Jugement sur la pollution pétrolière au Nigeria : après des années de fiasco, la justice se met en marche Communiqué de presse

Par Kolawole Olaniyan, conseiller juridique auprès d’Amnesty International

Le 14 décembre 2012 est un jour à marquer d’une pierre blanche. Et celles et ceux qui militent pour que la justice soit rendue aux victimes de la pollution pétrolière dans le delta du Niger ont eu une bonne raison de fêter Noël avec un peu d’avance.

Dans son jugement rendu le 14 décembre, la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a ordonné au gouvernement nigérian de sanctionner les compagnies pétrolières responsables de pollution <http://www.amnesty.org/fr/for-media...> . Cette décision constitue un message d’espoir pour les dizaines de milliers de personnes qui ont vu leurs moyens de subsistance réduits à néant.

Si nous pouvons nous féliciter de cette décision, nous ne devons pas relâcher nos efforts pour autant. Il faut continuer à exercer des pressions sur le gouvernement pour faire en sorte que le jugement soit appliqué.

Les compagnies pétrolières, et Shell en particulier, échappent à leurs responsabilités depuis bien trop longtemps , profitant que le gouvernement nigérian avait choisi de fermer les yeux sur leurs pratiques et de faire passer les profits avant l’humain.

Ainsi, les habitants de Bodo, une ville située dans une région durement touchée par les déversements d’hydrocarbures, sombrent chaque jour un peu plus dans la pauvreté : les poissons qu’ils pêchaient sont contaminés, et l’eau qu’ils buvaient a désormais la couleur du pétrole.

Des fuites d’hydrocarbures ont été constatées depuis que la production a commencé, il y a plus de 50 ans. C’est en ce sens que le jugement de la CEDEAO est historique.

La Cour a estimé que le gouvernement fédéral du Nigeria et six compagnies pétrolières – Shell, Chevron, Elf Petroleum, Exxon Mobil, Agip Nigeria et Total Nigeria – avaient violé plusieurs droits fondamentaux.

Ils ont notamment porté atteinte au droit à un environnement satisfaisant et global, ainsi qu’au droit des peuples à disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles. Ces droits sont garantis par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, que le Nigeria a ratifiée en 1983.

La Cour a demandé au gouvernement nigérian d’agir rapidement pour mettre en œuvre le jugement et amener les compagnies pétrolières à rendre des comptes.

Concrètement, cela signifie que le gouvernement doit contraindre Shell à respecter la réglementation nationale, à entreprendre une dépollution totale des zones de Bodo touchées par les marées noires et à dédommager convenablement les personnes dont la vie a été bouleversée par la pollution. La compagnie Shell doit également prouver qu’elle a fait tout son possible pour garantir qu’il n’y aura plus de fuites d’hydrocarbures.

Cette décision importante contraste avec le traitement que le gouvernement nigérian a toujours réservé à Shell. Le groupe pétrolier jouissant d’un pouvoir considérable, c’est avec un blanc-seing des autorités qu’il a jusqu’ici semé la destruction autour de lui.

D’après les câbles diplomatiques américains révélés par Wikileaks en 2010, la compagnie Shell a détaché des employés dans tous les ministères clés, ce qui lui permet d’être au fait de tout ce qui s’y passe.

Il est également indéniable que les compagnies pétrolières exercent une énorme influence sur le système réglementaire qui régit leurs activités.

En réalité, le processus d’enquête sur les déversements d’hydrocarbures dans le delta du Niger est un fiasco. Très peu d’informations ont été rendues publiques concernant l’état des infrastructures exploitées par Shell dans la région. Mais chacun sait qu’au fil des années, la compagnie pétrolière n’a pas su entretenir correctement son équipement, avec les conséquences tragiques que l’on connaît.

Le gouvernement doit faire preuve d’autorité face à Shell car, au vu du jugement rendu par la Cour de justice de la CEDEAO et des procès qui devraient se tenir l’an prochain au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, l’heure est venue de mettre fin à ces actes de négligence.

Le système nigérian s’est avéré totalement incapable d’encadrer les compagnies pétrolières et de garantir que les sites soient correctement nettoyés en cas de fuite, et c’est ce qui a poussé la population de Bodo à poursuivre Shell devant la justice britannique.

D’un bout à l’autre de l’Afrique, des pays comme le Ghana, la Sierra Leone ou le Cameroun commencent à exploiter leurs réserves pétrolières ; les implications de ces décisions de justice dépassent donc largement les frontières du Nigeria.

Au lieu de laisser cette tragédie se poursuivre inutilement, le gouvernement et les compagnies pétrolières présentes au Nigeria doivent montrer l’exemple et veiller à ce que la population puisse à son tour bénéficier du développement.

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