Communiqué de presse

Kazakhstan. Amnesty exhorte les autorités à protéger les droits d’employés du secteur pétrolier dans le sud-ouest du pays

Amnesty International a écrit aux autorités kazakhes vendredi 22 juillet afin de leur faire part de ses inquiétudes quant au traitement réservé à des employés du secteur pétrolier en grève et à leurs représentants dans le sud-ouest du pays ces derniers mois.

Depuis début mai 2011, des milliers d’employés de l’industrie pétrolière du sud-ouest du Kazakhstan ont mené une série de grèves et d’actions de protestation publiques en raison de conflits autour des salaires et des conditions de travail. Les autorités ont recouru à une force excessive pour disperser les manifestations et ont arrêté Akjanat Aminov, militant syndical connu, et Natalia Sokolova, une avocate représentant des travailleurs en grève. Ils sont actuellement placés en détention provisoire pour incitation à la haine sociale. Amnesty International considère ces personnes comme des prisonniers d’opinion et demande leur libération immédiate et inconditionnelle.

L’organisation exhorte par ailleurs les autorités kazakhes à s’abstenir de recourir à une force excessive dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre lors de manifestations, à enquêter sur les signalements de violations passées et à faire en sorte que les normes internationales en matière de droits humains soient respectées lors de la résolution des conflits que connaît actuellement le secteur.

Les employés de la compagnie pétrolière Karajanbasmounaï sont en grève. Il s’agit d’une coentreprise entre Kazmounaïgaz, enregistrée à Londres, du groupe chinois CITIC, d’OzenMounaïGaz, une autre filiale de Kazmounaïgaz, et d’Ersaï Caspian Contractor, dont la compagnie pétrolière italienne ENI est coactionnaire.

Parmi les revendications des grévistes figurent : des appels adressés aux autorités et à leurs employeurs afin que ceux-ci reconnaissent le droit de syndicats indépendants de représenter les employés, et pour que les employeurs acceptent de négocier par l’intermédiaire de syndicats indépendants et non de syndicats approuvés par la direction ; le réexamen de conventions collectives, afin que les intérêts et droits des travailleurs s’appuient sur le principe d’égalité ; l’augmentation des salaires et la mise en conformité des salaires et conditions de travail avec les normes internationales du travail.

Des centaines d’employés auraient été licenciés pour avoir participé à ces grèves. Après que les entreprises en question eurent saisi la justice, les tribunaux ont estimé que toutes les grèves en cours étaient illégales.

Les compagnies pétrolières avancent que les employés ayant pris part aux grèves ont manqué à leurs obligations contractuelles, et ont annoncé qu’elles poursuivront les licenciements jusqu’à ce que les grèves prennent fin. Elles ont ajouté qu’aucune négociation n’était envisageable tant que les grèves continueront, et que leur personnel est payé près de deux fois plus que les employés des autres secteurs au Kazakhstan. La plupart des ouvriers du pétrole assurent seuls la subsistance de leur famille.

Les salaires du personnel des industries du pétrole et du gaz au Kazakhstan sont parmi les plus élevés du pays, mais les employés affirment que leurs activités sont souvent dangereuses, et menées dans des conditions difficiles dans des régions isolées. Le coût de la vie sur place tend à être plus élevé que la moyenne parce que la plupart des biens et équipements essentiels viennent de loin.

Amnesty International déplore le fait que certaines des méthodes employées par les forces de sécurité dans le cadre du maintien de l’ordre lors de grèves soient disproportionnées, enfreignent le droit national et les obligations du pays aux termes du droit international, et aient attisé les tensions. Le fait que les autorités se soient abstenues de mener des enquêtes rigoureuses et impartiales dans les meilleurs délais sur les violations semble-t-il commises par les forces de sécurité a ajouté aux doléances des employés et de leurs familles.

En juin, plusieurs organisations de défense des droits des femmes ont écrit une lettre conjointe au président Noursoultan Nazarbaïev afin d’attirer son attention sur l’incapacité ou la réticence des autorités à enquêter sur un certain nombre de plaintes déposées contre des policiers ayant semble-t-il insulté, menacé, arrêté et frappé les épouses et d’autres femmes de la famille d’ouvriers grévistes afin de pousser ceux-ci à mettre un terme à leur action. Les signataires de cette lettre ouverte ont signalé que cela risquait d’aggraver la situation car les ouvriers étaient en colère et se sentaient humiliés par les violences et autres mauvais traitements infligés à ces femmes par la police.

L’événement auquel il était fait référence a eu lieu le 12 juin dans la ville de Janaïozen, dans la région de Mangistaou. Un affrontement a éclaté entre des femmes proches des ouvriers venues soutenir ceux-ci sur le piquet de grève, et des femmes loyales à la direction de l’entreprise. Au lieu de séparer les deux groupes, la police s’est semble-t-il jointe à l’empoignade, immobilisant les bras des parentes d’employés tandis que les autres femmes leur donnaient des coups de pied. Des policiers auraient traîné neuf femmes proches des grévistes dans un bus stationné à proximité, puis les auraient emmenées au poste de police le plus proche, où ils ont continué à les frapper et à les humilier. Lorsqu’une de ces femmes est tombée malade, ils n’ont pas appelé les secours ni fourni une quelconque aide médicale, et ont empêché qu’une ambulance, appelée par la famille de cette femme, accède au poste de police. En dépit d’un certificat médical attestant que cette femme avait été blessée, et présentait notamment des tuméfactions sur un bras et de nombreux hématomes, la police a refusé d’ouvrir une enquête sur sa plainte pour mauvais traitements. À ce jour, aucune autre enquête n’a été ouverte sur une seule des plaintes déposées par ces neuf femmes.

Des manifestants de la ville portuaire d’Aktaou, sur la mer caspienne, ont signalé que la police a violemment dispersé une manifestation pacifique sur la place située devant les locaux du conseil municipal le 5 juin. Au moins 1 000 personnes, parmi lesquelles des employés du secteur pétrolier ainsi que des sympathisants et des proches de ceux-ci, s’étaient réunies bruyamment mais pacifiquement afin de porter leurs revendications à l’attention des responsables locaux. Des policiers antiémeutes ont utilisé des matraques pour frapper les manifestants et disperser ce rassemblement. Quatre manifestants, dont le syndicaliste Kouanich Sissenbaïev, se sont ouvert les veines dans le but d’empêcher la police de recourir à la force.

Le 8 juillet, des dizaines de policiers antiémeutes entièrement équipés auraient encerclé les manifestants et grévistes de la faim de la compagnie Ozenmounaïgaz dans la ville de Janaïozen, et commencé à les éloigner par la force. Les manifestants venaient de s’asseoir pour consommer un repas apporté par les habitants de la ville après les prières du vendredi. Certains des policiers ont jeté des plats de nourriture par terre, renversé des tables et démoli des tentes. Des manifestants ont déclaré que les policiers les ont frappés à coups de matraque. Certaines des personnes ayant entamé une grève de la faim se sont aspergées d’essence et ont menacé de s’immoler par le feu si les policiers continuaient à employer la force.

Des représentants réputés des grévistes ont également été pris pour cible. Le 24 mai, Natalia Sokolova, avocate et syndicaliste représentant les employés de la compagnie pétrolière Karajanbasmounaï, a été déclarée coupable d’avoir « organisé un grand rassemblement non autorisé » à Aktaou et condamnée à une courte peine de détention administrative. Le jour où elle devait être remise en liberté, elle a été inculpée d’incitation à la haine sociale au titre de l’article 164 du Code pénal, une infraction passible d’une peine de sept ans de prison. Elle a été placée en détention provisoire pour deux mois supplémentaires. Un recours contre son maintien en détention a été rejeté.

Selon certaines informations, un avocat désireux de la défendre dans cette affaire a été trouvé en juillet. Les demandes répétées de son mari pour lui rendre visite en détention n’ont pas abouti. Depuis qu’elle est détenue, les travailleurs ont ajouté sa libération à la liste de leurs revendications.

Akjanat Aminov, dirigeant d’un syndicat indépendant, qui représente les employés d’Ozenmounaïgaz, a été appréhendé par la police dans la nuit du 30 juin, puis placé en détention au secret pendant plusieurs jours. Il est en détention provisoire pour deux mois, pour incitation à la haine sociale lui aussi. La police affirme être en possession de séquences vidéo montrant Akjanat Aminov distribuant de l’eau à des grévistes et organisant des actions. Des collègues de cet homme disent cependant qu’il n’a pas pris part à ce rassemblement. Un tribunal d’Aktaou a rejeté le recours qu’il a formé contre son incarcération le 5 juillet. L’audience d’appel s’est semble-t-il déroulée à huis-clos et seuls les avocats avaient accès à la salle d’audience. Sa famille n’a pas été autorisée à assister aux débats et son épouse n’a toujours pas obtenu la permission de lui rendre visite en détention.

Kouanich Sissenbaïev, qui milite au sein d’un syndicat indépendant à Karajanbasmounaï, a été accusé d’avoir organisé un défilé non autorisé à travers la ville d’Aktaou le 5 juin. Il a été remis en liberté sous caution. Le 13 juillet, un tribunal d’Aktaou l’a condamné à 200 heures de travaux d’intérêt général. Nourbek Kouchakbaïev, dirigeant du syndicat indépendant Karakia, qui représente des employés d’Ersaï, a été arrêté le 15 juin et condamné le jour même à 10 jours de détention administrative et une amende pour avoir organisé un défilé non autorisé. Le tribunal a par ailleurs suspendu les activités de Karakia.

Amnesty International exhorte les autorités kazakhes à respecter le droit à la liberté de réunion des ouvriers grévistes et des autres manifestants, et à veiller à ce que les droits du travail qui sont universellement reconnus soient respectés lors de la résolution du conflit social actuel.

L’organisation engage les autorités kazakhes à mener sans délai une enquête rigoureuse et impartiale sur l’ensemble des informations selon lesquelles des ouvriers et des femmes de leur famille ont été frappés et soumis à d’autres types de mauvais traitements par la police, et à traduire en justice les auteurs présumés de ces violences dans le cadre de procédures équitables.

L’organisation demande aux autorités de libérer Natalia Sokolova et Akjanat Aminov, représentants de syndicats indépendants. Amnesty International estime qu’il s’agit de prisonniers d’opinion, arrêtés simplement pour avoir fait l’exercice légitime de leurs droits. Ils doivent se voir accorder le droit de recevoir régulièrement la visite de leur famille et de leurs avocats en détention.

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