Jamaïque. La reprise des pendaisons ne résoudra pas la crise de sécurité publique

DÉCLARATION PUBLIQUE

Index AI : AMR 38/005/2008

Alors que les parlementaires jamaïcains doivent voter sous peu une motion sur le maintien ou la suppression de la peine de mort, Amnesty International appelle les autorités jamaïcaines à rejeter ce châtiment et à accorder la priorité aux réformes de la police et de la justice afin de faire face à la flambée de la criminalité violente.

Ce vote a émergé à la faveur des débats sur la nouvelle proposition de Charte des droits et des libertés, qui doit remplacer le Chapitre III de la Constitution jamaïcaine dédié à la protection des libertés et des droits fondamentaux des personnes. Son objectif est de décider si les dispositions prévoyant, avec la condamnation à mort, des exceptions au droit à la vie et au droit de ne pas être soumis à la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants doivent être conservées ou supprimées de la Charte. En outre, ce vote intervient sur fond de flambée des crimes violents dans un pays qui connaît l’un des taux d’homicides par habitant les plus élevés au monde.

Consciente qu’un fort taux de criminalité se traduit par un grand nombre de victimes, Amnesty International se félicite que le gouvernement jamaïcain s’engage à s’attaquer à ce fléau. Toutefois, l’organisation est vivement convaincue que le recours à la peine de mort, qui constitue une peine cruelle, inhumaine et dégradante, n’est pas une méthode efficace pour prévenir le crime.

Étant donné la faible probabilité d’être jamais traduit devant les tribunaux, il est peu plausible qu’un criminel prenne en considération le risque d’être pendu avant de commettre un crime et s’abstienne de tout acte illicite. En revanche, le maintien de la peine capitale diffuse dans la société le message selon lequel le meurtre est autorisé. En outre, la peine de mort comporte un risque d’erreur irréversible. Dans divers pays, y compris la Jamaïque, elle a été prononcée contre des personnes innocentes du crime pour lequel elles étaient condamnées. De nombreuses études ont également montré que ce châtiment tend à être appliqué de manière discriminatoire, en fonction des origines ethniques et sociales. Dans un pays comme la Jamaïque, où le système de justice pénale est entaché de graves irrégularités et où la corruption gangrène diverses institutions, comment la population peut-elle en toute confiance croire que l’État ne mettra pas à mort des innocents ?

D’après Amnesty International, la peine de mort n’est pas la solution à cette effroyable criminalité. Pour trouver des réponses, mieux vaut entre autres accorder la priorité aux réformes de la police et de la justice déjà engagées. Il s’agit notamment de mettre en œuvre les recommandations formulées à l’issue de l’examen stratégique de la police jamaïcaine et du rapport pour la réforme du secteur judiciaire, et d’accélérer l’adoption de la loi qui prévoit la mise sur pied d’une commission indépendante chargée d’enquêter sur les brutalités policières et d’un bureau du coroner chargé d’enquêter sur les homicides présumés imputables à la police.

Le monde entier tourne le dos à la peine de mort. Depuis 2003, sur les continents américains, seuls les États-Unis continuent à procéder à des exécutions – dont le nombre est toutefois en net recul. Cent trente-sept États ont aboli la peine de mort en droit ou en pratique et seules 24 nations ont procédé à des exécutions en 2007. De vastes portions du monde ont désormais renoncé à ce châtiment.

À l’approche du 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), Amnesty International appelle la Jamaïque à rejoindre la tendance mondiale qui met en évidence le caractère inutile des exécutions et leur effet déshumanisant sur toute société qui y recourt. Les décideurs en Jamaïque doivent de toute urgence dépolitiser la question de la peine de mort et prendre des mesures concrètes afin d’élaborer et de mettre en œuvre des mesures efficaces visant à faire régresser les taux alarmants de criminalité violente. La peine capitale s’inscrit dans une culture marquée par la violence, sans apporter de remède à ce fléau.

Complément d’information

En Jamaïque, la dernière exécution remonte au 18 février 1988. Plus de 190 prisonniers se trouvaient sous le coup d’une sentence capitale à la fin de l’année 1988. Ils sont neuf aujourd’hui. Cette diminution est attribuable à trois événements principaux. En 1992, le Parlement jamaïcain a modifié la Loi relative aux crimes et aux délits contre les personnes afin de ranger les meurtres dans la catégorie des crimes non passibles de la peine de mort. Appliquée de manière rétroactive, cette modification législative s’est traduite pour nombre de personnes condamnées à mort de manière automatique par la commutation de leurs peines en détention à perpétuité. Ensuite, en 1993, le Comité judiciaire du Conseil privé (JCPC), la plus haute instance jamaïcaine qui siège en Angleterre, a statué, dans l’affaire Pratt et Morgan c. Procureur général de la Jamaïque, que le fait d’exécuter une personne ayant passé une période prolongée dans le quartier des condamnés à mort viole l’article 17 de la Constitution jamaïcaine, qui prohibe les peines ou traitements inhumains et dégradants . Conformément à l’orientation définie par cette affaire, les condamnations à mort de personnes ayant passé cinq ans dans l’antichambre de la mort en Jamaïque sont commuées en peines de détention à perpétuité. Enfin, à la suite de l’arrêt rendu par le JCPC en 2004 dans l’affaire Lambert Watson c. Procureur général de la Jamaïque, les condamnations à mort prononcées automatiquement pour punir certains crimes ne sont plus autorisées. Au lendemain de cette décision, de nouvelles audiences ont eu lieu et de nombreux condamnés à mort ont vu leurs peines commuées.

La Jamaïque, comme tous les États caribéens anglophones, s’est prononcée contre un moratoire mondial sur la peine capitale lors de la 62e Assemblée générale des Nations unies en décembre 2007.

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