JAMAÏQUE : Le gouvernement manque à ses obligations envers les proches des Sept de Braeton - des preuves accablantes d’exécutions extrajudiciaires laissées sans suite

Index AI : AMR 38/007/2003

Amnesty International a déclaré ce jeudi 13 mars que le gouvernement
jamaïcain ayant manqué à ses obligations de justice dans l’affaire des "
Sept de Braeton ", elle aiderait les proches de ceux qui ont été tués à
porter leur dossier devant la Commission interaméricaine des droits de
l’homme.

" Il y aura deux ans demain, sept jeunes hommes ont perdu la vie aux mains
des forces de police jamaïcaine. En dépit de ce lourd tribut en vies
humaines dû à un seul événement, l’enquête sur les causes de ces décès a été
tout à fait insuffisante. Toutes les preuves convergent pour qualifier la
mort de ces jeunes gens d’exécution extrajudiciaire, a déclaré Amnesty
International ce jeudi.

" Les demandes d’explication des familles des Sept de Braeton qui veulent
que justice soit rendue n’ont pas été entendues par les autorités de la
Jamaïque. Il semble que ces familles doivent se tourner vers la communauté
internationale pour continuer leur combat et savoir la vérité sur la mort de
leurs enfants. "

Un nouveau rapport publié ce jeudi sous le titre Jamaica : The Killing of the
Braeton Seven - A Justice System on Trial [Jamaïque : l’homicide des Sept de
Braeton - Un système judiciaire en procès (non traduit en français)] examine
la version policière de l’homicide des sept jeunes gens, les déclarations de
résidents du quartier de Braeton et l’enquête judiciaire qui a suivi.

Le rapport inclut les points de vue d’experts en balistique, en médecine
légale, en armes à feu et en pathologie. Tous les experts consultés ont
indiqué clairement et de manière unanime que toutes les preuves allaient
dans le sens d’une exécution extrajudiciaire des sept victimes.

" En dépit de preuves éclatantes établissant que les sept avaient été
exécutés de façon extrajudiciaire, les autorités n’ont pris aucune mesure
réelle pour que les responsables aient à rendre compte de leurs actes. C’est
un cas de figure habituel en Jamaïque, où des policiers peuvent tuer en
toute impunité On entend pratiquement jamais parler de procès de policiers -
encore moins de condamnations. Le gouvernement doit prendre des mesures
urgentes pour faire en sorte que la police ait à rendre des comptes aux
citoyens au service desquels elle se trouve ", a déclaré l’organisation.

Amnesty International soutient pleinement les efforts de la police et du
gouvernement qui cherchent à faire diminuer la criminalité en Jamaïque.
Toutefois cet objectif ne pourra être atteint par des forces de police
agissant en toute impunité. La criminalité ne peut être stoppée par des
autorités qui avalisent le non-respect de la loi par des policiers en ne
réagissant pas de manière effective.

" Il y a des personnes à l’intérieur de la société jamaïcaine qui pensent
que les exécutions extrajudiciaires sont un mal nécessaire dans le combat
contre la criminalité. Mais en réalité le fait que des policiers enfreignent
la loi et se rendent responsables d’atteintes aux droits humains augmente le
taux de criminalité et ne contribue pas à réduire le nombre d’infractions.
La police a besoin du soutien du public dans son combat pour enrayer la
criminalité, mais le public ne peut faire confiance à des policiers qui
tuent leurs concitoyens de manière injustifiable. "

La police jamaïcaine continue de tuer à un rythme alarmant. Cent
trente-trois personnes ont été tuées par la police en 2002.

" Les policiers ont le droit et le devoir de se protéger et de protéger les
personnes lorsque eux-mêmes ou d’autres personnes sont menacés. Cependant,
les policiers doivent respecter les droits fondamentaux des citoyens de ce
pays, qu’ils soient ou non en règle avec la justice. Toute atteinte aux
droits fondamentaux des citoyens jamaïcains doit être punie, qu’elle ait été
commise par une personne privée ou par un représentant de la loi. "

Au cours des dernières semaines, le gouvernement jamaïcain semble avoir pris
des mesures radicales pour combattre la corruption dans les rangs de la
police jamaïcaine. Amnesty International demande au gouvernement d’adopter
des mesures similaires pour que les responsables d’exécutions
extrajudiciaires soient amenés à rendre des comptes. À la connaissance
d’Amnesty International, aucun policier n’a été reconnu coupable d’avoir
commis des exécutions extrajudiciaires depuis 1999, bien que plus de six
cents homicides aient eu lieu depuis cette date aux mains de la police, dans
des circonstances non-élucidées.

Complément d’information
Sept jeunes hommes, Reagon Beckford, quinze ans, Lancebert Clark, dix-neuf
ans, Christopher Grant, dix-sept ans, Curtis Smith, vingt ans, Andre Virgo,
vingt ans, Dane Reynaldo Whyte, dix-neuf ans et Tamayo Wilson, vingt ans -
communément appelés les Sept de Braeton - ont été tués le 14 mars 2001,
avant l’aube, par des policiers de la Crime Management Unit (CMU, Unité de
lutte contre le crime), une unité spécialisée de la police jamaïcaine.
Dans leurs déclarations en tant que témoins, les policiers ont déclaré avoir
été pris sous le feu de tirs venant de la maison, après s’être identifiés et
avoir demandé aux occupants de se rendre. Les policiers prétendent avoir
riposté une fois qu’ils se trouvaient à l’intérieur de la maison et avoir
tiré en direction des "flashes " que faisaient les armes de ceux qui
tiraient. Les sept jeunes gens ont été tués ; on a relevé quarante-six
impacts de balles en tout, dont quinze à la tête.
Les habitants du quartier ont donné une version différente ; selon leurs
témoignages, les jeunes gens ont imploré grâce avant d’être tués un par un
par les policiers. Bien qu’une enquête ait été menée par la police et une
unité d’enquête civile indépendante, personne n’a eu de compte à rendre. Le
jury du coroner (officier judiciaire chargé de faire une enquête en cas de
mort violente, subite ou suspecte) a conclu par six voix à quatre que
personne ne pouvait être reconnu responsable pénalement de la mort des
jeunes gens. Amnesty International pense que l’enquête pour rechercher les
causes de ces décès a été entachée d’importantes irrégularités.
En préparant son rapport, Amnesty International a demandé à Jon Vogel,
inspecteur technique spécialisé dans les armes à feu et officier de police
britannique, d’examiner les éléments de preuve fournis par les impacts de
balles relevés sur les corps des sept jeunes gens. Après examen des
autopsies officielles et autres preuves authentiques, l’inspecteur Vogel a
conclu que :
" Il n’est pas vraisemblable que Curtis Smith et Andre Virgo aient été tués
de la manière décrite par la police. Le trajet des balles sensées les avoir
atteints à la tête, tel qu’il a été décrit par les policiers dans leurs
déclarations, est hautement improbable. Mon opinion est que les jeunes gens
ont eu la tête maintenue immobile au moment où les coups ont été tirés à une
distance relativement proche. "
Selon le rapport de l’inspecteur Vogel, lorsqu’on tire dans l’obscurité en
direction d’armes qui viennent de faire feu, " il n’est pas possible de
riposter à une menace individuelle " et l’on peut s’attendre à ce que " les
tirs ne soient pas d’une grande précision ". Les tirs semblent donc avoir
été " ajustés de manière délibérée ".
La Jamaïque connaît actuellement un taux de criminalité extrêmement élevé.
En 2002, 1045 personnes auraient été victimes de meurtre, dont 16 policiers.
Selon les statistiques des Nations unies, c’est l’un des taux les plus
élevés par habitant dans le monde.

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