Le système d’aide au logement mis en place par les autorités municipales de Rome est discriminatoire et fonctionne avec deux poids, deux mesures, empêchant des milliers de Roms de bénéficier d’un logement décent, écrit Amnesty International dans un rapport publié le 30 octobre.
« La municipalité de Rome maintient des milliers de Roms à l’écart de la société. Son système d’aide au logement est conçu et mis en œuvre de telle manière que ces personnes sont condamnées, uniquement en raison de leur origine ethnique, à vivre dans des logements insalubres à l’écart du reste de la population, dans des camps éloignés des services et des quartiers résidentiels. C’est une honte pour la ville de Rome », a déclaré John Dalhuisen, directeur du programme Europe et Asie centrale.
« Cette politique est menée avec la complicité tacite du gouvernement italien, qui ne fait rien pour garantir l’égalité de tous face à l’accès à un logement décent. Il s’agit d’un manquement évident à l’obligation qui incombe au pays, à la fois au titre du droit international et du droit européen, d’éliminer la discrimination et de protéger le droit à un logement convenable. »
Le rapport d’Amnesty International intitulé Double standards : Italy’s housing policies discriminate against Roma (voir document ci-dessous) décrit comment plus de 4 000 Roms vivant dans des camps officiels à Rome ont été victimes d’une discrimination systématique, en particulier lors de demandes de logements sociaux.
À la suite d’expulsions forcées, ils ont été installés dans des containers préfabriqués ou dans des mobile-homes, dans des camps à l’écart, surpeuplés et entourés de clôtures, construits et gérés par la municipalité. Cette situation limite énormément leurs chances d’intégration au sein de la population générale et de trouver un emploi stable.
Malgré les conditions déplorables dans lesquelles ils vivent, depuis plus de 10 ans, les critères de priorité appliqués les empêchent de bénéficier de logements sociaux. Les personnes déposant une demande pour ce type de logement doivent prouver qu’elles ont été expulsées légalement d’un logement de location privé, ce qui est impossible pour les Roms vivant dans des camps ou qui ont été expulsés de force.
Fin 2012, de nouveaux critères ont été ajoutés, donnant la priorité aux personnes extrêmement défavorisées vivant des logements temporaires fournis par des associations caritatives ou par la municipalité elle-même. Cependant, lorsque des Roms vivant dans des camps officiels ont commencé à déposer des demandes, la municipalité de Rome a rapidement spécifié de manière explicite que ces critères ne s’appliquaient pas à eux.
En 2008, l’ancien maire de Rome avait élaboré le « plan Nomades », visant à fermer les sites d’habitat informel et à séparer leurs occupants du reste de la population en les envoyant dans des camps officiels réservés aux Roms, situés loin des quartiers résidentiels.
Ce plan, partiellement mis en œuvre, a eu pour conséquence l’expulsion forcée de centaines de Roms. Beaucoup se sont retrouvés sans espoir, condamnés à une vie de ségrégation, de pauvreté et d’exclusion sociale.
« Le “plan Nomades”, exercice de remue-ménage onéreux, n’a absolument pas répondu aux besoins des Roms en matière de logement ni à la question plus large de leur intégration sociale. Même le gouvernement a reconnu sans équivoque que les grands camps situés à l’écart de la ville ont ruiné les vies de plusieurs générations de Roms », a déclaré John Dalhuisen.
Lors d’une rencontre avec Amnesty International lundi 28 octobre, la nouvelle équipe municipale a semblé disposée à abroger les instructions discriminatoires qui empêchent les Roms vivant dans des camps de bénéficier de logements sociaux, ce qui représenterait un pas important dans la bonne direction.
Elle a également indiqué que le « plan Nomades » avait été abandonné. C’est une bonne nouvelle. La municipalité de Rome doit poursuivre sur sa lancée en élaborant des initiatives concrètes visant, à court terme, à atténuer la ségrégation et à améliorer les conditions de vie des personnes vivant dans les camps, et en mettant en place des projets à long terme pour en finir avec le système parallèle de logement qui condamne les Roms à la vie dans des camps.
« Amnesty International ne demande pas que les Roms vivant dans des camps de la capitale soient prioritaires pour l’accès aux logements sociaux de la ville, qui sont en nombre limité. L’organisation demande qu’ils bénéficient des mêmes chances que le reste de la population, indépendamment de leur origine ethnique », a déclaré John Dalhuisen.
« Amnesty International défend le droit à un logement convenable pour tous et prie instamment la municipalité de Rome et le gouvernement à faire tout ce qui est en leur pouvoir afin d’accroître l’offre de logements aidés pour les milliers de familles de la capitale qui en ont désespérément besoin. »
Environ la moitié des Roms qui vivent en Italie ont la nationalité italienne. D’autres sont des réfugiés d’ex-Yougoslavie dont le statut est reconnu, des migrants venant principalement de Roumanie et des Balkans, ou encore des personnes apatrides, officiellement ou de fait.
« Les Roms font partie intégrante de la société italienne. Pourtant, ils restent parmi les personnes les plus gravement touchées par les conditions de logement inadaptées et une discrimination généralisée, à Rome et dans de nombreuses autres villes du pays. »
Les autorités locales et nationales ont pour obligation de faire respecter le principe de non-discrimination. La fin de la ségrégation de familles roms dans des camps n’est envisageable que si celles-ci peuvent bénéficier de conditions non discriminatoires en matière de logement, y compris de logement social.
« Rien ne peut excuser ou justifier des politiques discriminatoires en matière de logement. Le gouvernement italien doit revoir la législation et les pratiques dans ce domaine et supprimer tous les obstacles qui instaurent une discrimination envers les Roms et les maintiennent pris au piège dans des camps. »
« Si les autorités italiennes ne prennent pas immédiatement des mesures et continuent au contraire à bafouer aussi ouvertement la législation européenne relative à la discrimination, il est plus que jamais urgent que la Commission européenne engage une procédure d’infraction contre l’Italie. »
Témoignages
Miriana Halilovic, de nationalité italienne, est mariée et mère de quatre enfants, dont les plus jeunes ont vu le jour mi-2013. Après leur expulsion forcée d’une zone d’habitat informel en 2010, cette famille a été installée dans un tout petit mobile-home dans le camp officiel de Salone. « Lorsqu’ils nous ont fait partir de Casilino 900, ils nous ont dit que ce ne serait pas pour longtemps. Je suis là depuis trois ans et demi, maintenant. Ici on est isolé du reste du monde. Un de mes enfants me demande sans cesse : “Quand est-ce qu’on part d’ici ? Pourquoi on n’a pas de maison ?” Qu’est-ce que je devrais dire à mon fils ? Que les autres gens sont mieux que nous ? » Miriana attend de savoir si sa demande de logement social va aboutir.
Hanifa a 23 ans et vit dans le camp officiel de Castel Romano, à Rome, depuis trois ans avec son mari et ses cinq enfants. « Ils ont enlevé l’arrêt de bus. C’est comme d’être en prison. Si vous n’avez pas de voiture, vous pouvez même mourir par manque de nourriture ! »
Georgescu Vassile, boulanger, vient de Roumanie. Il est arrivé en Italie avec sa femme en 1999. « J’ai déposé une demande de logement social en 2001, j’avais huit points sur l’ancienne liste, ce n’était pas assez. Nous vivons à trois familles dans un seul container, avec mes deux fils, leurs femmes et mes trois petits-enfants. Nous avons pensé louer mais c’est très difficile. Pour 11 personnes, il faudrait payer 1 000 euros. Avec les frais, ça fait 1 500 euros. On ne peut pas se le permettre. On n’a que deux salaires. »