ITALIE - Lampedusa, l’île des promesses oubliées de l’Europe

Index AI : EUR 30/008/2005

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

Mai 2005 - Des centaines de gens arrivent à Lampedusa, le territoire habité le plus au sud de l’Italie. Ils sont entassés sur de vieux rafiots, qui ont étonnamment réussi à traverser la Méditerranée. Certains d’entre eux fuient les persécutions et la guerre ; d’autres cherchent simplement une vie meilleure.

Ils ne sont ni les premiers, ni les derniers. En mars 2005, décembre 2004 et octobre 2004, l’histoire était presque la même, tout comme sa conclusion. Les gens sont arrivés en Europe à la recherche de protection ou d’indépendance économique, et l’Italie les a refoulés en Libye sans même savoir qui ils étaient, ni leur donner accès à une procédure de demande d’asile régulière. Ce rejet ne vient pas seulement de l’Italie, mais de toute l’Union européenne.

Lampedusa se trouve plus près des côtes tunisiennes que de l’Italie continentale, mais la traversée du canal de Sicile est difficile : la mer est peu profonde et les fonds sont marécageux. Une embarcation peut donc facilement se retrouver prise au piège au milieu de nulle part, ou faire naufrage en cas de mauvais temps, souvent imprévisible. Il s’agit de l’une des raisons pour lesquelles des centaines de personnes meurent chaque année en tentant d’atteindre l’Europe. Le dernier épisode de ce type s’est produit à la fin mai 2005, quand 27 personnes ont fait naufrage. Seules 11 d’entre elles ont été secourues par deux bateaux de pêche siciliens, à quelque 230 kilomètres au sud de Lampedusa, et une centaine de kilomètres des côtes libyennes.

La bonne étoile de ces 11 survivants a pâli quand ils ont vu ce qui les attendait, eux et tous les autres qui avaient réussi à atteindre Lampedusa. Le centre de l’île, où sont détenus les ressortissants étrangers, est conçu pour accueillir 190 personnes, mais, lorsqu’il fait beau et que de nombreuses personnes tentent de traverser le Canal, il peut rapidement arriver plus de 1 000 personnes en quelques heures. En conséquence, le centre surpeuplé devient un lieu malsain et insalubre, avec seulement huit toilettes fonctionnant mal et un nombre de paillasses insuffisant pour dormir.

À l’intérieur du centre, une annonce écrite dans plusieurs langues constitue le seul renseignement donné aux arrivants : « Chers hôtes, vous vous trouvez à présent dans le Premier centre de réception de Lampedusa (Italie). Vous y resterez jusqu’à votre transfert vers un autre centre pour y être régulièrement identifié, où vous aurez l’occasion d’expliquer la raison de votre arrivée en Italie. Au cours de votre séjour ici, vous recevrez des soins médicaux élémentaires et un barbier est à votre disposition. Par respect pour ceux qui arriveront dans ce centre après vous, merci de prendre soin de l’ensemble du matériel et des lieux que vous utiliserez. Pour votre bien-être et celui des autres, merci de vous laver, vous et vos vêtements. Nous vous demandons d’être patient, de respecter le personnel travaillant pour vous pendant tout votre séjour, et de collaborer avec lui. Pour plus d’assistance ou d’informations, veuillez contacter un membre du personnel habillé en jaune ou bleu ciel ».

L’aspect le plus frappant de cette annonce est que de nombreuses personnes expulsées de Lampedusa en Libye, ces derniers mois, ne connaissaient même pas la véritable destination de leur vol et croyaient être transférées vers « un autre centre » d’Italie continentale pour être « régulièrement identifiées ». En fait, une seule chose est sûre : les gens ne sont pas régulièrement identifiés à Lampedusa. Malgré les affirmations du gouvernement italien, il n’est guère possible que des centaines de migrants soient identifiés dans les quelques heures ayant suivi leur arrivée (en octobre, décembre, mars et mai).

Les autorités affirment décider de qui sera envoyé en Italie continentale, et qui sera refoulé en Libye. Cependant, l’aspect physique et le langage parlé par le nouvel arrivant seraient les seuls facteurs pris en compte dans la détermination de la nationalité de ces personnes. Cette procédure est très discutable, non seulement par son manque d’exactitude sur un plan pratique, mais aussi parce qu’elle conduit à une discrimination des demandeurs d’asile potentiels en fonction de leur nationalité. La simple idée qu’une personne égyptienne n’ait pas le droit de demander l’asile en Italie - et qu’elle se voie donc refuser l’accès à la procédure à cause de sa nationalité - ouvre une brèche dans le système tout entier de protection internationale, et viole l’article 3 de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés, qui interdit la discrimination liée au pays d’origine.

Le gouvernement italien a refusé l’accès au centre de Lampedusa au Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés, au cours de ces « urgences », pour de prétendues « raisons de sécurité ». Cependant, en mars 2005, des enquêteurs libyens ont eu accès aux ressortissants étrangers à Lampedusa, violant la confidentialité des demandeurs d’asile libyens et non libyens présent dans le centre, ce qui pourrait valider des demandes de réfugiés au titre du « lieu sûr » (demande formulée après l’arrivée d’un demandeur dans le pays d’asile).

Après cette identification douteuse, plus d’un millier de migrants ont été menottés et mis dans des vols militaires ou charters ces derniers mois. Destination : la Libye, pays où les droits des réfugiés ne sont pas respectés. L’Italie a agi en violation de ses obligations internationales, notamment la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui interdit le renvoi forcé de quiconque dans un pays où cette personne risquerait de subir la torture ou autre mauvais traitement ; de même, le protocole 4 de cette Convention interdit les expulsions collectives de ressortissants étrangers. La Libye, à son tour, est aussi connue pour avoir violé ses obligations internationales de ne renvoyer personne vers un pays caractérisé par un risque de graves violations des droits humains, précédemment avéré.

En juillet et août 2004, la Libye a expulsé à deux reprises des centaines d’Érythréens vers leur pays d’origine. Nombre de ces personnes se trouveraient détenues au secret dans une prison également secrète, dans des conditions difficiles. Au moins un vol de Libye en Érythrée, en juillet 2004, a été financé par le gouvernement italien, aux termes du même accord bilatéral spécial conclu avec le gouvernement libyen, accord par lequel les expulsions sont effectuées.

Malgré les critiques qui montent à l’encontre du gouvernement italien, sa politique reste la même. Deux jours après la Journée mondiale des réfugiés (ce 20 juin dernier), où Amnesty International avait publié un rapport révélant l’ampleur des atteintes aux droits humains infligées aux ressortissants étrangers lors de leur détention dans les « centres temporaires d’aide et d’hébergement », les autorités italiennes ont renvoyé de force au moins 45 personnes en Libye ; elles ne leur auraient pas donné de réelle occasion de demander l’asile, ni de faire examiner leur demande dans le cadre d’une procédure juste et équitable. Le gouvernement a répondu au rapport d’Amnesty International en l’accusant de calomnie.

Lampedusa est une tache sur l’Europe : un avant-poste de l’Union européenne où les règles normales ne s’appliquent pas. De plus en plus de gouvernements, de par le monde, semblent adopter une démarche de type « loin des yeux, loin de l’esprit » dans de tels avant-postes : qu’il s’agisse du désert australien, d’une base militaire à Cuba ou de petites îles dans la mer Méditerranée. Cette situation ne peut plus continuer : il faut respecter le droit international et les obligations définies par des traités signés volontairement par les gouvernements. Dans le respect des engagements du gouvernement italien, les personnes arrivant à Lampedusa doivent pouvoir exercer leurs droits humains, notamment celui de demander l’asile.

Pour obtenir de plus amples informations, veuillez contacter le Service Presse d’Amnesty International au 02 543 79 04 ou consulter les sites http://www.amnesty.be et http://www.amnesty.org

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