JAPON - Les appels en faveur d’indemnités de réparation ne sont pas entendus

Index AI : ASA 22/013/2005

Amnesty International a appelé ce vendredi 28 octobre le gouvernement japonais à reconnaître son entière responsabilité pour les crimes commis contre les « femmes de réconfort », ces femmes transformées en esclaves sexuelles par leurs ravisseurs japonais avant et pendant la Seconde Guerre mondiale.

Dans un rapport détaillé sur les survivantes du système d’esclavage sexuel mis en place par les soldats japonais, (intitulé en anglais Still Waiting after 60 Years : Justice for Survivors of Japan’s Military Sexual Slavery System), l’organisation brosse un tableau du traitement brutal enduré par les « femmes de réconfort » et dresse la liste des excuses données au fil des ans pour nier toute responsabilité pour leurs souffrances. Jusqu’à 200 000 femmes ont servi d’esclaves sexuelles aux soldats japonais avant et pendant la Seconde Guerre mondiale ; parmi elles, beaucoup avaient moins de vingt ans, certaines n’étaient âgées que de douze ans. Le rapport fait également un certain nombre de recommandations au gouvernement japonais et à la communauté internationale pour que justice soit rendue à toutes celles qui vivent encore aujourd’hui.

« Le gouvernement japonais doit enfin réparer une injustice datant de plus de soixante ans et accorder des réparations pleines et entières aux survivantes de ce système d’esclavage sexuel horrible », a déclaré Purna Sen, directeur du programme Asie-Pacifique d’Amnesty International.

Les survivantes du système des « femmes de réconfort » sont aujourd’hui âgées ; on ne sait pas combien d’entre elles sont mortes sans que justice leur ait été rendue, sans que des excuses publiques adéquates leur aient été faites et sans avoir reçu d’indemnisation directe du gouvernement japonais. Pendant des années, le gouvernement japonais a nié de façon constante toute responsabilité dans le système d’esclavage sexuel mis en place par les troupes japonaises et ce n’est que lorsque des preuves directes de l’implication du gouvernement japonais ont été mises en évidence que celui-ci a finalement admis sa responsabilité.

« Les excuses présentées aux anciennes « femmes de réconfort » ont été insuffisantes, vagues et jugées inacceptables par celles qui ont survécu. En outre, les normes internationales en matière de réparations ne sont pas respectées par le Fonds pour les femmes asiatiques que beaucoup de survivantes soupçonnent de vouloir acheter leur silence, selon Purna Sen.

« C’est une question de droits humains qui a toute son actualité et ne doit pas être reléguée dans le passé - on parle ici de vies détruites et d’un déni continu de justice et de réparations, déclare Puna Sen. Les réparations dans ce dossier ne sont pas seulement une obligation morale. Tout État qui commet des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité tels que le viol et l’esclavage sexuel a également l’obligation légale d’accorder pleine réparation aux survivants et de leur faire la promesse directe qu’un tel schéma ne se reproduira plus. »

Le gouvernement japonais prend pour argument que le viol n’était pas un crime de guerre avant 1949, date à laquelle il a été inscrit dans la Quatrième Convention de Genève. Amnesty International affirme dans son rapport qu’il existe un certain nombre d’éléments prouvant que le viol dans le cadre d’un conflit armé était considéré comme un crime en droit international coutumier durant toute la période pendant laquelle le système d’esclavage sexuel mis en place par le gouvernement japonais a fonctionné.

« j’ai été emmenée en Chine à l’âge de seize ans », explique Lee Ok-sun, ressortissante de la Corée du Sud aujourd’hui âgée de soixante-dix-neuf ans, enlevée et emmenée à Yanbian, dans le nord-est de la Chine - pour y servir en tant qu’esclave sexuelle dans un « centre de réconfort ».

« Les filles étaient âgées de quatorze à dix-sept ans. Ils nous forçaient à être à la disposition de 40 à 50 soldats chaque jour, précise-t-elle. C’était impossible de satisfaire tellement d’hommes, alors j’ai refusé et on m’a battue. Quand une femme refusait, ils lui tailladaient le corps à coups de couteau ; certaines filles ont été poignardées, d’autres sont tombées malades et sont mortes [...] Ça a été une expérience très douloureuse. On n’avait pas assez à manger, on ne dormait pas assez et je ne pouvais même pas me suicider. Je ne pensais plus qu’à m’échapper. » Lee Ok-sun est restée cinquante-huit ans en Chine avant de pouvoir rentrer en Corée du Sud.

« Nous voulons que ce que nous avons vécu soit inscrit dans les livres d’histoire pour que la prochaine génération et les gens d’autres pays sachent ce qui nous est arrivé et pour qu’on nous rende justice, déclare Lola Pilar des Philippines, dans le rapport d’Amnesty International. Le gouvernement japonais doit reconnaître ce que les soldas japonais ont fait.. Nous voulons des excuses et des réparations du gouvernement japonais. »

« Plus que l’argent, je veux la justice, déclare en écho Lola Amonita, autre survivante originaire des Philippines. Je veux que le gouvernement japonais présente publiquement ses excuses. »

Complément d’information

« Femmes de réconfort » est un euphémisme utilisé pour désigner les jeunes femmes philippines, thaïlandaises, vietnamiennes, malaisiennes, chinoises, coréennes du nord et du sud, japonaises, indonésiennes, hollandaises et d’autres pays ou régions occupés par des troupes japonaises, transformées en esclaves sexuelles par les soldats japonais avant et pendant la Seconde Guerre mondiale.

Les abus se sont produits dans les « centres de réconfort » créés par les autorités japonaises partout où étaient basées leurs troupes pendant les conflits. Des femmes étaient amenées dans ces centres après avoir été enlevées ou sur la foi de fausses promesses, parfois après avoir été achetées à leurs parents dans la misère.

Malgré la prévalence de ces viols presque toujours institutionnalisés, le Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient qui a été créé après la guerre pour juger les criminels de guerre japonais ne s’est pas intéressé au sort des « femmes de réconfort ». Seul le tribunal militaire hollandais mis en place en Indonésie a engagé des poursuites, mais celles-ci ne portaient que sur l’esclavage sexuel de femmes hollandaises. Les crimes de même nature commis contre des Indonésiennes sont demeurés impunis.

Humiliées et honteuses, les « femmes de réconfort » qui ont survécu ont gardé le silence durant des dizaines d’années avant de commencer à parler au début des années 90, en réaction au déni persistant du gouvernement japonais de son implication dans le système. Celles qui ont survécu ont été traumatisées, beaucoup ne se sont jamais mariées et beaucoup n’ont pu avoir d’enfants en raison des blessures dues aux viols à répétition ou aux maladies sexuellement transmissibles contractées alors.

Le gouvernement japonais a nié toute responsabilité dans le système des « femmes de réconfort » jusqu’à la preuve de son implication par le professeur Yoshimi Yoshiaki en 1992 ; le gouvernement japonais a depuis fait plusieurs fois des excuses officielles, jugées inacceptables par celles qui ont survécu. De plus, en réaction à la campagne que mènent infatigablement les survivantes du système d’esclavage sexuel et tous ceux qui les soutiennent et en réponse aux critiques internationales, le gouvernement japonais a créé en 1995 le Fonds pour les femmes asiatiques. Toutefois, celui-ci est largement perçu par les survivantes comme un moyen, pour le gouvernement japonais, d’échapper à ses responsabilités internationales et légales vis-à-vis d’elles.

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