Les journalistes poussés à l’autocensure

Le procès de sept journalistes et militants marocains accusés d’atteinte à la sûreté intérieure de l’État et de manquement au devoir de signaler des financements étrangers, qui doit s’ouvrir mercredi 27 janvier 2016, s’inscrit dans une opération calculée de répression contre la liberté d’expression.

Ces sept personnes doivent être jugées pour avoir pris part à un projet financé par des acteurs étrangers, qui visait à former des membres du public à l’utilisation de smartphones dans le but de pratiquer un journalisme citoyen. Les documents juridiques relatifs à cette affaire indiquent que les autorités estiment que le journalisme citoyen est susceptible d’ébranler la confiance des Marocains dans leurs institutions.

« Ce cas démontre clairement que le gouvernement marocain intensifie ses attaques contre la liberté de la presse. Aider des Marocains à maîtriser la technologie des smartphones afin de rendre compte de ce qui se passe dans le pays n’est pas un crime, et il est choquant que cela soit traité comme une atteinte à la sûreté de l’État. Les Marocains ont le droit de recevoir et de diffuser des informations sur l’actualité de leur pays », a déclaré Said Boumedouha, directeur adjoint du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

« Aider des Marocains à maîtriser la technologie des smartphones afin de rendre compte de ce qui se passe dans le pays n’est pas un crime, et il est choquant que cela soit traité comme une atteinte à la sûreté de l’État. » Said Boumedouha, directeur adjoint du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord

Aux termes de la législation marocaine en matière de sécurité, cinq des sept accusés encourent des sanctions pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison. Amnesty International exhorte les autorités à abandonner les poursuites contre les sept accusés.

Ce procès n’est que le dernier exemple en date d’un durcissement de la répression contre la liberté d’expression au Maroc.

Dans une autre affaire médiatisée, un tribunal spécialisé dans les affaires relatives au terrorisme a accusé le journaliste Ali Anouzla d’« apologie » du terrorisme, et d’« aide matérielle » et d’« incitation » au terrorisme.

Les charges en question sont en relation avec un article publié en 2013 sur Lakome.com, le site d’information alors très suivi d’Ali Anouzla, dans lequel celui-ci avait critiqué une vidéo du groupe armé Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Il a été arrêté et maintenu en détention pendant plus d’un mois à la suite de cette publication, et le site Internet a été fermé. S’il est déclaré coupable, il risque jusqu’à 20 ans de réclusion.

Dans le cadre d’une affaire distincte, Ali Anouzla a été inculpé d’« atteinte à l’intégrité territoriale » pour un entretien accordé au quotidien allemand Bild en novembre dernier - après avoir reçu le prix Raif Badawi, décerné à des journalistes pour leur courage - dans lequel il aurait utilisé l’expression « Sahara occidental occupé ». Le journaliste soutient que Bild a mal traduit ses paroles, et qu’il avait seulement fait référence à ce territoire sous le nom de « Sahara ». Les autorités marocaines revendiquent leur souveraineté sur le Sahara occidental, un territoire au sud du Maroc, annexé en 1975. S’il est reconnu coupable, il encourt jusqu’à cinq ans d’emprisonnement en vertu du Code de la presse.

« Les autorités marocaines doivent abandonner les charges retenues contre Ali Anouzla et cesser de poursuivre des journalistes faisant leur travail, ainsi que des militants non violents, pour des faits en relation avec la sûreté de l’État et le terrorisme. Elles doivent mettre un terme à leur campagne actuelle visant à faire taire les voix dissidentes et à apeurer les gens afin de les forcer à s’autocensurer », a déclaré Said Boumedouha.

Complément d’information

Les personnes en instance de jugement sont :
Maati Monjib, 53 ans, historien et fondateur du Centre Ibn Rochd d’études et de communication, président de l’ONG Freedom Now (qu’il a créée avec Ali Anouzla) et membre de l’Association marocaine pour le journalisme d’investigation (AMJI). S’exprimant régulièrement au sujet de la politique marocaine dans les médias internationaux, au sein de clubs de réflexion et sur la scène universitaire, il est certainement la principale personnalité visée par ces poursuites.

Abdessamad Ait Aicha (connu sous le nom de Samad Iach), 31 ans, journaliste, ancien employé du Centre Ibn Rochd d’études et de communication, et membre de l’AMJI.

Hicham Mansouri, 35 ans, journaliste et ancien employé de l’AMJI, récemment remis en liberté après avoir purgé une peine de 10 mois de prison. Amnesty International craint que sa condamnation n’ait été motivée par des considérations politiques.

Hicham Khreibchi (connu sous le nom d’Hicham Al Miraat), 39 ans, médecin, fondateur et ancien président de l’Association des droits numériques (ADN), et ancien responsable des actions de plaidoyer à Global Voices.

Mohamed Essaber/Sber, 44 ans, président de l’Association marocaine pour l’éducation de la jeunesse (AMEJ).

Maria Moukrim, 39 ans, journaliste, ancienne présidente de l’AMJI.

Rachid Tarik, 68 ans, journaliste (à la retraite), président de l’AMJI.

Plusieurs accusés sont par ailleurs d’anciens sympathisants ou membres du mouvement du 20-Février, une mouvance pacifique pro-démocratie et anti-corruption ayant émergé en 2011 au Maroc dans le contexte des soulèvements populaires dans la région.

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