La justice n’a toujours pas été rendue aux femmes victimes de viol pendant la guerre en Bosnie-Herzégovine

Il est temps que le gouvernement de Bosnie-Herzégovine traduise dans les faits l’engagement qu’il a pris en 2010 de garantir justice, vérité et réparation pour les centaines de victimes de violences sexuelles commises pendant la guerre, souligne Amnesty International dans un rapport publié jeudi 29 mars.

« Près de deux décennies après la fin de la guerre, des centaines de femmes continuent de vivre avec les conséquences du viol et d’autres formes de torture, sans avoir accès comme il se doit à l’aide médicale, psychologique et financière dont elles ont besoin pour reconstruire leur vie brisée. Pendant ce temps, la plupart des responsables présumés restent impunis », a déclaré Jezerca Tigani, directrice adjointe du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International.

Le rapport d’Amnesty International, intitulé Old Crimes, Same Suffering : No justice for survivors of wartime rape in north-east Bosnia and Herzegovina, se penche sur la situation actuelle des femmes victimes de viol au cours de la guerre vivant dans le canton de Tuzla (nord-est du pays), qui illustre les problèmes rencontrés par les victimes pour accéder à leurs droits au niveau local.

Pendant le conflit qui a duré de 1992 à 1995, Tuzla était considéré comme un « lieu sûr » et des milliers de victimes de crimes de violence sexuelle commis par les forces armées serbes s’y sont réfugiées. Beaucoup y sont restées après la guerre car elles n’ont pas pu ou pas voulu retourner chez elles en Republika Srpska, région de Bosnie à majorité serbe aujourd’hui.

Il y a seulement deux ans, après des années d’intenses pressions exercées par plusieurs organisations locales et internationales de la société civile, dont Amnesty International, le gouvernement de Bosnie-Herzégovine s’est enfin engagé à garantir les droits des victimes en promettant de mettre au point un « programme national en faveur des femmes victimes de violences sexuelles pendant ou après le conflit », mais en raison de l’impasse politique qui perdure au niveau de l’État, ce programme n’a toujours pas été finalisé ni adopté.

" Le nouveau gouvernement, formé fin 2011, doit encore montrer sa volonté d’adopter et de mettre en œuvre les engagements pris par ses prédécesseurs. C’est une priorité urgente", a insisté Jezerca Tigani.

« Les responsables politiques de haut niveau, en particulier ceux de la Republika Srpska, doivent reconnaître le fait que des crimes de violence sexuelle ont été commis à grande échelle durant la guerre. »

De nombreux crimes de droit international, tels que le viol et les autres formes de torture, l’esclavage sexuel, la disparition forcée et la détention arbitraire, ont été commis au cours du conflit en Bosnie-Herzégovine.

Les victimes vivant aujourd’hui à Tuzla ont parlé à Amnesty International des graves problèmes physiques et psychologiques qu’elles continuent de rencontrer, parmi lesquels figurent l’état de stress post-traumatique, l’anxiété, les maladies sexuellement transmissibles, le diabète, l’hypertension et l’insomnie. Très peu d’entre elles bénéficient d’une assurance maladie suffisante pour faire face à leurs pathologies spécifiques, ce qui limite leur accès aux services de santé dont elles ont absolument besoin, et la plupart ne peuvent pas payer tous les médicaments qu’il leur faut.

Aucun des responsables directs des crimes commis contre les victimes interrogées au cours des recherches d’Amnesty International n’a été traduit en justice. Sur les dizaines de milliers d’affaires de crimes de violence sexuelle commis pendant la guerre, moins de 40 ont été jugées par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie à La Haye ou par les tribunaux nationaux bosniaques. Le rapport met en évidence le fait que le système judiciaire bosniaque, complexe, organisé sur plusieurs niveaux et manquant de moyens, entrave la progression des procédures pénales, ce qui prive les victimes de leur droit d’obtenir justice.

"Le manque de ressources et de compétence des organismes locaux d’action sociale et de santé est à l’origine de graves lacunes et incohérences dans la manière dont ils fournissent les services de réadaptation indispensables aux victimes de violence sexuelle pendant la guerre, ce qui a pour effet de priver ces femmes de leur droit à la réadaptation – une partie essentielle des réparations auxquelles elles ont droit", a ajouté Jezerca Tigani.

Les droits des victimes doivent être une priorité pour les autorités centrales et locales. Les institutions locales ont besoin de moyens et de recommandations du gouvernement central pour apporter une aide directe aux femmes. Jusqu’ici, les victimes ont dû s’en remettre à l’aide psychosociale et médicale des ONG destinées aux femmes à Tuzla, dont la détermination à fournir des soins excellents et hautement spécialisés à ces femmes malgré d’immenses obstacles est remarquable.

« Il a fallu plus de dix ans pour que les autorités bosniaques reconnaissent leurs obligations internationales envers les personnes victimes de viol pendant la guerre. Combien de temps leur faudra-t-il pour surmonter l’impasse politique et le désaccord sur la répartition des compétences entre l’État et les collectivités locales afin de mettre en œuvre leurs engagements ? Combien de temps encore les milliers de femmes victimes se verront-elles encore dire qu’elles doivent attendre leurs droits d’obtenir justice, vérité et réparation ? »

Témoignages

J’ai survécu, mais je suis la seule à savoir comment. Il est très difficile de vivre, mais je dois vivre et je fais de mon mieux. Tout ce que je fais est pour mes enfants, afin qu’ils aient une meilleure vie, qu’ils ne souffrent pas. Mais nous devons nous battre pour nos droits. Nous ne pouvons pas attendre que quelqu’un nous aide. C’est ainsi, voilà tout. (I., Tuzla)

Je me souviens de tout et j’aimerais que ce ne soit pas le cas. Je me souviens de la torture. Ils m’ont battue jusqu’à ce que je ne puisse plus me lever. Ils venaient et m’emmenaient seule, puis je me retrouvais avec l’homme dans une pièce. J’ai été détenue pendant trois mois. J’ignorais où mes enfants se trouvaient. Je rêve toutes les nuits de ce qui s’est passé. Même avec ces comprimés, je fais ces rêves. Je suis retournée chez mon fils. Je vis avec lui, son épouse et leur fille de cinq ans. Nous pouvons à peine survivre avec ma pension. Mon fils et son épouse n’ont pas de revenus et n’ont pas la possibilité de trouver du travail ici. Je n’ai pas d’assurance maladie ici, alors je parcours 100 km jusqu’à Tuzla pour voir un docteur et suivre ma thérapie à Vive Zene. (M., qui est rentrée de Tuzla, où elle vivait en tant que personne déplacée depuis 2003, à Zvornik, en Republika Srpska, il y a plusieurs années)

L. vivait dans le village près de Zvornik, dans le nord-est de la Bosnie-Herzégovine. Elle était enceinte et avait un fils d’un an quand la guerre a débuté. Son mari était en Croatie pour son travail à l’époque. Lorsque le village a été occupé par les paramilitaires serbes, elle s’est enfuie et s’est cachée dans les bois pendant presque un an avec d’autres villageois des environs. Cependant, en janvier 1993, ils ont commencé à se diriger vers Tuzla pour chercher de la nourriture et un abri. L. et son fils ont été séparés du groupe et elle s’est évanouie, épuisée. Elle s’est réveillée dans un hôpital à Zvornik, entourée de soldats serbes. On lui a dit que son fils était mort. L. était également enceinte de huit mois à ce moment-là. Elle a expliqué à Amnesty International que les soldats l’avaient torturée et que, à cause des violents coups qui lui avaient été infligés, elle avait perdu son bébé. Par la suite, elle a été détenue secrètement dans trois camps successifs à Zvornik et près de Bijeljina, où elle a été violée à plusieurs reprises. Elle a finalement été libérée dans le cadre d’un échange de prisonniers. Elle s’est rendue à Tuzla, où elle a fini par retrouver son mari. Elle a eu deux enfants après la guerre. Les expériences qu’elle a vécues pendant la guerre lui ont laissé de nombreux problèmes physiques et mentaux chroniques, mais c’est toujours elle qui s’occupe principalement de ses enfants, de son mari et de ses beaux-parents.

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