Vers 16 heures, les forces de sécurité, soutenues par les organisations Hojatieh et Fatemiyon, sont intervenues : elles ont attaqué les manifestants qui se trouvaient en dehors du centre et ont pris d’assaut le bâtiment en utilisant du gaz lacrymogène et des explosifs. De nombreux manifestants ont été battus, parfois si brutalement qu’ils ont dû être conduits à l’hôpital. Selon certaines informations, les assaillants ont également mis le feu au centre. Des témoins ont par la suite dit que l’air de la ville était pollué par le gaz lacrymogène, la fumé et la suie de l’incendie. Selon les informations reçues, quelque 1 200 manifestants ont été arrêtés et emmenés à bord de bus vers des destinations inconnues.

Après avoir éloigné les manifestants du lieu de culte soufi, les forces de sécurité ont amené sur place des bulldozers et des camions très tôt dans la matinée du 14 février, et démoli le bâtiment et des maisons voisines, notamment la maison du principal prêcheur soufi.

La plupart des personnes arrêtées auraient été libérées ; en échange de leur libération elles auraient cependant été tenues de signer des déclarations dans lesquelles elles s’engageaient à ne participer à aucun rassemblement soufi à Qom. Certaines d’entre elles auraient été emmenées en bus dans un stade où elles ont été interrogées, et parfois torturées ou maltraitées ; elles ont dans certains cas subi de graves blessures. Les proches de ceux qui ont été maintenus en détention - ils seraient environ 200 - n’auraient pas réussi à obtenir des informations sur le lieu où ils se trouvent, leur situation juridique ou leur état de santé.

Le 15 février, le gouverneur de Qom, Abbas Mohtaj, a confirmé dans le quotidien Jomhouri e Eslami (République islamique) que 1 000 personnes avaient été arrêtées et 200 blessées, mais il a accusé les soufis d’avoir participé à un complot fomenté par des pouvoirs étrangers contre l’État iranien, affirmant : « Les pouvoirs arrogants exploitent toutes les possibilités qui s’offrent à eux de créer de l’insécurité dans notre pays et les liens [des soufis] avec des pays étrangers sont évidents. » Un autre haut responsable de Qom a reconnu que la police avait utilisé du gaz lacrymogène, mais affirmé que cela avait été nécessaire pour disperser le rassemblement et que certains manifestants étaient armés de couteaux et de pierres. Le même responsable a déclaré que le hosseiniye avait été démoli parce qu’il s’agissait d’un immeuble d’habitation illégalement converti en un lieu de culte.

Amnesty International exhorte les autorités iraniennes à ouvrir d’urgence une enquête impartiale et indépendante sur l’intervention des forces de sécurité et des paramilitaires contre les soufis de l’ordre nématollahi à Qom, et à veiller à ce que tout fonctionnaire ou membre d’une organisation paramilitaire présumé responsable d’une atteinte aux droits humains soit amené à répondre de ses actes et déféré à la justice rapidement et dans le respect des règles d’équité. L’organisation demande également aux autorités iraniennes de veiller à ce que la police reçoive une formation complète et respecte en toutes circonstances les normes internationales relatives aux activités de maintien de l’ordre, notamment le Code de conduite des Nations unies pour les responsables de l’application des lois et les Principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, qui dispose : « Les responsables de l’application des lois, dans l’accomplissement de leurs fonctions, auront recours autant que possible à des moyens non violents avant de faire usage de la force ou d’armes à feu. Ils ne peuvent faire usage de la force ou d’armes à feu que si les autres moyens restent sans effet ou ne permettent pas d’escompter le résultat désiré. » Les responsables de l’application des lois devraient recevoir une formation adéquate sur les droits humains fondamentaux, en particulier sur les droits de tous les individus à la vie et à l’intégrité physique et mentale.

Cette manifestation et sa répression par les autorités s’inscrivent dans le contexte préoccupant d’une apparente « diabolisation » croissante des musulmans soufis. En septembre, un dignitaire religieux de Qom, l’ayatollah Hossein Nouri Hamedani, a lancé un appel pour la répression des groupes soufis de Qom, qui, selon lui, représentent « un danger pour l’islam ». Au cours des semaines précédant ces événements, des articles malveillants avaient été publiés dans les quotidiens Jomhouri e Eslam et Kayhan, ce qui met en garde contre la popularité de ces idées et la tendance à les suivre.

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