Lors d’une conférence de presse à Dublin le 27 avril, Amnesty International a accueilli Claire Malone, jeune mère dont l’expérience récente illustre la réalité des effets néfastes et de la violence du huitième amendement. Est également intervenue Louise Kenny, consultante en obstétrique et gynécologie, et professeure d’obstétrique.
À la conférence de presse, Claire Malone a livré un témoignage personnel bouleversant. Elle souffre de plusieurs problèmes de santé complexes qui mettent sa vie en danger, notamment d’atrésie pulmonaire et d’hypertension pulmonaire, et a dû se faire retirer un poumon en 2014. Lorsqu’une femme atteinte d’hypertension pulmonaire tombe enceinte, le risque est très élevé que sa maladie s’aggrave ou qu’elle décède pendant sa grossesse. Claire le sait, et c’est ce qui l’a amenée à solliciter une interruption de grossesse à un stade précoce.
Claire Malone a raconté que lorsqu’elle a découvert sa grossesse, elle a réalisé qu’elle pourrait mourir si elle la poursuivait, ou subir des effets néfastes à long terme sur sa santé déjà fragile.
« Je connais mon état de santé ; je savais que la grossesse me rendrait encore plus malade, ou me tuerait. Je sais aussi ce que dit la loi en Irlande, et je savais donc que mes choix étaient très limités. Ce que je n’ai pas compris à l’époque, c’est que je n’en avais aucun. Dès que j’ai découvert que j’étais enceinte, j’ai su ce qui était bon pour moi, ma vie, ma santé et mes deux fils. Mais cela n’avait pas d’importance : je n’avais pas mon mot à dire. En vertu du huitième amendement, ce qui était juste pour moi, ma vie, ma santé et mes enfants importait peu ».
« Mes médecins m’ont affirmé que la grossesse n’affectait pas ma santé à ce stade – j’étais enceinte de sept semaines. Pourtant, il suffit de chercher hypertension pulmonaire et grossesse, et apparaissent les termes mortalité, haut risque et défaillance cardiaque. Alors je leur ai demandé quelles étaient mes options, sachant ce qui allait se passer ? Ils ont répondu qu’ils ne pouvaient pas me proposer d’interruption de grossesse car ma vie n’était pas en danger à ce moment-là, et c’est tout. Je sais qu’ils sont tenus par la loi. Mais j’avais la sensation de devoir attendre que ma santé se dégrade au point de risquer de perdre la vie, et qu’alors il serait trop tard. Pourquoi un risque, déjà très élevé, pour ma santé n’était-il pas suffisant ? Que devais-je endurer avant que mes médecins ne soient autorisés à me prodiguer des soins ? »
« On m’a dit que je pouvais me rendre au Royaume-Uni pour avorter, et que je devais me présenter à la clinique. Mais je n’étais plus capable de voyager. Mes médecins ne pouvaient pas légalement s’entretenir avec leurs confrères au Royaume-Uni si je décidais d’interrompre ma grossesse, et les médecins là-bas ont estimé que mes problèmes de santé étaient trop complexes et risqués sans le soutien total de mon équipe en Irlande. J’avais besoin d’une assistance médicale pour voyager. J’avais le choix entre me rendre au Royaume-Uni par moi-même, mentir sur mon état de santé et risquer ma vie, ou poursuivre ma grossesse en Irlande, avec tout ce que cela supposait ».
« J’ai deux garçons, qui ont perdu leur père il y a deux ans, a-t-elle poursuivi. Si j’avais pu continuer ma grossesse sans danger, je l’aurais fait, mais je devais protéger mes enfants, qui avaient déjà traversé tant d’épreuves. Ils m’avaient vu faire des allers-retours à l’hôpital pendant des années, et ils savaient ce qui se passait. Ils m’ont demandé sans détour : " Est-ce que tu vas mourir ? " J’ai répondu que je devais faire tout ce que les médecins me conseillaient et que tout irait bien ; puis la situation s’est dégradée et j’ai dû les préparer au pire. Je devais aussi m’y préparer. J’ai commencé à avoir des contractions, et je pensais que j’allais mourir ».
« J’ai beaucoup de chance d’être en vie, et je sais que c’est grâce aux bons soins de mes médecins. Toutefois, ma santé, déjà faible, s’est fortement dégradée depuis. Je sais que j’ai perdu des années de vie et que je ne vivrai pas assez longtemps pour voir mes trois enfants devenir adultes. »
Louise Kenny, vice-chancelière adjointe de la Faculté de médecine et des sciences de la vie de l’Université de Liverpool, a également pris la parole lors de la conférence de presse. Elle est professeure d’obstétrique et consultante en obstétrique et gynécologie. Louise Kenny a souligné que le huitième amendement prive les femmes et les jeunes filles en Irlande de soins de santé conformes aux meilleures pratiques médicales, particulièrement dans des cas complexes comme celui de Claire. Elle a expliqué pourquoi la profession médicale a besoin qu’il soit abrogé, pour pouvoir protéger la santé des personnes enceintes.
« Le huitième amendement ne permet pas aux médecins irlandais de soigner les femmes enceintes souffrant de problèmes de santé complexes conformément aux meilleures pratiques médicales. L’histoire de Claire met en évidence ce problème fondamental. Claire souffre d’une pathologie cardiaque, que la grossesse peut fortement aggraver. Le risque augmente dans la seconde moitié de la grossesse. Lorsque Claire a demandé une interruption, sa vie n’était pas exposée à un " risque substantiel ". En vertu du huitième amendement, les médecins de Claire ne pouvaient pas pratiquer d’interruption à un stade précoce de la grossesse, lorsqu’il était sûr de le faire – conformément à sa décision – car ils auraient commis une grave infraction pénale », a déclaré Louise Kenny.
« Obtenir un avortement au Royaume-Uni n’est pas chose aisée, et c’est exceptionnellement difficile pour les femmes souffrant de problèmes médicaux complexes. Du fait du huitième amendement, les médecins irlandais ne peuvent pas officiellement orienter les femmes, mais seulement leur fournir des informations. Et contrairement aux meilleures pratiques, les femmes qui se rendent au Royaume-Uni n’ont bien souvent pas leur dossier médical complet à présenter à l’équipe sur place, ce qui accroît nettement les risques. Si un médecin aide une femme en l’orientant vers un hôpital ou une clinique britannique, il commet une infraction. S’il dialogue ou consulte un médecin désigné par la femme elle-même en vue de garantir qu’elle puisse avoir accès à l’avortement en toute sécurité là-bas, il commet une infraction ».
« Claire, incapable de voyager, n’a eu d’autre choix que de poursuivre sa grossesse, au péril de sa vie. Le résultat d’une affection cardiaque pendant la grossesse est difficile à prévoir. Dans le cas de Claire, bien que sa santé se soit fortement dégradée, les soins exceptionnels qu’elle a reçus de l’équipe de cardiologie et d’obstétrique lui ont permis de donner naissance à un enfant en vie. Cependant, nul doute qu’elle était exposée à un risque bien réel pour sa santé, contre sa volonté, et en raison du huitième amendement. Il est tout à fait incorrect de dire que cet amendement ne nuit pas aux questions de santé. Claire n’a eu d’autre choix que de tout risquer. »
Colm O’Gorman, directeur exécutif d’Amnesty International Irlande, contredit ceux qui affirment que le huitième amendement ne porte pas atteinte à la santé des femmes et des jeunes filles en Irlande.
« C’est un mensonge de dire que les médecins peuvent soigner toutes les femmes en toute sécurité aux termes du huitième amendement. À cause de cet amendement, l’avortement n’est légal que lorsqu’une femme ou une jeune fille est en danger de mort du fait de sa grossesse. Dans tous les autres cas et quels que soient les préjudices graves, irréparables ou limitant l’espérance de vie que représente la grossesse pour sa santé, elle est contrainte de la poursuivre. La Loi pour la protection de la vie pendant la gestation n’offre aucune issue aux femmes comme Claire, dont la grossesse avance jusqu’à un stade où elle ne peut plus arriver à terme de manière sûre. En outre, les femmes qui ont des besoins complexes en termes de santé, comme Claire, ne peuvent pas simplement rejoindre les milliers de femmes qui se rendent à l’étranger pour avorter. Et elles ne devraient pas avoir à le faire. Le huitième amendement accule les femmes à des choix impossibles, quant à leur santé, leur vie et leur famille ».
« Nous avons Claire pour nous parler de son expérience. Et de très nombreuses femmes souffrent horriblement. Parmi les professionnels de santé en Irlande, de nombreux experts et personnes d’expérience le confirment. Que faut-il donc pour que ceux qui sont opposés à l’abrogation du huitième amendement cessent de manipuler la population ? »
« Le gouvernement souhaite inclure dans la loi irlandaise sur l’avortement un motif de risque pour la santé. C’est impossible tant que le huitième amendement reste en vigueur. Si les citoyens ne votent pas " Oui " le 25 mai, nous aurons perdu l’occasion de créer un cadre légal et médical pour protéger la santé et la vie des femmes et des jeunes filles en Irlande », a déclaré Colm O’Gorman.
« Le cas de Claire montre que cette ligne entre risque grave et risque de mort est floue, et les médecins se retrouvent dans des situations impossibles. Nous devons nous demander : " éviter la mort ", c’est cela la norme sanitaire que nous souhaitons pour l’Irlande ? Si le huitième amendement n’est pas abrogé, c’est ce à quoi continueront de ressembler les soins de santé en Irlande pour les femmes et les jeunes filles au moment où elles ont le plus besoin de notre attention et de notre compassion. »