ISRAËL/TERRITOIRES OCCUPÉS - Il faut prendre des mesures immédiates pour éviter une crise humanitaire à Gaza

Index AI : MDE 15/025/2006

DÉCLARATION PUBLIQUE

Amnesty International craint que les résidents palestiniens de la bande de Gaza ne risquent de subir une crise humanitaire, en raison de la fermeture prolongée par les autorités israéliennes du seul point de passage de marchandises de la bande de Gaza. Cette situation a déjà entraîné des pénuries de nourriture et autres produits de première nécessité, provoquant notamment un rationnement du pain sans précédent, et risque d’avoir des conséquences catastrophiques pour les 1 300 000 Palestiniens qui vivent dans la bande de Gaza, et pour leur accès aux droits fondamentaux.

La farine et autres réserves de nourriture diminuent progressivement, car les autorités israéliennes maintiennent la plupart du temps la fermeture du point de passage de Karni/Muntar entre la bande de Gaza et Israël, et ce depuis le début de l’année. Le blocage prolongé de ce point de passage par l’armée israélienne a également mis un terme à l’exportation de produits palestiniens, pour la plupart des denrées périssables qui se gâtent, privant les Palestiniens d’une source essentielle de revenus et accroissant le taux de pauvreté déjà élevé de la bande de Gaza.

Selon des responsables de l’aide des Nations unies, la réouverture limitée du passage de Karni/Muntar et l’ouverture du point de Kerem Shalom ces deux derniers jours n’ont pour l’instant pas suffi à atténuer la crise, et il faut prendre d’urgence des mesures plus importantes pour réagir à cette situation.

L’économie de la bande de Gaza est touchée à une période particulièrement sensible, ayant été grandement affaiblie au cours des cinq dernières années et demi : l’armée israélienne a détruit des milliers de domiciles, de vastes zones agricoles, d’infrastructures et d’équipements publics palestiniens. Parallèlement, l’aide internationale à l’Autorité palestinienne diminue à présent, après la récente victoire électorale du Hamas.

Pour justifier la fermeture prolongée du point de transit, les autorités israéliennes font état de problèmes de sécurité, notamment le risque d’attentats par des groupes armés palestiniens. Ces groupes ont fréquemment mené des attentats et autres attaques contre des Israéliens, comme un attentat au point de transit de Karni/Muntar le 13 janvier 2005, qui a tué six Israéliens et blessé cinq autres.

Selon l’armée israélienne, les groupes armés palestiniens auraient peut-être creusé des tunnels sous Karni/Muntar. Il y a quelques semaines, l’armée israélienne a demandé à l’Autorité palestinienne de creuser plusieurs tranchées autour du point de transit pour trouver des tunnels. Cependant, à ce jour, les tranchées creusées par les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne n’ont révélé aucun tunnel.

Aux termes du droit international, Israël, en tant que puissance occupante exerçant un contrôle de fait sur la bande de Gaza, demeure responsable du bien-être de la population palestinienne vivant dans cette zone. Israël a le droit de prendre des mesures pour protéger la vie de ses citoyens. Cependant, ce pays ne doit pas imposer de restrictions générales et de mesures draconiennes qui ne seraient pas proportionnées, ciblées et strictement nécessaires. De telles mesures ont de graves conséquences sur la vie de centaines de milliers de Palestiniens qui n’ont commis aucune infraction, et peuvent constituer une forme de châtiment collectif, en violation de l’article 33 de la Quatrième Convention de Genève et d’un principe fondamental des droits humains.

Après la victoire électorale du Hamas en janvier, les autorités israéliennes ont indiqué qu’elles avaient l’intention de durcir les restrictions imposées aux Palestiniens. À la mi-février, le gouvernement israélien a annoncé qu’il cesserait de reverser les droits de douane qu’il perçoit au nom de l’Autorité palestinienne. Dov Weisglass, conseiller du Premier ministre israélien, a été cité par les médias israéliens comme comparant le siège économique planifié de l’autorité palestinienne à un régime « qui fera beaucoup maigrir les Palestiniens, mais sans les tuer. »

Amnesty International demande aux autorités israéliennes :

 De faire en sorte que les mesures prises pour organiser l’entrée et la sortie des marchandises de la bande de Gaza respectent les droits humains de la population palestinienne.

 De lever toutes les restrictions à la circulation des personnes et des biens qui constituent un châtiment collectif, et de prendre toutes les mesures nécessaires pour que les Palestiniens de la bande de Gaza et du reste des Territoires occupés puissent mener une vie aussi normale que possible.

 De n’imposer aucune restriction à la circulation des Palestiniens et des biens sauf pour répondre à une menace sécuritaire spécifique, de manière ciblée, proportionnée et pour une durée limitée.

 De faire en sorte que les éventuelles restrictions imposées ne nuisent pas à la liberté de circulation, et ne violent pas le droit à un niveau de vie adéquat - notamment à un accès correct à la nourriture, au logement et à l’habillement. Les restrictions ne doivent pas non plus violer d’autres droits humains des Palestiniens, notamment leur droit au travail, à l’éducation et au meilleur niveau de santé possible.

Amnesty International demande à toutes les Hautes parties contractantes aux Conventions de Genève de demander à Israël de respecter ses obligations de puissance occupante, et de prendre des mesures immédiates pour répondre à la crise humanitaire dans la bande de Gaza.

Amnesty International renouvelle sa demande aux groupes armés palestiniens de cesser immédiatement les attaques non ciblées et délibérées contre les civils israéliens. Ces attaques sont interdites en tous temps et toutes circonstances.

Amnesty International renouvelle sa demande à l’Autorité palestinienne pour qu’elle fasse tout son possible pour prévenir et empêcher de telles attaques par des groupes armés palestiniens, et qu’elle enquête sur toutes les attaques ou tentatives d’attaques, et en traduise les responsables en justice, y compris les responsables d’attaques passées.

Contexte

Les autorités israéliennes soutiennent que l’occupation de la bande de Gaza par Israël a cessé en septembre 2005, lorsque les troupes israéliennes se sont retirées de cette zone, et qu’en conséquence, Israël n’est plus lié par ses obligations de puissance occupante définies par le droit international, en ce qui concerne la bande de Gaza.

Cependant, Israël continue de contrôler tous les points d’entrée et de sortie de la bande de Gaza ainsi que ses eaux territoriales et son espace aérien. Israël ne permet pas à la bande de Gaza d’avoir un port maritime, a détruit l’aéroport de Gaza en 2001 et ne permet aux marchandises d’entrer ou de quitter Gaza que par Israël. Les résidents palestiniens de la bande de Gaza ont la permission de franchir à pied la frontière entre la bande de Gaza et l’Égypte via le point de transit de Rafah, administré par la Mission d’assistance frontalière de l’Union européenne à Rafah, mais les étrangers doivent passer par Israël pour entrer ou sortir de la bande de Gaza.

Israël, qui maintient donc un contrôle de fait sur la bande de Gaza, reste lié à ses obligations de puissance occupante, comme le stipule la Quatrième Convention de Genève. Cette Convention (article 33) interdit le châtiment collectif des personnes protégées : « Aucune personne protégée ne peut être punie pour une infraction qu’elle n’a pas commise personnellement. Les peines collectives, de même que toute mesure d’intimidation ou de terrorisme, sont interdites. Le pillage est interdit. Les mesures de représailles à l’égard des personnes protégées et de leurs biens sont interdites. » Selon l’article 55 de la Quatrième Convention de Genève : « Dans toute la mesure de ses moyens, la Puissance occupante a le devoir d’assurer l’approvisionnement de la population en vivres et en produits médicaux ; elle devra notamment importer les vivres, les fournitures médicales et tout autre article nécessaire lorsque les ressources du territoire occupé seront insuffisantes. » En outre, l’article 59 précise : « Lorsque la population d’un territoire occupé ou une partie de celle-ci est insuffisamment approvisionnée, la Puissance occupante acceptera les actions de secours faites en faveur de cette population et les facilitera dans toute la mesure de ses moyens. »

Israël est également contraint par ses obligations d’État partie au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels - notamment l’article 11, qui affirme le droit de tous à un niveau de vie adéquat, notamment un niveau de vie suffisant, y compris une nourriture, un habillement et un logement suffisants, ainsi qu’à une amélioration constante des conditions d’existence, et l’article 12, qui affirme le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre.

Les procédures et délais très longs du point de passage de Karni/Muntar ont accru de manière importante le coût de l’import/export et les fermetures fréquentes ont encore aggravé la situation : certains produits s’abîment ou se gâtent, et les négociants palestiniens perdent des parts du marché à l’exportation, parce qu’ils ne peuvent garantir l’expédition de leurs marchandises à leurs clients.

La communauté internationale, notamment les Nations unies et l’Union européenne, exprime depuis des années son inquiétude devant les conséquences désastreuses pour l’économie palestinienne de la politique israélienne de fermetures imposées et de restrictions strictes des déplacements dans les Territoires occupés. En 2003, la Banque mondiale remarquait que la cause prochaine de la crise économique palestinienne était la fermeture [1].

La libre circulation des personnes et des biens est un élément essentiel d’une économie efficace, en particulier une économie jeune qui tente de se développer et de s’établir dans un contexte de dépendance lié à quatre décennies d’occupation. Dans la bande de Gaza, le chômage frappe la moitié de la population active, et les deux tiers environ de la population vivent dans la pauvreté et dépendent de l’aide internationale. Tant qu’Israël continuera à imposer des restrictions à la circulation des personnes et des biens, les Palestiniens n’auront guère l’espoir d’un avenir meilleur.

Ces dernières semaines, Israël a voulu imposer de nouvelles dispositions, selon lesquelles les marchandises à destination ou provenant de la bande de Gaza doivent passer par le point de Kerem Shalom, près de la pointe sud-est de la bande de Gaza. Selon le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), ce point de transit ne possède qu’une partie de la capacité de Karni/Muntar, et n’est pas équipé pour les tonnages importants nécessaires à la bande de Gaza [2]. En outre, l’utilisation de Kerem Shalom entraînerait un détour de plusieurs kilomètres tant du côté israélien que palestinien, augmentant encore le coût du transport pour les Palestiniens.

Notes

[1Twenty-seven months - Intifada, Closures and Palestinian Economic Crisis : An assessment, Banque mondiale, mai 2003

[2Gaza Strip Situation Report ; The Humanitarian Impact of the Karni Crossing Closure : Bread running out in Gaza, OCHA, 19 mars 2006

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