AMNESTY INTERNATIONAL
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
Embargo : mercredi 8 décembre 2010 (00h01 TU)
Au Kenya, les violations des droits humains infligées aux réfugiés et demandeurs d’asile somaliens mettent des milliers de vies en danger, a indiqué Amnesty International dans un rapport publié mercredi 8 décembre 2010.
Intitulé From life without peace to peace without life , ce document montre que les milliers de personnes qui fuient les violences perpétrées en Somalie ne trouvent pas refuge, protection ni solutions durables au Kenya, la frontière entre les deux pays ayant été fermée il y a près de quatre ans pour des raisons de sécurité.
« Les combats incessants et les atteintes aux droits humains abominables commises en Somalie constituent une menace avérée pour la vie de dizaines de milliers d’enfants, de femmes et d’hommes. Aucun Somalien ne doit être renvoyé de force dans le sud et le centre de la Somalie », a expliqué Michelle Kagari, directrice adjointe du programme Afrique d’Amnesty International.
Au mois de novembre, quelque 8 000 Somaliens, qui s’étaient réfugiés au Kenya pour fuir les combats intenses dans la ville somalienne de Belet Hawo, ont été sommés de retourner dans leur pays par les autorités kenyanes. La police kenyane a ensuite contraint quelque 3 000 d’entre eux à retourner en Somalie, où ils courent toujours le risque d’être soumis à de graves violations des droits humains.
« De nombreux Somaliens n’ont pas d’autre choix que de franchir la frontière kenyane. Cependant, le Kenya ayant fermé le centre de filtrage situé près de la frontière, aucun Somalien n’est enregistré immédiatement et personne ne fait l’objet d’un filtrage. Comme on pouvait s’y attendre, cette mesure ne permet aucunement de régler les problèmes de sécurité nationale au Kenya. »
Au lendemain d’une flambée de violence en décembre 2006, le Kenya a fermé sa frontière de 682 kilomètres avec la Somalie, affirmant que des combattants qui entretiendraient des liens avec al Qaïda risquaient d’entrer dans le pays et de mettre en péril la sécurité nationale.
Pourtant, en raison de la porosité de la frontière, les Somaliens ont continué à fuir leur pays et à chercher refuge au Kenya. Les autorités kenyanes ont fermé les yeux sur l’afflux continu de demandeurs d’asile somaliens franchissant la frontière, ce qui remet en cause l’effet, si tant est qu’il existe, de cette fermeture sur la situation en termes de sécurité.
Lors d’une rencontre avec Amnesty International en mars 2010, le ministre kenyan de l’Immigration a en effet admis que « fermer la frontière n’a[vait] pas d’effet bénéfique. Nous ferions mieux de filtrer [les demandeurs d’asile somaliens], afin de savoir qui ils sont. »
Dans son rapport circonstancié, Amnesty International explique que depuis la fermeture de la frontière, les forces de sécurité kenyanes ont renvoyé de force des demandeurs d’asile et des réfugiés en Somalie, leur ont extorqué des pots-de-vin et les ont arrêtés et détenus de manière arbitraire. Les Somaliens sont régulièrement harcelés par la police kenyane dans les régions frontalières, dans les camps de réfugiés de Dadaab, situés dans le nord-est du Kenya, et dans les zones urbaines, y compris à Nairobi.
Une Somalienne de 55 ans a raconté à Amnesty International en mars 2010 :
« Je suis arrivée à Dadaab il y a sept jours en passant par Dobley. Arrêtée après Dobley, j’ai passé six jours en prison à Garissa. Je suis venue en voiture avec 25 autres Somaliens. Nous avons tous été emprisonnés… J’avais quatre enfants avec moi : une fillette de 11 ans, et trois garçons de neuf, huit et trois ans. La police kenyane nous a dit : " Vous êtes entrés illégalement par la mauvaise route. " J’ai dû leur donner 5 000 shillings kenyans [47 euro]. Mes proches ont dû m’envoyer de l’argent. »
Les trois camps de Dadaab sont déjà extrêmement surpeuplés. Conçus à l’origine pour accueillir 90 000 réfugiés, ils en hébergent désormais plus de 280 000. La pression est par conséquent considérable sur l’accès des habitants à un abri, à l’eau, aux installations sanitaires, à la santé et à l’éducation. Le gouvernement kenyan a traîné les pieds avant d’attribuer de nouveaux terrains pour recevoir la population croissante de réfugiés.
Les réfugiés installés à Dadaab ont expliqué à Amnesty International que les camps eux-mêmes devenaient de moins en moins sûrs et que des membres et des sympathisants d’al Shabab, groupe armé islamiste somalien, y habitaient ou y circulaient et, parfois, y recrutaient des réfugiés pour aller combattre en Somalie. Les forces de sécurité kenyanes auraient également été impliquées dans le recrutement de réfugiés somaliens aux fins de formation militaire fin 2009.
« Dans les camps de Daadab, nous sommes désormais face à une situation de crise, a fait valoir Michelle Kagari. Les réfugiés somaliens se retrouvent coincés entre une zone de conflit et ce que d’aucuns décrivent comme une prison ouverte, car le Kenya ne les autorise pas à sortir des camps sans une autorisation spéciale. Les réfugiés qui se sont rendus dans des villes kenyanes vivent dans la précarité et sont exposés aux violences policières.
« Le Kenya prend en charge de manière disproportionnée la responsabilité des flux massifs de réfugiés venus de Somalie et a besoin d’une aide accrue de la communauté internationale, notamment des pays de l’Union européenne (UE), en vue d’offrir des solutions durables à ces personnes. »
Amnesty International engage le gouvernement kenyan à veiller à ce que les Somaliens fuyant les violations flagrantes des droits humains et les violences exercées sans discrimination trouvent refuge sur le sol kenyan et y bénéficient d’une réelle protection.
Elle demande aussi à la communauté internationale et aux partenaires donateurs du Kenya de partager la responsabilité de la crise des réfugiés au Kenya, de renforcer les programmes de réinstallation et de soutenir les projets d’intégration locale visant à améliorer la vie des réfugiés au Kenya.