Communiqué de presse

Israël. Les expulsions de demandeurs d’asile doivent cesser

À la lumière des nouvelles informations dévoilées le 2 juin sur l’ampleur des expulsions de demandeurs d’asile effectuées par le gouvernement israélien, et ce en violation du droit international, Amnesty International exhorte le gouvernement à mettre fin à toutes les expulsions de demandeurs vers leur pays ou vers un pays tiers.

Ces nouveaux éléments, révélés par le Bureau du procureur dans le cadre d’une audience de la Haute Cour de justice, le 2 juin, consacrée à une requête contestant la légalité de la Loi sur la prévention de l’infiltration (2012), ont porté l’attention sur le nombre de demandeurs d’asile érythréens et soudanais expulsés en violation du principe de non-refoulement, inscrit dans le droit international, et sur les projets d’expulsion de demandeurs d’asile érythréens vers un pays tiers non précisé.

Le droit international, notamment la Convention de 1951 des Nations unies relative au statut des réfugiés, qu’Israël a ratifiée, interdit aux États membres de renvoyer une personne dans un pays où elle risquerait d’être victime de persécutions ou d’autres graves atteintes aux droits humains, ou dans un pays où elle ne serait pas protégée contre un tel renvoi (le principe de non-refoulement). L’interdiction des mesures de refoulement couvre toutes les formes de renvoi forcé, et comprend notamment des mesures légales comme l’extradition, l’expulsion, le refus d’accès au territoire et les expulsions collectives.

Bien que le gouvernement israélien ait fréquemment évoqué les projets d’expulsion visant des demandeurs d’asile et d’autres étrangers vers des pays tiers, lors de l’audience du 2 juin 2013, le Bureau du procureur a affirmé pour la première fois que le gouvernement avait déjà conclu un accord avec un pays tiers pour accueillir des Érythréens et éventuellement des ressortissants d’autres nationalités, actuellement détenus au titre de la Loi sur la prévention de l’infiltration (2012). La représentante du Bureau du procureur a également déclaré devant la Haute Cour de justice que d’autres accords étaient sur le point d’être conclus avec deux pays concernant l’accueil d’Érythréens. Elle a ajouté que ces informations étant considérées comme sensibles, elle ne pouvait révéler les noms des pays concernés. Plus tard dans la journée, le ministère israélien des Affaires étrangères a nié avoir connaissance de tels accords. La Haute Cour de justice a ordonné à l’État de présenter une déclaration sous serment d’ici une semaine, afin d’apporter des éclaircissements.

Amnesty International souligne qu’Israël ne peut se contenter d’accords avec des pays tiers concernant le transfert de demandeurs d’asile en vue de s’acquitter de l’obligation de respecter le principe de non-refoulement. Les expulsions qui bafouent ce principe sont illégales, qu’elles soient ou non effectuées dans le cadre de tels accords.

Au cours de la même audience, la représentante du Bureau du procureur a noté que le ministre de l’Intérieur avait ces derniers jours rejeté les demandes d’asile de trois Érythréens et indiqué qu’Israël allait probablement rejeter toutes les autres demandes restantes. Ces décisions s’appuieraient sur l’hypothèse admise par l’État selon laquelle les Érythréens fuyant le service militaire forcé ne subiraient pas de persécutions ni de graves atteintes à leurs droits humains s’ils étaient renvoyés en Érythrée, et ne peuvent donc prétendre au statut de réfugiés.

Le service national, obligatoire en Érythrée pour tous les adultes, doit normalement durer 18 mois, mais se prolonge dans la plupart des cas pour une durée indéterminée. Les conscrits reçoivent un salaire minimum et ne choisissent pas le rôle qui leur est attribué. Ce système de conscription obligatoire et pour une durée indéterminée s’apparente à du travail forcé. Il favorise un environnement propice à la commission d’autres violations des droits humains. Tout conscrit se dérobant à l’appel ou désertant le service national est arrêté et placé en détention arbitraire – sans inculpation, sans procès, ni possibilité de consulter un avocat. Des milliers de déserteurs et de jeunes gens qui se sont dérobés à l’appel sous les drapeaux sont incarcérés sans inculpation ni jugement depuis la mise en place du service national en 1995. Dans certains cas, des personnes ont été arrêtées sur le simple soupçon d’avoir eu l’intention de déserter.

Toute personne qui a entre 18 et 40 ans, et est donc en âge d’effectuer son service national actif, si elle est renvoyée de force en Érythrée, sera soupçonnée d’avoir voulu échapper au service militaire. En outre, le gouvernement érythréen considère la demande d’asile à l’étranger comme un acte de trahison. Les demandeurs dont le dossier a été rejeté, les opposants présumés du gouvernement et les adeptes d’une religion autre que les quatre officiellement reconnues, risquent fortement d’être placés en détention sans inculpation ni jugement, sans pouvoir s’entretenir avec un avocat, d’être torturés et de subir des mauvais traitements à leur retour en Érythrée.

C’est pourquoi Amnesty International s’oppose à tous les renvois forcés de ressortissants érythréens vers leur pays, ou vers des pays tiers où ils ne sont pas protégés contre de nouveaux renvois.

Dans une synthèse présentée par le Bureau du procureur à la Haute Cour de justice, il a également été révélé que 534 Soudanais détenus au titre de la Loi sur la prévention de l’infiltration (2012) avaient été expulsés d’Israël vers le Soudan via un pays tiers, et ce depuis l’entrée en vigueur de la loi en 2012. Bien qu’ils aient signé des documents dans lesquels ils consentaient à leur expulsion, Amnesty International estime qu’elle ne peut être considérée comme volontaire. En tant que Soudanais, ils pouvaient être détenus pour une durée indéfinie en vertu de la Loi sur la prévention de l’infiltration, car Israël considère le Soudan comme un « État ennemi ». Selon de nombreuses informations parvenues à Amnesty International ces derniers mois, les détenus soudanais et érythréens subissent des pressions pour signer des formulaires où ils « consentent » à être expulsés ; les agents israéliens leur assurent que c’est le seul moyen de mettre un terme à leur détention illimitée. Cette semaine, il a été signalé que les agents de l’Autorité de la population et de l’immigration exerçaient des pressions sur les détenus pour qu’ils signent des formulaires d’expulsion « volontaire ».

Dans sa synthèse, le Bureau du procureur a également confirmé que plus de 1 500 autres Soudanais qui n’étaient pas en détention ont été expulsés vers le Soudan via un pays tiers en 2012. Même s’ils n’étaient pas détenus lorsqu’ils ont signé les documents requis, Amnesty International craint que leur consentement n’ait pas été libre et éclairé, en raison de l’absence d’accès à une procédure d’asile équitable et efficace en Israël, des nombreuses mesures répressives visant les « infiltrés », adoptées ou en cours d’examen devant la Knesset (Parlement israélien), des déclarations racistes et xénophobes de représentants de l’État contre les demandeurs d’asile, et du nombre croissant d’agressions ciblant des demandeurs d’asile et leurs communautés.

S’ils sont renvoyés dans leur pays depuis des États où ils ont sollicité l’asile, les demandeurs soudanais sont exposés au harcèlement, à la détention, à la torture et à d’autres mauvais traitements aux mains des services de sécurité. Ceux qui sont renvoyés au Soudan depuis Israël sont encore plus menacés, car la loi soudanaise prévoit de lourdes sanctions pour les citoyens qui entrent en Israël ou ont des contacts avec des Israéliens.

Amnesty International s’oppose à tous les renvois forcés de ressortissants soudanais depuis Israël vers leur pays, y compris via des pays tiers. Le Soudan et Israël se considérant mutuellement comme des États « ennemis », elle estime que tous les Soudanais se trouvant en Israël risquent de voir leurs droits fondamentaux gravement bafoués s’ils sont renvoyés et doivent donc bénéficier d’une protection internationale.

Les nouveaux éléments dévoilés par le Bureau du procureur ne concordent pas avec les déclarations de hauts responsables israéliens, qui depuis trois mois ont laissé entendre que les autorités avaient suspendu les expulsions de détenus érythréens et soudanais. Le 4 mars, le procureur général Yehuda Weinstein a ordonné à l’Autorité de la population et de l’immigration de ne plus expulser d’Érythréens détenus en Israël vers quelque pays que ce soit, jusqu’à ce que les questions juridiques qui se posent soient clarifiées. La ministre de la Justice Tzipi Livni, en réponse à une requête du membre de la Knesset Dov Khenin le 19 mai, a affirmé que cette suspension s’appliquait aussi aux Soudanais.

Amnesty International prie instamment le gouvernement israélien de changer de cap. La Knesset doit abroger la Loi sur la prévention de l’infiltration (2012). Dans l’intervalle, le gouvernement israélien ne doit plus l’appliquer et doit permettre à tous les demandeurs d’asile d’avoir accès à une procédure équitable, efficace et transparente, sans recourir à la détention. Les personnes qui ont besoin d’une protection internationale doivent se voir accorder l’asile en Israël.


Complément d’information

Il y a un an, Israël a commencé à appliquer la Loi sur la prévention de l’infiltration, adoptée en janvier 2012. Elle prévoit le placement systématique en détention administrative de quiconque, y compris les demandeurs d’asile, entre sans autorisation sur le territoire israélien. Elle autorise le maintien en détention sans inculpation ni jugement pendant trois ans, voire plus.

Cette loi visait plus particulièrement les personnes entrant clandestinement en Israël via l’Égypte, considérées comme des « infiltrés illégaux » par le gouvernement israélien, même lorsqu’elles souhaitent solliciter l’asile ou ont été victimes de violations des droits humains aux mains de bandes criminelles, dans le Sinaï notamment.

Amnesty International condamne la Loi sur la prévention de l’infiltration de 2012, au motif que la détention automatique et prolongée bafoue le droit international et que la détention des migrants ne doit jamais ressortir d’une mesure punitive ou dissuasive.

Environ 1 800 personnes sont actuellement détenues au titre de cette loi, dont de nombreuses victimes de la traite des êtres humains et de violations des droits humains subies lors de leur périple jusqu’en Israël, ainsi qu’une dizaine d’enfants. La majorité sont des Érythréens et des Soudanais qui sont entrés en Israël en traversant la frontière égyptienne entre juin et décembre 2012 et ont été placés en détention dès leur arrivée. Environ 1 600 se trouvent au centre de détention pour migrants de Saharonim, dans le désert du Néguev (sud du pays), sous des tentes et dans des structures provisoires, malgré les dures conditions de vie dans le désert.

Amnesty International déplore depuis longtemps déjà le manque de transparence du système d’asile en Israël, son inefficacité pour garantir la protection des demandeurs, et l’absence d’accès à des procédures équitables. Dans sa synthèse présentée à la Haute Cour de justice en mai 2013, le Bureau du procureur a reconnu qu’il n’avait pas fini d’examiner les 1 400 demandes d’asile déposées par les demandeurs détenus au titre de la Loi sur la prévention de l’infiltration (2012) ; pourtant, la loi prévoit que la demande doit être examinée dans les neuf mois qui suivent son enregistrement.

Depuis plusieurs années, Israël prive formellement des Érythréens et des Soudanais d’accès aux procédures de détermination du statut de réfugié, ce qui est clairement contraire à ses obligations au titre de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951, préférant leur accorder des mesures de protection temporaire collective, tout en mettant en place un nombre croissant de mesures répressives contre les « infiltrés », afin de faire pression sur eux pour qu’ils quittent le territoire. Même si les autorités israéliennes ont commencé à enregistrer des demandes d’asile déposées par des détenus érythréens et soudanais, leurs manœuvres visant à expulser des Érythréens et des Soudanais ou à les transférer vers un pays tiers prouvent que le statut de protection provisoire ne suffit pas à les protéger contre le refoulement.

Les inquiétudes quant aux procédures d’asile en Israël sont particulièrement vives pour les demandeurs placés en détention. Les autorités israéliennes ne les informent pas systématiquement sur la procédure de demande d’asile, même lorsqu’ils déclarent aux autorités de la prison qu’ils seront en danger s’ils sont renvoyés dans leur pays d’origine. Des représentants du ministère de l’Intérieur refusent d’admettre que de telles déclarations marquent l’ouverture d’une procédure d’asile et exigent que les demandeurs remplissent des formulaires spécifiques, qui sont rarement fournis aux détenus.

Selon les chiffres publiés par le ministère israélien de l’Intérieur, fin mars 2013, plus de 54 700 personnes étaient entrées en Israël illégalement via la frontière égyptienne, dont 66 % d’Érythréens et 25 % de Soudanais.

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