Jordanie. La nouvelle loi antiterroriste jordanienne ouvre la porte à de nouvelles violations des droits humains

Déclaration publique

MDE 16/012/2006

La nouvelle Loi sur la prévention du terrorisme (PTA) de Jordanie est entrée en vigueur ce 1er novembre, malgré des inquiétudes nationales et internationales concernant sa portée trop vaste, après son approbation formelle par le roi Abdullah bin al Hussein, chef de l’État. Ce nouveau texte de loi ne se conforme pas au droit international relatif aux droits humains et définit les « activités terroristes » d’une telle manière qu’il pourrait être utilisé pour arrêter et détenir des critiques non violents du gouvernement, ou d’autres personnes exerçant pacifiquement leur droit à la liberté d’expression. Ce nouveau texte de loi renforce également les pouvoirs déjà excessifs des forces de sécurité jordaniennes d’arrêter et de placer en détention des personnes qu’elles soupçonnent de terrorisme.

L’une des inquiétudes soulevées par la PTA est qu’elle pénalise, selon ses termes, le soutien au terrorisme par l’action ou le financement, de manière directe ou indirecte – mais sans stipuler que la personne mise en cause soutenait sciemment le terrorisme par ses actions ou ses contributions financières. Cette ambiguïté crée la possibilité que soit poursuivie une personne ayant soutenu financièrement ou autre et de manière innocente ce qu’elle pensait être une organisation charitable, mais qui était en fait une organisation « vitrine » du terrorisme.

La PTA permet aussi au ministère public de la Cour de sûreté de l’État d’ordonner la surveillance du domicile d’un suspect, de ses mouvements, moyens et méthodes de communication ; d’interdire à une personne de voyager ; de fouiller le lieu de résidence du suspect et de saisir tout objet « relevant d’activités terroristes », et de confisquer tout argent lié à des projets d’activités terroristes. Ces pouvoirs, selon le Rapporteur spécial sur la protection et la promotion des droits humains et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, nient de fait le droit à l’intimité, à la liberté, notamment de circulation, et à la présomption d’innocence.

En outre, la PTA pourrait être utilisée pour pénaliser des critiques et opposants pacifiques du gouvernement, en arguant que leurs activités – comme la tenue d’une manifestation pacifique qui aurait pu provoquer de légers dégâts à des biens – constitueraient des « dommages à l’infrastructure » et pourraient être considérées comme des « troubles à l’ordre public » volontaires, voire une « mise en danger de la sécurité publique », qualifications qui correspondent toutes à la définition des « actes terroristes » contenue dans le nouveau texte de loi.

La définition des « actes terroristes » énoncée par ce texte ne fait aucune référence à des conventions et protocoles internationaux existants relatifs au terrorisme. Le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits humains et des libertés fondamentales dans la lutte contre le terrorisme a noté que le contre-terrorisme doit être limité à la lutte contre les infractions dans le cadre et les définitions des conventions et protocoles internationaux relatifs au terrorisme, ou à la lutte contre les comportements associés au terrorisme stipulée dans le cadre des résolutions du Conseil de sécurité, quand ces comportements sont combinés avec les intentions ou les visées identifiées par la résolution 1566 (2004) du Conseil de sécurité. Le caractère criminel ou délictueux d’un acte n’en fait pas, par lui-même, un acte terroriste.

La PTA se montre également imprécise quant aux châtiments applicables, manquant ainsi au principe de légalité. Ce texte affirme que les infractions liées au « terrorisme » seront punies de l’emprisonnement à vie avec travaux forcés, à moins qu’un autre texte de loi ne définisse une peine plus sévère ; pourtant, la PTA ne fournit pas de liste d’autres textes de loi de référence, et n’indique pas selon quels critères ces infractions doivent être punies. Cette imprécision n’exclut pas non plus que les personnes convaincues de ces infractions puissent se voir infliger la peine de mort. Amnesty International s’oppose à la peine de mort dans toutes les circonstances, car il s’agit de la forme ultime de traitement cruel, inhumain et dégradant. En outre, Amnesty International estime que les problèmes inhérents à la peine de mort sont exacerbés dans des situations où les accusés peuvent être soumis à la torture ou d’autres mauvais traitements et se voir en outre refuser le droit à un procès équitable.

Amnesty International demande au gouvernement jordanien d’abroger la PTA ou de la modifier pour qu’elle respecte les obligations de la Jordanie définies par le droit international ; notre organisation renouvelle en outre son appel à la ratification du Protocole optionnel de la Convention des Nations unies contre la torture, qui permet d’exercer une surveillance indépendante de tous les lieux de détention.

Contexte

En novembre 2005, des attentats à la bombe ont eu lieu dans trois hôtels d’Amman, tuant 60 personnes et en blessant de nombreuses autres ; ces événements ont été suivis en juin 2006 de la publication d’un projet de loi relatif à la prévention du terrorisme. Amnesty International condamne ces attentats et reconnaît pleinement la responsabilité du gouvernement jordanien de maintenir la sécurité publique et de traduire les responsables de ces crimes en justice. Cependant, le gouvernement jordanien doit respecter ses obligations définies par le droit international relatif aux droits humains, notamment l’interdiction des arrestation arbitraires, de la torture et autres mauvais traitements, et l’obligation de faire en sorte que toutes les personnes accusées d’infractions – même celles accusées des crimes les plus odieux – bénéficient d’un procès équitable, conformément au droit international.

Amnesty International est préoccupée depuis longtemps par la détention de suspects politiques et terroristes présumés en Jordanie, par des allégations de torture et autres mauvais traitements, par des procès iniques et par la peine de mort. Ces sujets de préoccupation ont été tout récemment exprimés dans “Your confessions are ready for you to sign” - Detention and torture of political suspects, (index AI : MDE 15/005/2006) de juillet 2006.
http://web.amnesty.org/library/Index/ENGMDE160052006?open&of=ENG-JOR

Amnesty International craint désormais que la PTA ne renforce les pouvoir du Département des renseignements généraux (DRG), responsable de l’arrestation, la détention et l’interrogatoire de suspects politiques ou « pour raisons de sécurité », et fréquemment accusé de torture. Le gouvernement jordanien doit prendre des mesures pour contrôler le DRG et faire en sorte que tous les détenus soient traités dans le respect de leurs droits humains fondamentaux et protégés contre d’éventuels actes de torture ou mauvais traitements. Les suspects de terrorisme en Jordanie sont souvent soumis à la torture ou autres mauvais traitements lors de leur interrogatoire, et risquent un procès ne respectant pas les normes internationales relatives à un procès équitable. Amnesty International a en particulier signalé à maintes reprises son inquiétude relative à l’iniquité de la procédure de la Cour de sûreté de l’État, devant laquelle seront jugées les infractions au nouveau texte de loi. Au cours de la dernière décennie, plus de 100 accusés ont affirmé devant cette Cour qu’ils avaient été torturés pour les faire « avouer ». La Cour n’a montré aucune intention d’ordonner ou d’organiser des enquêtes efficaces sur ces allégations. Selon les sources d’Amnesty International, un certain nombre d’accusés ont été condamnés par la Cour alors que le seul élément à leur charge était des « aveux » qui, selon les accusés, leur avaient été extorqués lors d’une détention au secret et par la torture ou les mauvais traitements.

Amnesty International craint que ce nouveau texte de loi ne fasse qu’exacerber les problèmes déjà prévalents dans les actions contre les suspects de « terrorisme », de l’arrestation et la détention au procès devant la Cour de sûreté de l’État. Par exemple, la PTA donnera des pouvoirs accrus au DRG. Amnesty International a régulièrement exprimé son inquiétude quant au fait que les responsables du DRG bénéficient déjà de pouvoirs étendus et d’une impunité quasi complète, faisant virtuellement eux-mêmes leur loi, détenant des suspects en secret, généralement dans le cadre de détentions prolongées et au secret, au cours desquelles certains détenus auraient été soumis à la torture et d’autres mauvais traitements. En juin 2006, à la fin de sa visite en Jordanie, le Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture a déclaré que la torture était « pratiquée de manière systématique » au DRG.

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