JAPON. Le Japon laisse passer l’occasion de rendre justice aux « femmes de réconfort »

Index AI : ASA 22/007/2010 (Public)

ÉFAI - 13 août 2010

Alors que l’on commémore le 65ème anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Japon vient une nouvelle fois de laisser passer l’occasion de présenter des excuses complètes dépourvues de toute ambiguïté, de reconnaître sa responsabilité légale et de fournir des réparations appropriées aux survivantes du système d’esclavage sexuel mis en place par l’armée impériale du Japon (appelé par euphémisme système des « femmes de réconfort »).

Le 29 août 2010 sera également le 100ème anniversaire de l’annexion de la Corée par le Japon. À cette occasion, le Premier ministre Naoto Kan a fait une déclaration, dans laquelle il exprime son « profond remords » pour la période de colonisation de la Corée du Sud, omettant toutefois de mentionner les « femmes de réconfort ».

C’est une grave omission, étant donné que le système d’esclavage sexuel mis en place par l’armée impériale s’est développé en même temps que la colonisation et l’expansion militaire japonaises en Asie. La majorité des victimes de ce système d’esclavage étaient chinoises, coréennes, taïwanaises, philippines, malaisiennes, indonésiennes, hollandaises, du Timor occidental ou du Japon.

Mun Pil-gi, par exemple, adolescente coréenne, avait appris d’un voisin qu’elle pouvait aller travailler en usine pour se faire de l’argent. Mais au lieu d’une usine, elle s’est retrouvée dans un train pour la Chine avec une vingtaine d’autres jeunes filles ; elle est restée prisonnière d’une « maison de réconfort » pendant environ 3 ans, jusqu’à la fin de la guerre. Avant de mourir en 2008, elle a déclaré : « Le gouvernement japonais doit nous indemniser. Ils doivent présenter des excuses. Nous avons assez souffert. Je ne peux décrire avec des mots combien nous avons souffert. » Les autres survivantes du système d’esclavage sexuel de l’armée japonaise sont aujourd’hui âgées ; beaucoup d’entre elles, comme Mun Pil-gi, sont décédées sans que justice leur ait été rendue.

Jusqu’à 200 000 femmes ont été réduites en esclavage par l’armée impériale japonaise de 1932 environ à la fin de la Seconde Guerre mondiale. La grande majorité des femmes victimes de cet esclavage sexuel avaient moins de 20 ans ; certaines n’avaient que 12 ans lorsqu’elles ont été enlevées. L’armée impériale japonaise a eu recours à la violence et à la ruse pour faire venir des femmes et des jeunes filles. Les rescapées ont rarement parlé de ce qu’elles avaient vécu, bien qu’elles aient souffert de problèmes de santé physiques et mentaux, d’isolement, de honte et souvent d’extrême pauvreté du fait de leur servitude.

Ce n’est qu’en août 1991, quarante-six ans après la fin de la guerre, que Kim Hak-soon est devenue la première rescapée à parler publiquement de ce qu’elle avait souffert. Âgée de 74 ans, elle avait pris cette décision parce qu’elle n’avait plus de proches encore vivants susceptibles d’être affectés par son passé. Elle a insufflé à beaucoup d’autres femmes le courage de briser le silence qui les entourait, comme Lola Rosa Hensen qui a lancé à la télévision et à la radio philippines un appel aux rescapées pour qu’elles osent venir témoigner sans honte et réclamer justice.

Le gouvernement japonais a toujours vigoureusement défendu sa position légale sur cette question, persistant à dire que toutes les questions de réparation avaient été réglées par les traités de paix signés après la guerre. Cependant à l’époque, ces traités n’avaient pas reconnu le système d’esclavage sexuel et ne prévoyaient pas de réparations pour les victimes à titre individuel. Amnesty International considère qu’en refusant de leur rendre justice le gouvernement japonais ne fait qu’aggraver les violations des droits humains qui ont été perpétrées contre ces femmes. Si le gouvernement avait reconnu ces crimes et accordé réparation aux victimes en temps voulu, elles auraient peut-être pu faire face aux problèmes physiques et mentaux auxquels elles ont été confrontées et n’auraient pas été forcées de vivre dans la honte et la pauvreté.

En mai 2010, lors de la 14ème session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies à Genève, la rapporteuse spéciale des Nations unies chargée de la question de la violence contre les femmes a rendu un rapport dans lequel elle note que les victimes ayant survécu à des crimes sexuels ne veulent pas de compensation économique sans excuses officielles et reconnaissance officielle de la responsabilité de l’État. Au cours d’une visite au Japon en mai 2010, Navy Pillay, haut-commissaire aux droits de l’homme a également appelé le gouvernement à prendre davantage que des « demi mesures » et à traiter une fois pour toutes de la question des « femmes de réconfort » en présentant des excuses et en accordant des réparations aux milliers de femmes victimes de servitude sexuelle pendant la guerre.

Depuis 2007, le Canada, la Corée du Sud, les États-Unis, les Pays-Bas, Taïwan et le Parlement européen qui représente les 27 États membres de l’Union européenne, ont adopté des résolutions appelant le gouvernement japonais à rendre justice à ces femmes. Depuis 2008, 21 municipalités japonaises ont adopté des résolutions soutenant l’appel à la justice et la demande de réparations des survivantes du système d’esclavage sexuel de l’armée impériale japonaise.

Les organismes internationaux de surveillance des droits humains tels que le Comité des droits de l’homme, le Comité des Nations unies contre la torture et le Comité de l’ONU pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes ont tous appelé le gouvernement japonais à rendre justice aux « femmes de réconfort ».

Amnesty International appelle le gouvernement japonais à accorder pleine et entière réparation à toutes celles qui ont souffert, notamment à :
  reconnaître son entière responsabilité, y compris sa responsabilité légale, dans le système des « femmes de réconfort », en reconnaissant publiquement les souffrances auxquelles ces femmes ont été soumises ;
  présenter des excuses complètes dépourvues de toute ambiguïté pour les crimes commis contre ces femmes ;
  indemniser directement, de manière réelle et appropriée, les victimes et leur proche famille ;
  rendre compte de manière exacte du système d’esclavage sexuel dans les manuels d’enseignement sur la Seconde Guerre mondiale.

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