Kenya : Violences, homicides et manœuvres d’intimidation

Des policiers lourdement armés ont recours illégalement à la force contre des manifestants et des passants à Kisumu, une ville de l’ouest du Kenya, et ces interventions semblent relever d’une campagne délibérée visant à punir les personnes qui ont continué à manifester la dernière semaine, sur fond de chaos électoral

À Nairobi, les brutalités policières ont alterné avec des actes de violence et des manœuvres d’intimidation imputables aux partisans des deux principales personnalités politiques du pays, le président en exercice Uhuru Kenyatta et le dirigeant de l’opposition Raila Odinga.

« À Kisumu, les éléments que nous avons rassemblés brossent un tableau sombre : la police tire sur des manifestants, les agresse violemment et entre par effraction au domicile de personnes soupçonnées d’en être, et s’attaque aussi à des passants. Des personnes ont été grièvement blessées ou ont été la cible de tirs alors qu’elles achetaient de la nourriture au marché, rentraient à pied de l’école ou se reposaient chez elles, a déclaré Justus Nyang’aya, responsable d’Amnesty International Kenya.

« Nous assistons visiblement à des opérations de police punitives, dont l’objectif évident est d’intimider et de réprimer les habitants du bastion de l’opposition. »

Homicides et tirs aveugles

Au moins deux hommes ont été abattus par la police lors des violences en lien avec l’élection qui ont eu lieu le 26 octobre à Kisumu. Un autre homme a succombé à ses blessures, dont l’apparence laissait supposer qu’il avait été roué de coups au moyen d’un objet contondant de grande taille. Néanmoins, les circonstances de sa mort demeurent inconnues.

Le 26 octobre, un militant et travailleur associatif a été tué par balle dans le bidonville de Mathare-Nord, à Nairobi. Tous les éléments disponibles semblent indiquer que les policiers déployés dans la zone pour encadrer les manifestations sont responsables de ce décès. Toutefois, la police n’a pas reconnu que des agents avaient fait feu.

Des chercheurs d’Amnesty International se sont entretenus avec sept autres personnes, y compris un adolescent de 16 ans, qui étaient en convalescence car des policiers les avaient blessées par balle à Kisumu. Dans la plupart des cas, la police semble avoir tiré au hasard sur les personnes qu’elles considéraient comme des manifestants.

« Il faut que l’utilisation sans discernement de munitions réelles contre des manifestants cesse immédiatement. Les armes à feu ne doivent jamais servir à disperser une foule et les policiers doivent recevoir des instructions claires de leurs supérieurs afin qu’ils n’emploient que les méthodes autorisées par le droit kenyan et le droit international », a déclaré Justus Nyang’aya.

Kisumu, opérations de police punitive

Des chercheurs d’Amnesty International se sont entretenus avec sept personnes qui affirment avoir été agressées et battues par la police à Kisumu entre le 24 et le 27 octobre et ont recueilli des informations sur leurs blessures. Pour quatre de ces personnes, l’attaque a eu lieu à leur domicile, où des policiers avaient fait irruption.

Un homme d’une trentaine d’années, qui vend de la nourriture préparée par sa mère, était visiblement bouleversé en racontant qu’il avait essuyé des tirs alors qu’il allait acheter des légumes au marché de Kondele. Lorsqu’il avait vu des policiers armés de pistolets, il s’était mis à genoux, les mains en l’air. Un policier avait tiré sur sa main gauche et touché son annulaire. Un autre l’avait traîné jusqu’à un égout à ciel ouvert et forcé à y boire. Il avait ensuite été roué de coups et sa main blessée avait été cassée avec la crosse d’un pistolet.

La gravité des blessures de certaines des victimes atteste le recours à une force extrême.

Un jeune homme de 25 ans est rentré en courant dans sa maison, à Kondele, quand la police est arrivée en trombe dans le quartier, le 27 octobre vers 20 heures. Il a déclaré à Amnesty International :

« Je me suis réfugié à l’intérieur et j’ai verrouillé la porte, mais ils [les policiers] l’ont enfoncée [...]. Lorsqu’ils ont commencé à me frapper à la tête avec des [matraques], je me suis défendu avec mes bras [...]. Ils me rouaient de coups sur tout le corps. Dans le dos, c’est très douloureux si on y touche. Aux côtes aussi. »

Outre une blessure sous l’œil qui a nécessité des points de suture et des plaies sanglantes au bras, il a eu le crâne fracturé. Selon un médecin, la force nécessaire pour occasionner de telles lésions au crâne et dans la région sous-durale est équivalente au choc d’un accident de moto.

Une femme a expliqué qu’elle était chez elle quand huit policiers armés avaient enfoncé la porte et fait irruption. Ils avaient commencé à asséner des coups de matraque à son fils de 20 ans, le touchant à l’œil, la jambe et la main gauches. Lorsqu’elle les avait suppliés d’arrêter, ils l’avaient frappée au ventre.

Elle a déclaré :

« Ils sont entrés et nous ont dit "c’est vous qui jetez des pierres". J’ai répondu que ce n’était pas nous. Ils nous ont ordonné de montrer nos mains. Nous l’avons fait et ils ont dit que cette main était faite pour jeter des pierres, et ils l’ont battu [mon fils]. J’ai pleuré. »

Lorsque des chercheurs d’Amnesty International ont rencontré son fils, il avait un œil très abîmé, enflé et recousu.

Elle leur a expliqué qu’elle-même et cinq autres personnes, craignant de nouveaux raids, avaient passé la nuit dans une école voisine.

« Bien que certains des manifestants de Kisumu se soient montrés violents, en lançant des cailloux et en utilisant des lance-pierres, la réaction de la police est totalement disproportionnée et s’apparente parfois plus à une vengeance qu’à une opération légitime de maintien de l’ordre », a déclaré Justus Nyang’aya.

Nairobi, des violences policières non signalées

À Nairobi, il semble que la police ait ouvert le feu à plusieurs reprises sans que les autorités ne le reconnaissent.

Outre le militant et travailleur associatif abattu dans le bidonville de Mathare-Nord le 26 octobre, au moins quatre personnes auraient été blessées par balle dans cette zone au cours des derniers jours. Les chercheurs d’Amnesty International ont aussi recueilli des éléments crédibles faisant état de coups et blessures imputables à la police.

L’organisation suit plusieurs autres cas dans lesquels la police a eu recours à une force excessive le jour de l’élection et par la suite. Nombre de ces cas n’ont été signalés ni à la police ni par elle. Les victimes avaient extrêmement peur de dénoncer officiellement les violences, craignant des représailles de la part de la police.

Des enquêtes indispensables

À Nairobi comme à Kisumu, la police a été confrontée à des manifestants et, dans certaines zones, à des personnes qui tentaient d’empêcher le déroulement du scrutin en bloquant des bureaux de vote ou en intimidant des électeurs. Elle a un rôle légitime à jouer pour ce qui est de permettre aux citoyens souhaitant voter de le faire en toute sécurité. Par ailleurs, elle est autorisée à réagir si des manifestations prennent une tournure violente, à condition d’avoir recours à la force strictement nécessaire pour contenir la situation.

L’utilisation d’armes à feu n’est justifiée que si des policiers, ou des personnes qu’ils sont tenus de protéger, sont confrontés à un risque imminent de mort ou de blessure grave. Dans aucun des cas décrits par Amnesty International la police n’a agi de manière légitime et proportionnée.

Nombre de personnes ont été touchées parce que la police a tiré des salves à balles réelles sans discernement. Certaines étaient de simples passants.

Tous les coups portés intentionnellement constituent une violation des droits des personnes concernées.

« Le fait que la police ne révèle pas d’informations claires sur les tirs meurtriers est profondément préoccupant. Il faut que tous ces cas fassent immédiatement l’objet d’une enquête de l’Autorité indépendante de surveillance du maintien de l’ordre, a déclaré Justus Nyang’aya.

« Pour maîtriser les actions de la police et les mettre en conformité avec les directives reconnues internationalement en matière de maintien de l’ordre, il est essentiel que les auteurs présumés de violations, et les personnes soupçonnées de porter une responsabilité au niveau du commandement, soient traduits en justice. »

Toutes les infos
Toutes les actions

L’avortement est un droit. Parlementaires, changez la loi !

L’avortement est un droit humain et un soin de santé essentiel pour toute personne pouvant être enceinte. Ceci sonne comme une évidence ? Et bien, ce n’est pourtant pas encore une réalité en (…)

2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit