Alors que le monde marque le 50e anniversaire de l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de la bande de Gaza ainsi que du plateau du Golan, les autorités israéliennes relancent l’expansion constante des colonies de peuplement dans les territoires palestiniens occupés, ce qui a des conséquences désastreuses pour les droits fondamentaux des Palestiniens.
Malgré le consensus de la communauté internationale sur le caractère illégal de ces colonies, Israël est enhardi par le nouveau gouvernement américain à poursuivre leur établissement.
Une simple condamnation par les Nations unies, les États et les organisations nationales et internationales de défense des droits humains de la construction de colonies s’est révélée inefficace. Il est temps que les États prennent des mesures pour respecter leurs obligations découlant du droit international. Amnesty International appelle les États à prendre des initiatives pour mettre un terme au financement des colonies et à leur expansion en interdisant l’entrée sur leurs marchés des produits en provenance des colonies, et en règlementant les entreprises domiciliées sur leur territoire pour les empêcher d’avoir des activités dans les colonies ou de commercialiser des produits qui en proviennent.
Le regain d’expansion des colonies
L’illégalité des colonies israéliennes au regard du droit international, qui est reconnue de longue date par la très grande majorité des États, a été récemment réaffirmée par la résolution 2334 du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée en décembre 2016, qui a réitéré l’appel de cet organe à Israël pour qu’il cesse toutes ses activités de colonisation dans les territoires palestiniens occupés. La résolution demandait également à tous les États « de faire une distinction, dans leurs échanges en la matière, entre le territoire de l’État d’Israël et les territoires occupés depuis 1967 » . La politique israélienne d’implantation de civils dans les territoires occupés, l’appropriation massive de terres et de biens et leur destruction ainsi que l’utilisation à des fins privées des ressources naturelles des territoires palestiniens occupés constituent des violations flagrantes du droit international humanitaire et, conformément au droit international coutumier et au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), s’apparentent à des crimes au regard du droit international.
Toutefois, le gouvernement israélien enhardi par l’investiture en janvier 2017 du président américain Donald Trump, a agi rapidement pour poursuivre son programme de colonisation. Alors que le nouveau gouvernement américain a indiqué qu’il n’avait pas encore adopté de position officielle sur les colonies de peuplement, des déclarations du président Trump, qui sont en contradiction avec la politique menée jusqu’à présent par les Etats-Unis et avec le droit international, semblent avoir encouragé le gouvernement israélien à poursuivre ouvertement l’expansion des colonies. En janvier 2017, les autorités israéliennes ont annoncé la construction d’au moins 6 219 nouvelles unités de peuplement dans des colonies israéliennes existantes en Cisjordanie occupée, y compris à Jérusalem-Est. Depuis cette date, elles ont également approuvé la création d’une nouvelle colonie israélienne au nord-est de Ramallah et annoncé l’approbation imminente de la construction de 10 000 logements dans une autre colonie nouvelle au nord de Jérusalem, non loin de Ramallah. Le projet de construction de ces 10 000 logements au nord de Jérusalem avait été suspendu par le passé à la suite de pressions américaines. Par ailleurs, la Knesset (Parlement israélien) a adopté une loi qui légalise rétroactivement l’appropriation par des colons de terres palestiniennes privées, ce qui concerne au moins 4 000 logements de colons répartis sur 53 colonies et avant-postes. Qui plus est, au cours des derniers mois des responsables gouvernementaux israéliens et des membres de la Knesset ont ouvertement réclamé l’annexion officielle de la Cisjordanie, en totalité ou en partie, notamment en prenant des mesures pour appliquer les lois israéliennes dans certaines parties des territoires palestiniens occupés.
Les activités israéliennes de colonisation dans la zone C, où Israël exerce un contrôle total sur la sécurité et l’administration, peuvent déjà être décrites comme une « annexion progressive ».
Dans un discours prononcé en mars 2017 devant le Conseil de sécurité de l’ONU, le coordonnateur spécial des Nations unies pour le processus de paix au Moyen-Orient, Nikolaï Mladenov, a confirmé qu’aucune initiative n’avait été prise pour mettre un terme aux activités de colonisation dans les territoires palestiniens occupés et respecter ainsi la résolution 2334 du Conseil de sécurité.
Les colonies entrainent des atteintes massives aux droits humains
Amnesty International s’oppose de longue date aux colonies qui constituent une violation du droit international humanitaire et entraînent des atteintes massives aux droits humains. L’organisation continue d’appeler Israël à démanteler toutes les colonies et à transférer ses citoyens des territoires occupés vers le territoire israélien. Outre le fait qu’il s’agit de violations graves du droit international humanitaire qui constituent des crimes de guerre, les colonies et la politique israélienne de colonisation sont en soi discriminatoires et elles entraînent des atteintes graves aux droits fondamentaux des Palestiniens. Par exemple, le déplacement forcé et le transfert de civils palestiniens séparés de leur habitation et de leurs terres, la mainmise sur une grande échelle sur des biens et leur destruction ainsi que les restrictions à la liberté de circulation des Palestiniens sont des conséquences directes de la politique israélienne de colonisation.
Les colonies et les infrastructures correspondantes sont le moyen pour Israël d’exercer la mainmise sur l’accès aux ressources naturelles palestiniennes – à savoir l’eau, les terres agricoles fertiles, les carrières de pierres et la Mer morte riche en minéraux – ainsi que sur leur utilisation tout en empêchant les Palestiniens d’accéder à ces ressources, de les utiliser et d’en jouir ou en leur imposant des restrictions arbitraires. C’est ainsi que le contrôle exercé par Israël sur l’accès des Palestiniens à l’eau et les restrictions qui leur sont imposées sont tels qu’ils ne répondent pas aux besoins de la population et ne constituent pas une répartition équitable des ressources hydriques communes. L’appropriation de terres pour la construction de colonies illégales et d’infrastructures associées, notamment pour des activités économiques destinées à les soutenir et les maintenir, a eu des effets désastreux pour les droits des Palestiniens à un niveau de vie convenable, au travail, au logement, à la santé, à la liberté de circulation ainsi qu’à l’éducation, et elle a véritablement paralysé l’économie palestinienne.
Comment les colonies sont maintenues
Les colonies sont maintenues de plusieurs façons. Le gouvernement israélien accorde des subventions importantes, des incitations financières et fiscales et fournit des services publics et des ressources à bas coût pour encourager des juifs israéliens à s’installer dans les colonies et à renforcer leur économie. L’économie des colonies, qui entretient la présence et l’expansion des colonies, couvre les secteurs de la construction, de l’agriculture, de la fabrication, des services et du tourisme. Elle utilise des ressources palestiniennes appropriées illégalement – la terre, l’eau et les minéraux – qui sont ensuite transformées, essentiellement par des entreprises, pour produire des biens qui profitent à des entités privées et pour maintenir le projet de colonisation. Bon nombre de ces biens, notamment les produits manufacturés, sont ensuite exportés pour être vendus sur les marchés extérieurs. Il n’existe pas de statistiques officielles exactes de la valeur totale des produits fabriqués dans les colonies et qui sont exportés chaque année dans un but lucratif, mais on dispose d’informations qui peuvent être additionnées. Par exemple, en 2012, apparemment la dernière année pour laquelle des renseignements sur les exportations de produits industriels en provenance de Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et du plateau du Golan sont disponibles, la valeur totale des exportations de produits manufacturés des colonies était de 250 millions de dollars américains, dont environ 100 millions à destination de l’Union européenne. En 2015, le ministère israélien de l’Économie a estimé que la valeur annuelle des exportations des colonies vers l’Union européenne était comprise entre 200 et 300 millions de dollars américains.
Le lien entre les activités économiques des colonies, les exportations et le maintien des colonies a été renforcé dans le rapport de 2013 de la mission indépendante d’établissement des faits sur les colonies israéliennes créée en 2012 par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Ce document aborde spécifiquement le rôle des activités économiques dans l’entreprise israélienne de colonisation en faisant observer que « les entreprises ont, directement et indirectement, permis la construction et la croissance des colonies de peuplement, les ont facilitées et en ont profité ». Le rapport ajoute que « [c]’ est en étant pleinement informées de la situation actuelle et des risques associés en matière de responsabilité que les entreprises commerciales établissent leurs activités dans les colonies de peuplement, contribuant ainsi au maintien, au développement et à la consolidation de ces colonies ». Ce texte soulevait aussi des questions concernant le rôle des entreprises présentes dans les colonies dans le maintien de celles-ci et dans les atteintes aux droits des Palestiniens. Sur la base de ce rapport, le Conseil des droits de l’homme a adopté, en mars 2016, une résolution qui priait le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme d’établir une base de données des entreprises qui ont « directement ou indirectement, permis la construction et la croissance des colonies de peuplement, les ont facilitées et en ont profité » afin de mieux les conseiller et de les obliger à rendre des comptes pour leurs activités qui favorisent des violations du droit international.
En mars 2017, le Conseil des droits de l’homme a adopté une résolution demandant aux États, entre autres, de « faire une distinction, dans leurs échanges en la matière, entre le territoire de l’État d’Israël et les territoires occupés depuis 1967, en particulier de ne fournir à Israël aucune assistance qui serait utilisée spécifiquement pour les colonies de peuplement dans ces territoires, notamment en règlementant les relations commerciales avec les colonies de peuplement, conformément aux obligations de diligence qui leur incombent en vertu du droit international ».
La responsabilité des états tiers
Ainsi qu’Amnesty International l’a fait observer par le passé, tous les États parties à la Quatrième Convention de Genève sont tenus de « faire respecter » la convention. Aux termes du droit international humanitaire coutumier, tous les États doivent s’abstenir d’encourager des violations du droit international humanitaire, ils doivent au contraire user de leur influence pour y mettre un terme. Par ailleurs, les actes d’Israël pour créer des colonies et les maintenir violent une catégorie particulière d’obligations appelées normes impératives du droit international (jus cogens) auxquelles il ne peut en aucun cas être dérogé. Ces normes entraînent des obligations pour les États tiers (erga omnes).
L’établissement par Israël du programme de colonisation dans les territoires palestiniens occupés et son expansion continue ainsi que l’annexion de jure de Jérusalem-Est (et du plateau du Golan syrien occupé) constituent en soi des violations des normes impératives du droit international. Israël viole également la norme impérative de la prohibition d’infractions graves aux Conventions de Genève. Les violations par Israël des normes impératives entraînent des responsabilités pour les États tiers , notamment l’obligation de ne pas reconnaître une situation illicite créée par ces violations ainsi que celle de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de cette situation et de coopérer activement pour mettre un terme à la situation illicite créée par des violations de ces normes. Dans ses recommandations, la mission internationale d’établissement des faits sur les colonies de peuplement israéliennes a appelé tous les États membres à remplir leurs obligations résultant de la violation par Israël de normes impératives.
L’obligation de ne pas reconnaître comme licite la situation illicite prohibe non seulement la reconnaissance explicite mais elle s’étend aussi aux actes qui impliqueraient la reconnaissance. En autorisant l’entrée sur leurs marchés de biens produits dans les colonies et qui contribuent à leur maintien, les États tiers pourraient conférer une reconnaissance implicite à la création illicite des colonies dont proviennent ces produits. Ces États apportent aussi une aide au projet illégal de colonisation et ils contribuent au maintien de l’économie des colonies laquelle finance l’existence et l’expansion continue des colonies illégales. Les États doivent garantir le respect des Conventions de Genève et veiller à ne pas reconnaître comme licite la situation illicite des colonies et à ne pas leur venir en aide, notamment en leur fournissant les moyens de se maintenir.
C’est la raison pour laquelle Amnesty International appelle les États tiers à interdire, au moyen de lois et de règlements, l’importation vers leur marché de biens en provenance des colonies et à empêcher les entreprises domiciliées sur leur territoire d’avoir des activités dans les colonies ou de commercialiser des produits qui y sont fabriqués. Une telle interdiction leur permettrait de remplir leur obligation de ne pas reconnaître une situation illicite, de ne pas y apporter aide ni assistance et de coopérer par des moyens licites en vue de mettre fin aux violations graves du droit international commises par Israël.