Communiqué de presse

L’Iran doit veiller à ce qu’une enquête sérieuse soit menée sur la mort en détention de Sattar Beheshti

Amnesty International appelle les autorités iraniennes à agir avec fermeté pour mettre un terme à la confusion persistante qui entoure les circonstances de la mort en détention du blogueur Sattar Beheshti et à établir la vérité.

Le Guide suprême doit garantir qu’une enquête indépendante et impartiale sera diligentée sur le cas de cet homme, ainsi que sur tous les autres cas de mort en détention. Les investigations doivent être menées conformément aux normes internationales dans ce domaine.

Étant donné que l’Iran n’effectue généralement aucune enquête sur les cas de mort en détention et que les responsables présumés des atteintes aux droits humains bénéficient de longue date de l’impunité, et compte tenu des déclarations contradictoires de différents responsables gouvernementaux, l’organisation craint que « l’enquête » menée par les autorités judiciaires sur la mort de Sattar Beheshti ne soit qu’un leurre destiné à dissimuler la vérité sur ce qui lui est arrivé en détention, empêchant sa famille d’obtenir justice et réparation.

Amnesty International exhorte les autorités iraniennes à solliciter l’aide du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Iran pour mettre en place un mécanisme transparent et impartial en vue de faciliter l’ouverture d’enquêtes approfondies sur les cas de mort en détention, entre autres dénis de justice.

Sattar Beheshti, âgé de 35 ans, avait été arrêté le 30 octobre 2012 par des membres de la cyberpolice iranienne, à son domicile de Robat Karim, au sud-ouest de Téhéran. Les hommes qui l’ont interpellé n’ont semble-t-il pas présenté de mandat et ils ne lui ont pas indiqué le motif de son arrestation. La famille de Sattar Beheshti est restée sans nouvelles de lui et les autorités ont ignoré ses efforts pour connaître le lieu de détention du blogueur jusqu’au 6 novembre, date à laquelle elle a reçu un appel téléphonique lui demandant de venir récupérer son corps au centre de détention de Kahrizak, à Téhéran.

Le 10 novembre, 41 prisonniers politiques détenus dans la division 350 de la prison d’Evin, parmi lesquels figuraient les prisonniers d’opinion Mohammad Ali Dadkhah et Abdolfattah Soltani, avocats spécialisés dans la défense des droits humains, ont rédigé une lettre ouverte dans laquelle ils attestaient que Sattar Beheshti avait été détenu du 31 octobre au 1er novembre dans la division 350 de la prison d’Evin. Les signataires de la lettre affirmaient avoir constaté des blessures sur son corps, notamment au visage, à la tête, aux poignets et aux bras, ainsi que des contusions au cou, au ventre et dans le dos. Ils ajoutaient que Sattar Beheshti s’était plaint auprès de témoins oculaires dans la prison d’Evin d’avoir été torturé et maltraité après son arrestation. Il avait précisé qu’on l’avait attaché sur une chaise par les mains et les pieds puis roué de coup et qu’on l’avait également frappé après l’avoir suspendu au plafond par les poignets – l’une des méthodes de torture bien établie appelée qapani. Il avait ajouté que les hommes chargés de son interrogatoire l’avaient jeté au sol et frappé à coups de bottes sur le cou et la tête. Selon la lettre, pendant sa détention dans la prison d’Evin, Sattar Beheshti avait déposé une plainte contre les personnes ayant procédé à son interrogatoire en affirmant qu’il avait été torturé après son interpellation.

Déclarations contradictoires des autorités

Le 27 novembre, lors d’une conférence de presse, le chef de la police, le général Esmail Ahmadi-Moghaddam, a accepté une responsabilité partielle dans la mort de Sattar Beheshti. Il a déclaré que les sédatifs prescrits à Sattar Beheshti par des médecins de la prison d’Evin ne lui avaient pas été donnés en raison d’une négligence des membres de la cyberpolice. Il a toutefois nié que cet homme ait été battu et maltraité, bien que le coroner ait confirmé précédemment que le corps de Sattar Beheshti présentait des contusions.

En réponse à Mehdi Davatgari, membre de la Commission sur la sécurité nationale et la politique étrangère du Majlis (Parlement) iranien, qui avait affirmé que l’incarcération de Sattar Beheshti dans le centre de détention de la cyberpolice était illégale, Esmail Ahmadi-Moghaddam a déclaré que la mort de Sattar Beheshti devait faire l’objet d’une enquête.

Le 22 novembre, le parquet de Téhéran a publié un communiqué confirmant que Sattar Beheshti était mort le 3 novembre alors qu’il était incarcéré dans un centre de détention de la cyberpolice. Le parquet a également indiqué que, selon les conclusions finales du coroner, « la détermination de la cause exacte du décès n’était pas possible d’un point de vue médical ». Les sept médecins spécialistes de la commission d’enquête des services du coroner concluaient dans leur rapport final que l’examen du corps de Sattar Beheshti n’avait mis en évidence aucune maladie susceptible d’avoir provoqué sa mort. Selon ce rapport la cause la plus probable de la mort pouvait être liée à un état de « choc » qui avait pu être occasionné par des coups sur des parties sensibles du corps ou par de graves pressions psychologiques, sans confirmer si de tels actes avaient ou non été commis.

Avant la déclaration du parquet et du chef de la police, des responsables judiciaires et des députés avaient donné des explications contradictoires à propos de la mort de Sattar Beheshti.

C’est ainsi que, le 12 novembre, Mohammad Hassan Asafari, membre de la Commission sur la sécurité nationale et la politique étrangère, avait dit à la presse que, selon le rapport du coroner, Sattar Beheshti était décédé des suites d’une crise cardiaque. Cette allégation a été contestée par la famille de Sattar Beheshti d’après laquelle il était en bonne santé avant son arrestation et son incarcération.

Le même jour, le procureur général, Gholamhossein Mohseni Ejei, a annoncé que, selon le rapport du coroner, l’examen du cœur, des poumons et des organes génitaux n’avait révélé aucune anomalie suspecte, tout en reconnaissant que Sattar Beheshti présentait des contusions aux chevilles, sur les mains, dans le haut du dos et sur une cuisse. Ces propos étaient contraires à ceux d’Alaeddin Boroujerdi, président de la Commission sur la sécurité nationale et la politique étrangère - autre organe qui aurait également mené une enquête sur les circonstances de la mort de Sattar Beheshti – lequel avait affirmé que « selon les investigations préliminaires, le corps ne présentait pas de traces de coups ». Gholamhossein Mohseni Ejei a également indiqué que l’original de la plainte de Sattar Beheshti avait disparu.

Appels en faveur d’une enquête indépendante

Le 15 novembre, les rapporteurs spéciaux sur la situation des droits de l’homme en Iran, sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, sur la torture et sur la liberté d’expression ont appelé les autorités iraniennes à diligenter une enquête approfondie, indépendante et impartiale sur les circonstances de la mort en détention du blogueur iranien Sattar Beheshti, et tout particulièrement sur les allégations de torture, et à rendre publiques les conclusions des investigations menées.

Amnesty International continue d’exhorter les autorités iraniennes à ouvrir une enquête approfondie, transparente et impartiale sur la mort de Sattar Beheshti, dans le respect des Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d’enquêter efficacement sur ces exécutions qui énoncent les normes pour les enquêtes dans tous les cas où l’on soupçonne des exécutions extrajudiciaires, y compris les cas de mort en détention où des plaintes déposées par la famille, ou des informations dignes de foi, laissent à penser qu’il s’agit d’un décès non naturel.

Ces principes disposent que l’enquête doit comporter une autopsie adéquate, la collecte et l’analyse de tous les éléments de preuve physiques ou écrites et l’audition des témoins. Les personnes chargées des investigations doivent pouvoir travailler en toute impartialité et en toute indépendance, et la famille de la victime doit avoir le droit d’exiger qu’un médecin ou un autre représentant qualifié assiste à l’autopsie.

Amnesty International prie les autorités iraniennes de veiller à ce que la famille de Sattar Beheshti et ses représentants légaux aient accès à toutes les audiences ainsi qu’à toute information touchant l’enquête, tout particulièrement au rapport d’autopsie.

L’organisation est particulièrement préoccupée par les informations faisant état du harcèlement auquel sont soumis des membres de la famille de Sattar Beheshti qui ont été menacés par les forces de sécurité d’être arrêtés et incarcérés s’ils donnaient des interviews aux médias. Selon les informations parvenues à l’organisation, des membres des forces de sécurité surveillent leurs déplacements en permanence. Leurs lignes téléphoniques ont été coupées apparemment pour les empêcher de donner de nouvelles interviews à propos de la mort de leur proche.

Amnesty International est également consternée par les manœuvres de harcèlement et d’intimidation dont aurait été victime un témoin oculaire, prisonnier d’opinion, qui était parmi les signataires de la lettre. Abolfazl Abedini Nasr a été transféré peu après à la prison d’Ahvaz, dans le sud-ouest du pays, ce qui semblait être une mesure punitive ; il a été ramené par la suite à la prison d’Evin, à Téhéran.

Les autorités iraniennes doivent veiller à ce que la famille de Sattar Beheshti et les témoins soient protégés contre les violences, les menaces de violence et l’arrestation, ainsi que contre toute autre forme d’intimidation ou de harcèlement.

L’organisation prie les autorités iraniennes de permettre un examen international de la situation des droits humains dans le pays, y compris en autorisant le rapporteur spécial des Nations unies sur l’Iran à se rendre dans le pays. Il faut que les autorités autorisent aussi les mécanismes thématiques des droits humains, qui ont demandé à effectuer des visites, et tout particulièrement le rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et le rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, ainsi que des organisations internationales indépendantes de défense des droits humains, dont Amnesty International.

L’organisation demande également au gouvernement iranien de ratifier sans délai et sans émettre de réserves la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le gouvernement doit prendre des mesures en vue d’appliquer intégralement les dispositions de cet instrument, de sorte qu’aucun individu détenu en Iran ne soit torturé ou maltraité et que tout responsable présumé d’actes de torture ou d’autres formes de mauvais traitements soit traduit en justice dans un délai raisonnable et dans le cadre d’une procédure équitable, sans que la peine de mort ne soit requise.

Complément d’information

Amnesty International a recensé plus de 40 cas de mort en détention en Iran depuis 2003 dans des circonstances laissant à penser que la torture ou d’autres formes de mauvais traitements, notamment l’absence de soins médicaux adaptés, avaient joué un rôle dans le décès du prisonnier. La cause précise de la mort reste souvent inconnue, soit parce qu’aucune enquête n’est diligentée soit que les investigations ne sont pas indépendantes ni impartiales, ce qui entraîne une quasi-impunité pour les responsables de tels agissements.

Les autorités iraniennes ont reconnu qu’au moins trois prisonniers du centre de détention de Kahrizak étaient morts des suites de torture ou de mauvais traitements après leur arrestation dans le cadre de la répression exercée par le gouvernement à la suite de l’élection présidentielle de 2009. Des poursuites ont été engagées par la suite contre 12 hommes, dont 11 agents de l’État, accusés d’avoir commis des violations graves des droits humains dans la prison de Kahrizak. Toutefois ces hommes étaient apparemment des boucs émissaires de rang inférieur et les procédures ouvertes ne concernaient qu’une partie des atteintes graves aux droits humains commises à la suite de l’élection de juin 2009. Deux des 12 accusés ont été condamnés à mort, mais les familles des victimes leur ont ensuite accordé leur pardon ainsi que le prévoit la législation iranienne. Neuf autres ont été condamnés à des peines d’emprisonnement.

Personne n’a eu à rendre de comptes pour la mort de Zahra Kazemi, une photojournaliste irano-canadienne incarcérée à la prison d’Evin et morte en 2003 des suites de coups reçus après son arrestation. Un représentant du ministère du Renseignement a par la suite été acquitté du meurtre de cette femme. Sur les cinq fonctionnaires arrêtés dans un premier temps, il avait été le seul à être inculpé et jugé. De même, personne n’a été tenu de rendre des comptes à la suite de la mort en détention dans des circonstances suspectes de Zahra Bani Yaghoub, à Hamadan en 2007.

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