« L’état d’urgence décrété par le gouvernement français et le déploiement de l’armée française, associés à l’interdiction de l’application de réseau social TikTok, ne doivent pas être utilisés à mauvais escient pour restreindre les droits fondamentaux de la population, a déclaré Kate Schuetze, chercheuse sur le Pacifique au sein d’Amnesty International.
« La violence très inquiétante et la réponse des autorités françaises doivent être comprises sous l’angle d’un processus de décolonisation à l’arrêt, de l’inégalité raciale et des demandes d’autodétermination exprimées pacifiquement et de longue date par le peuple autochtone kanak.
« Dans ce qui est sans aucun doute une situation compliquée pour la police, qui déplore hélas plusieurs décès, il est impératif que les policiers et les gendarmes français ne recourent à la force que dans la mesure où elle est raisonnablement nécessaire et qu’ils accordent la priorité à la protection du droit à la vie.
« À moins qu’il n’existe des informations fiables démontrant le rôle de TikTok dans l’incitation à la violence ne pouvant être contenue par des moyens plus réduits, interdire l’application apparaît clairement disproportionné et constitue probablement une violation du droit à la liberté d’expression.
« Les autorités françaises doivent respecter les droits du peuple autochtone kanak et le droit de s’exprimer et de se réunir pacifiquement sans discrimination »
« En outre, cela risque d’établir un dangereux précédent qui pourrait aisément servir d’exemple à la France et à d’autres gouvernements dans le monde pour justifier des coupures en réponse à des contestations publiques.
« Les autorités françaises doivent respecter les droits du peuple autochtone kanak et le droit de s’exprimer et de se réunir pacifiquement sans discrimination. Ceux qui réclament l’indépendance doivent être en mesure d’exprimer leurs opinions de manière pacifique. »
Complément d’information
L’Assemblée nationale française a adopté cette semaine un projet de loi qui étend le droit de vote aux habitants récents de Kanaky-Nouvelle-Calédonie, majoritairement des ressortissants français. Cette décision risque de priver encore davantage le peuple autochtone kanak de ses droits, notamment au niveau de la représentation politique locale et dans les futures discussions sur la décolonisation. Aucun représentant de Kanaky-Nouvelle-Calédonie, qu’il soit Kanak ou Européen, ne siège actuellement à l’Assemblée nationale de France.
Pour protester contre cette modification constitutionnelle, de violents troubles ont éclaté dans la capitale Nouméa, faisant au moins cinq morts jusqu’à présent – trois Kanaks autochtones et deux policiers.
Le président français Emmanuel Macron a décrété l’état d’urgence dans l’archipel mercredi 15 mai. Le gouvernement français, qui est la puissance administrante en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, a annoncé l’interdiction de l’application de réseau social TikTok sur le territoire, ainsi que le déploiement de centaines de renforts de police. L’armée française a aussi été déployée pour « sécuriser » les ports et l’aéroport des îles.
Les autorités auraient placé en résidence surveillée les manifestants qui seraient à l’origine des violences et procédé à plus de 200 arrestations.
Les émeutes actuelles font suite à des années de tensions liées à l’incapacité présumée du gouvernement français de protéger les droits de la population autochtone kanak et à l’absence de clarté quant à la voie à suivre vers la décolonisation.
En 1998, les autorités françaises et le gouvernement local ont conclu l’Accord de Nouméa, qui comportait des engagements en faveur d’une transition vers une plus grande indépendance et autonomie, tout en respectant les droits du peuple kanak.
Trois référendums ont été organisés sur la question de l’indépendance depuis 2018 et le dernier en date, en 2021, a été boycotté par les électeurs et électrices autochtones et largement critiqué en raison de l’impact disproportionné de la pandémie sur les Kanaks. L’Accord de Nouméa ayant désormais expiré, il n’existe pas de feuille de route claire pour garantir les prochaines étapes du processus de décolonisation.
En 2011, le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des peuples autochtones notait que les Kanaks sont sous-représentés dans la vie politique et dans les fonctions de pouvoir, et qu’ils ont un accès moindre aux droits économiques, sociaux et culturels que les autres habitants du pays. Ces inégalités raciales notables persistent en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, malgré certaines tentatives visant à y remédier.
Dans une résolution [1] de 2023, l’Assemblée générale des Nations unies, sur la base d’un rapport de la Commission de l’ONU des questions politiques spéciales et de la décolonisation, demandait de nouveau « à la Puissance administrante et à toutes les parties concernées en Nouvelle-Calédonie de veiller à ce que les prochaines étapes du processus d’autodétermination se déroulent de manière pacifique, équitable, juste et transparente, conformément à l’Accord de Nouméa ».