Des journalistes incarcérés, de l’Égypte à la Turquie

Quelles leçons tirer de #FreeAJStaff pour la campagne qui demande la libération des journalistes en Turquie ?

Fin 2013, trois journalistes correspondants d’Al Jazira en langue anglaise, Peter Greste, Mohamed Fahmy et Baher Mohamed, étaient arrêtés par les autorités égyptiennes. Ils ont été inculpés d’association avec le mouvement des Frères musulmans en Égypte, désigné comme une « organisation terroriste » par les autorités, et de « complot visant à renverser l’État ».

Après plus de 400 jours derrière les barreaux, ils ont finalement été libérés, en grande partie grâce à la campagne #FreeAJStaff.

À l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, nous nous sommes entretenus avec Peter Greste, Mohamed Fahmy et la journaliste Sue Turton – à l’initiative de la campagne #FreeAJStaff. Ils expliquent en quoi la solidarité internationale a tant compté dans leur campagne et partagent leurs idées sur le meilleur moyen de se mobiliser en faveur des journalistes incarcérés en Turquie, pays qui détient le record mondial de journalistes emprisonnés au monde, et ce pour la deuxième année consécutive.

Peter Greste

Aujourd’hui plus que jamais, nous devons nous mobiliser tous ensemble, solidaires avec nos confrères qui sont dans la tourmente – particulièrement s’ils sont incarcérés en raison de leur travail. À notre époque, personne ne travaille tout seul : ce qu’un gouvernement fait à l’un d’entre nous, il le fait à tous. Et s’il y a bien une chose que nous devons retenir de la tendance croissante des gouvernements à incarcérer des journalistes, c’est que cela pourrait arriver à n’importe lequel d’entre nous.

À l’évidence, en Turquie et en Égypte, ils sont encore plus exposés. Lorsque des gouvernements dans le monde adoptent des lois qui criminalisent le journalisme légitime, nous devons résister. Je suis absolument convaincu que nous serions toujours en prison si nos collègues ne s’étaient pas mobilisés derrière nous en si grand nombre, ce qui a amené les autorités à céder à la pression. Et si je sais bien qu’il est très difficile de maintenir le même niveau de pression pour chaque journaliste incarcéré, nous devons faire preuve de solidarité si nous voulons inverser ou tout au moins stopper cette évolution des plus inquiétantes.

Je pense que de nombreux facteurs uniques ont joué en notre faveur dans le cadre de la campagne #FreeAJStaff. Fahmy, Baher et moi-même avions travaillé pour un grand nombre d’agences de presse internationales et dans de très nombreuses parties du globe, et nous avions donc des amis partout dans le monde qui nous connaissaient et comprenaient ce que nous traversions. Nous avions également la chance d’avoir Al Jazeera pour nous épauler, avec toutes ses ressources. Et la chance que nos familles nous défendent avec un dévouement sans faille. Les choses ne se passent pas toujours aussi bien.

Nous devons rester unis en tant qu’industrie, sinon nous finirons tous par avoir des ennuis.

L’élément déterminant fut sans doute que nous avons pu faire de notre cas le symbole d’une cause bien plus grande – celle de la liberté des médias, en Égypte et partout ailleurs. Si nous y parvenons en Turquie, nous aurons une chance de remporter la bataille.

Je pense que la clé, c’est d’agir avec simplicité, humanité et en respectant des principes. Nous devons constamment rappeler aux populations, aux responsables politiques, aux diplomates et, surtout, au gouvernement turc, que le meilleur moyen de développer une société saine est de favoriser une presse libre et une circulation intense des idées et des informations. Ce n’est pas toujours joli ni édifiant, mais c’est fondamental pour une bonne gouvernance ; s’il n’est pas aisé d’avoir une presse libre, au final, enfermer des journalistes et museler les médias s’avère destructeur. Dans l’intervalle, nous devons rester unis en tant qu’industrie, sinon nous finirons tous par avoir des ennuis.

Mohamed Fahmy

Durant mon incarcération, même à l’isolement, le téléphone arabe a fonctionné et j’ai appris que des veillées, des pétitions et des articles dénonçaient notre incarcération injuste. Cela m’a redonné le moral et m’a fait comprendre, assis sur le sol de ma cellule froide et miteuse, que je ne me battais pas seulement pour ma propre liberté. C’est ce soutien qui, d’une certaine façon, m’a sauvé la vie et a donné du sens à cette épreuve – le pourquoi. Lutter pour défendre le droit fondamental à la liberté d’expression. Cet immense soutien au niveau mondial a aussi adressé un message à nos geôliers : le monde regarde ce qui se passe.

Le soutien reçu durant mon incarcération en Égypte m’a incité à défendre les droits humains et je pense que le monde doit soutenir les journalistes innocents du quotidien Cummhuriyet en Turquie. Ils ont subi des mauvais traitements et ont été condamnés sur la base d’accusations infondées de terrorisme, dans le cadre d’une attaque des plus féroces contre la liberté de la presse.

Amnesty International a fait connaître la détresse de dizaines de journalistes turcs injustement emprisonnés en lançant la campagne #FreeTurkeyMedia.

#FreeAJStaff a su intéresser le monde parce que c’était à la fois un mouvement militant et une campagne parrainée par des entreprises. Amnesty International a fait connaître la détresse de dizaines de journalistes turcs injustement emprisonnés en lançant la campagne #FreeTurkeyMedia – un mouvement qui sauvera sûrement des vies et maintiendra les geôliers sous les projecteurs si nous le soutenons.

Sue Turton

Lorsque Peter, Baher et Mohamed ont été déclarés coupables en Égypte, nous savions que notre meilleure arme était la solidarité des médias partout dans le monde. Accuser des journalistes d’aider les terroristes parce qu’ils ne suivent pas la ligne du régime est la marque d’un État totalitaire, d’où notre slogan : «  Le journalisme n’est pas du terrorisme ».

Les collègues de Peter Greste au Kenya ont diffusé l’image de la bouche zippée et la campagne #FreeAJStaff était née. Pour qu’elle fasse le buzz, il fallait que les autres journalistes soient convaincus que nous étions tous innocents des accusations portées à notre encontre et que nous faisions juste notre travail. Un énorme travail a été réalisé en coulisses pour faire passer le message à nos collègues dans d’autres organisations. Une fois qu’ils ont adhéré, nous étions opérationnels et la campagne a vite pris de l’ampleur sur Internet.

Les journalistes en Turquie subissent désormais une attaque contre leur profession, dans le cadre d’une répression par trop familière. Pour faire connaître leur détresse au monde entier, nous devons raconter leur histoire individuelle, faire connaître leur travail et dénoncer le fait que les autorités turques cherchent à faire taire le messager. En Turquie, comme en Égypte, « Le journalisme n’est pas du terrorisme ».

Article de Peter Greste et Mohamed Fahmy –Les journalistes de Turquie sont assiégés - Vous pouvez les aider comme vous nous avez aidés

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