Communiqué de presse

Kazakhstan. La torture en toute impunité

Amnesty International a accusé le président du Kazakhstan, Noursoultan Nazarbaïev, d’avoir dupé la communauté internationale quand il s’est engagé, avec son gouvernement, à éradiquer la torture et à enquêter pleinement sur le recours à la force meurtrière par la police.

Dans un rapport rendu public jeudi 11 juillet 2013, Amnesty International dénonce l’impunité dont jouissent les forces de sécurité et l’omniprésence de la torture dans les centres de détention.

Ce rapport, intitulé Old habits : The routine use of torture and other ill-treatment in Kazakhstan (voir document ci-dessous), précise qu’au moins 15 personnes ont été tuées et plus d’une centaine d’autres grièvement blessées lorsque les forces de sécurité ont fait usage d’une force excessive et meurtrière pour disperser des manifestants à Janaozen, en décembre 2011. Des dizaines de personnes ont été arrêtées par les forces de l’ordre et torturées dans des cellules souterraines surpeuplées de la police.

Amnesty International appelle le président à autoriser et à faciliter l’ouverture d’une enquête internationale indépendante sur le recours à la force meurtrière par les forces de sécurité à Janaozen en décembre 2011, comme l’a recommandé la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Navi Pillay.

« Les forces de sécurité du Kazakhstan ont blessé et tué des gens lors de la dispersion des manifestations à Janaozen, elles ont torturé les personnes arrêtées et les ont mises dans des prisons où les conditions de détention s’apparentent à des mauvais traitements, tandis que les autorités leur garantissaient l’impunité en n’enquêtant pas sur ces agissements, en violation flagrante de leurs obligations », a dénoncé Nicola Duckworth, directrice générale chargée des recherches à Amnesty International.

« Bien que les autorités n’aient cessé d’affirmer qu’elles avaient mené des enquêtes approfondies et impartiales, 17 mois après les violences de Janaozen, justice n’a toujours pas été rendue pour le recours à une force excessive et meurtrière, les détentions arbitraires ainsi que la torture et les autres mauvais traitements qui se sont traduits par des procès inéquitables pour des dizaines de personnes », a précisé Nicola Duckworth.

À la suite de l’enquête menée en 2012 sur le recours à la force à Janaozen, seuls cinq gradés ont été reconnus coupables d’abus de pouvoir et condamnés à des peines de prison. En revanche, aucune charge n’a été retenue contre les nombreux autres agents de la force publique qui ont reconnu publiquement avoir tiré sur les manifestants.

Selon des témoins, les personnes arrêtées ont été détenues au secret dans des cellules surpeuplées, et ont été déshabillées, frappées, notamment à coups de pied, et soumises à des jets d’eau froide. Au moins un homme est mort des suites de ces actes de torture. Les contrôles par ceux qui étaient autorisés à entrer dans les centres de détention n’ont pas pu être menés de façon indépendante ni exhaustive.

Pendant son procès en 2012, la militante du droit du travail Roza Touletaïeva, accusée d’être l’une des principales instigatrices des violences de décembre 2011, a raconté que les agents des services de sécurité l’avaient suspendue par les cheveux, lui avaient mis un sac en plastique sur la tête pour l’empêcher de respirer, et l’avaient soumise à des humiliations sexuelles. Ils avaient aussi menacé de s’en prendre à sa fille de 14 ans. Roza Touletaïeva a été condamnée à cinq ans d’emprisonnement pour « incitation à la discorde sociale ».

Les autorités continuent de rejeter les allégations de torture, y compris celles faites sous serment dans les tribunaux par des personnes arrêtées après les violences de Janaozen.

Dans une parodie de justice, l’équipe de magistrats du parquet qui avait enquêté sur les violences et ordonné les mises en détention a été chargée d’enquêter sur les allégations de torture.

Bazarbaï Kenjebaïev est mort le 21 décembre 2011, deux jours après sa sortie de garde à vue. Il a raconté à sa famille et à un journaliste russe qu’il avait été torturé dans le principal poste de police de Janaozen après son arrestation à la suite des violences le 16 décembre. Jenichbek Temirov, qui était à l’époque le responsable par interim du centre de détention de la police, est la seule personne à avoir été inculpée et condamnée dans cette affaire. Rien n’a été véritablement fait pour identifier et traduire en justice les autres agents des forces de sécurité qui avaient torturé Bazarbaï Kenjebaïev.

« Non seulement la torture et les autres mauvais traitements sont des pratiques solidement ancrées dans les habitudes, qui vont bien plus loin que de simples agressions physiques par les agents des forces de sécurité, mais en outre les conditions de détention sont cruelles, inhumaines et dégradantes : les prisonniers sont détenus dans des conditions dégradantes et punis par de longues périodes d’isolement en violation des normes internationales », a déclaré Nicola Duckworth.

Aron Atabek, écrivain et poète dissident âgé de 60 ans, a été arrêté en 2006 et reconnu coupable de participation à des troubles de grande ampleur ainsi que de l’homicide d’un policier. Il a déjà passé deux ans et demi à l’isolement, dans des conditions très difficiles, notamment sur le plan sanitaire. En novembre 2012, il a été condamné à deux autres années de détention à l’isolement dans une prison de haute sécurité à Arkalyk, à 1 650 kilomètres de chez lui.

En 2010, les autorités du Kazakhstan ont déclaré aux Nations unies que le gouvernement « n’aura[it] de cesse d’éliminer complètement et totalement toutes les rémanences de la torture ».

En 2011, le président Noursoultan Nazarbaïev a toutefois pris la décision regrettable de transférer le contrôle du système pénitentiaire du ministère de la Justice au ministère de l’Intérieur, qui est pourtant celui contre lequel le plus grand nombre d’allégations de torture ont été formulées.

« Il est évident que les engagements du gouvernement à éradiquer la torture ne sont destinés qu’à satisfaire la communauté internationale et à duper le grand public dans le pays et à l’étranger, tandis que la torture et les mauvais traitements se poursuivent sans relâche et sans entrave », a souligné Nicola Duckworth.

« Les promesses du gouvernement du président Nazarbaïev devant les Nations unies resteront sans lendemain tant qu’il n’autorisera pas une enquête internationale entièrement indépendante pour réaliser ce que les autorités kazakhes n’ont pas su accomplir en plus d’un an. Sans une telle enquête, les forces de sécurité continueront d’agir en toute impunité. »

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