Jordanie, Il faut mettre un terme au transfert forcé de réfugiés syriens

Jordanie réfugiés

Le 10 août, les autorités jordaniennes ont transféré de force au moins 16 réfugié·e·s syriens, dont huit enfants âgés de quatre à 14 ans, dans un camp informel situé dans un no man’s land, dans le désert entre la Syrie et la Jordanie.

Le camp informel de Rukban [1] se trouve dans un secteur isolé et inhospitalier à la frontière, appelé la berme. Ses 10 000 habitant·e·s n’ont pas accès à une nourriture suffisante et abordable, à l’eau potable, à des soins médicaux ni à des installations sanitaires. Ces conditions ont amené une famille qui avait été transférée par les autorités jordaniennes à retourner en Syrie, par désespoir. En outre, un réfugié, âgé de 21 ans, a été expulsé de Jordanie et transféré de force depuis la berme vers une zone contrôlée par le régime syrien.

« Détenir et transférer de force des réfugié·e·s est une violation flagrante de leurs droits à la liberté et à la liberté de circuler librement, et les envoyer dans la berme bafoue leurs droits à la santé et à un niveau de vie suffisant. Les conditions dans le camp informel de Rukban sont si dures que certains réfugié·e·s envoyés là-bas choisissent de retourner en Syrie, où ils risquent pourtant leur vie, a déclaré Marie Forestier, chercheuse sur les droits des personnes réfugiées et migrantes à Amnesty International.

« Nous appelons les autorités jordaniennes à mettre fin aux transferts forcés. Elles doivent veiller à ce que toutes les personnes transférées puissent revenir en Jordanie en toute sécurité et à ce que tous les habitant·e·s du camp aient accès à des biens et services essentiels, notamment en autorisant l’acheminement sans restrictions de l’aide humanitaire. »

« Détenir et transférer de force des réfugié·e·s est une violation flagrante de leurs droits à la liberté et à la liberté de circuler librement, et les envoyer dans la berme bafoue leurs droits à la santé et à un niveau de vie suffisant. Les conditions dans le camp informel de Rukban sont si dures que certains réfugié·e·s envoyés là-bas choisissent de retourner en Syrie, où ils risquent pourtant leur vie »

Amnesty International s’est entretenue avec deux hommes transférés dans le camp avec leurs familles, deux dirigeants du camp, un infirmier, une patiente et un employé d’une organisation humanitaire internationale.

Transferts forcés sans avertissement ni explication

Houssam*, âgé de 49 ans, originaire de la province de Deraa et père de cinq enfants, et Bassam*, originaire de Hama et père de trois enfants, ont été transférés dans le camp le 10 août avec leurs épouses et leurs enfants. Ils ont déclaré que les forces de la Sûreté générale jordaniennes les ont arrêtés la nuit dans le camp d’Azraq, un camp de réfugiés syriens situé dans le gouvernorat d’Azraq, où ils vivaient depuis environ cinq ans, sans leur donner aucune explication et sans leur permettre d’emporter leurs affaires.

D’après Bassam, les agents de la Sûreté générale l’ont interrogé au sujet de sa famille et notamment de son fils de 19 ans, qui avait volé du matériel utilisé pour construire des caravanes dans le camp. D’après Houssam, les agents lui ont confisqué la carte de résidence jordanienne de sa famille.

Le 10 août, des agents de la Sûreté générale ont fait sortir le fils de Houssam de prison, où il était enfermé depuis deux semaines pour ce vol présumé et l’ont expulsé, avec sa famille, ainsi que Bassam et sa famille, et deux autres hommes, vers la berme, à bord d’un bus. Houssam et Bassam ont déclaré qu’ils n’avaient pas bénéficié d’une assistance juridique, et n’avaient donc pas pu contester leur transfert et qu’ils ignoraient toujours quels en étaient les motifs.

Houssam et Bassam sont arrivés avec leurs familles à la berme sans aucune affaire et sans argent pour acheter de la nourriture et de l’eau.

« Soit vous allez dans une zone contrôlée par le régime [sous le contrôle du gouvernement syrien], soit vous mourez de faim ici, tellement la situation est désastreuse », a déclaré Bassam.

« Nous sommes littéralement assis par terre. Nous n’avons pas de couverture pour la nuit, pas d’oreiller, pas de vêtements chauds. Tout est très cher, c’est très difficile de trouver de quoi manger », a déclaré Houssam.

Outre les 16 personnes transférées de force le 10 août, deux familles syriennes ont été transférées vers la berme fin juillet, mais Amnesty International n’a pas pu établir si ce retour était volontaire ou non.

Contraints de retourner dans une zone contrôlée par le gouvernement en Syrie

Deux dirigeants communautaires dans la berme ont déclaré que l’une des deux familles syriennes transférées dans la berme en juillet est retournée immédiatement dans une zone contrôlée par le régime en Syrie, du fait des conditions déplorables dans le camp et malgré ses craintes de subir des violations des droits humains.

« Transférer de force des réfugié·e·s vers un endroit où ils risquent de subir de graves atteintes ou violations des droits humains s’apparente à un refoulement, ce que prohibe le droit international. En outre, le fait que ces transferts aient par la suite poussé des gens à rentrer en Syrie, qu’ils avaient fuie, souligne à quel point la vie dans la berme est insupportable, a déclaré Marie Forestier.

« Le gouvernement jordanien doit s’acquitter de ses obligations internationales, et notamment respecter le principe de non-refoulement. »

« Transférer de force des réfugié·e·s vers un endroit où ils risquent de subir de graves atteintes ou violations des droits humains s’apparente à un refoulement, ce que prohibe le droit international. En outre, le fait que ces transferts aient par la suite poussé des gens à rentrer en Syrie, qu’ils avaient fuie, souligne à quel point la vie dans la berme est insupportable »

Expulser des gens en pleine pandémie risque également de favoriser la propagation du COVID-19, d’autant qu’il n’existe pas d’espace de quarantaine dans le camp informel de Rukban, qui compte 10 000 habitant·e·s. Des agents des forces de sécurité jordaniennes ont pris la température des Syrien·ne·s avant leur transfert, ont expliqué des réfugié·e·s, mais cette mesure est insuffisante pour contenir la propagation du virus. En outre, les structures médicales dans la berme sont totalement inadaptées.

Conséquences mortelles de l’absence de soins de santé

En mai dernier, Amnesty International a demandé [2] aux autorités jordaniennes de permettre aux habitant·e·s de la berme de se rendre dans des structures de soins en Jordanie. Pourtant, jusqu’à présent, ceux qui ont besoin de soins médicaux se voient refuser l’entrée en Jordanie, ce qui met leur santé et parfois leur vie en péril.

Le 2 septembre, une femme a donné naissance à un bébé mort-né dans le camp de Rukban. Un infirmier du camp a avancé que sa mort était due au manque de liquide amniotique en raison de la pénurie d’eau potable. Cette femme a expliqué qu’elle n’avait pas les moyens d’acheter suffisamment d’eau en bouteille.

Les gouvernements syrien et jordanien doivent sans attendre garantir que l’aide humanitaire puisse être acheminée sans restriction jusqu’à la berme. Depuis un an, les convois ont été stoppés.

Par ailleurs, la communauté internationale doit renforcer nettement ses engagements en matière de réinstallation pour les réfugié·e·s syriens en Jordanie et contribuer financièrement aux efforts des autorités jordaniennes concernant l’accueil des réfugié·e·s.

* Tous les noms des personnes citées ont été modifiés pour protéger leur identité.

Complément d’information
Début 2015, des dizaines de milliers de personnes cherchant à échapper au conflit en Syrie se sont retrouvées piégées dans le no-man’s land appelé « la berme », à la frontière jordano-syrienne, près des points de passage de Rukban et Hadalat. On estime que 75 % de la population de la berme est retournée en Syrie depuis mi-2015, selon l’ONU. Au moment où nous rédigeons ce communiqué, quelque 10 000 personnes s’y trouvent toujours.

En mars 2020, la Jordanie a annoncé qu’elle n’autoriserait pas les convois d’aide humanitaire à traverser son territoire pour acheminer de l’aide et des équipements médicaux au camp, invoquant des inquiétudes liées au COVID-19. C’est toujours le cas six mois plus tard. Le dernier convoi humanitaire autorisé à entrer dans la berme par le gouvernement syrien remonte à septembre 2019.

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