Kosovo. Justice à retardement égale déni de justice

Déclaration publique

ÉFAI - 8 février 2010

À l’occasion du troisième anniversaire de la mort de Mon Balaj et Arben Xheladini, victimes d’un homicide illégal dans la capitale Pristina le 10 février 2007 au cours d’une manifestation à laquelle participaient également Zenel Zeneli et Mustafë Nerjovaj, tous deux sérieusement blessés, Amnesty International lance un appel au représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour qu’il veille à ce que les familles de Mon Balaj et Ärben Xheladini et les deux blessés, Zenel Zeneli et Mustafë Nerjovaj aient accès à la justice et à ce que leurs plaintes soient examinées par le Groupe consultatif sur les droits de l’homme.

Mon Balaj et Arben Xheladini ont été tués au cours d’une manifestation organisée dans la capitale Pristina pour protester contre une proposition de Martti Ahtisaari, envoyé spécial des Nations unies concernant le statut futur du Kosovo. Bien que la manifestation ait été non violente, la police de la Mission d’administration intérimaire des Nations unies au Kosovo (MINUK) avait eu recours aux gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants lorsque ceux-ci avaient refusé de s’éloigner du parlement du Kosovo. En outre, les membres d’une unité de police roumaine sous le contrôle de la MINUK avaient ouvert le feu sur les manifestants avec des balles en caoutchouc. Mon Balaj et Arben Xheladini avaient été tués. Zenel Zeneli, Mustafë Nerjovaj ainsi que d’autres personnes avaient été blessés par des tirs de balles en caoutchouc.

Selon une enquête interne de la MINUK, réalisée en 2007, la mort des deux manifestants et les blessures subies par les autres personnes s’expliqueraient par un mauvais usage des balles en caoutchouc par des membres de l’unité de police roumaine. L’enquête menée par un procureur militaire en Roumanie n’a pas permis d’identifier ni de poursuivre en justice les auteurs des tirs. Aucun de ceux qui ont donné l’ordre d’utiliser ces balles en caoutchouc (périmées et dangereuses selon une enquête interne de la MINUK) ou qui se sont abstenus d’en empêcher l’usage, n’ont eu à répondre de leurs actes.

Amnesty International remarque avec inquiétude qu’il semble de plus en plus improbable que les responsables de ces homicides illégaux et des blessures graves infligées à des manifestants soient amenés à rendre des comptes devant la justice et que des réparations soient accordées aux deux blessés ainsi qu’aux familles de ceux qui sont morts. L’organisation note par ailleurs qu’une procédure pénale a été rouverte à l’encontre d’Albin Kurti, accusé d’avoir organisé la manifestation de l’ONG Vetëvendosje ! (Autodétermination) le 10 février 2007 et d’y avoir participé.

Amnesty International est très préoccupée par le fait que les victimes de cette journée n’ont toujours pas eu accès à la justice. Cela fait maintenant trois ans que les familles de Mon Balaj et Ärben Xheladini ont perdu leurs fils dans des circonstances tragiques et que Zenel Zeneli et Mustafë Nerjovaj ont été blessés. Amnesty International considère que leur peine et leurs souffrances ont été indûment prolongées du fait de l’incapacité de la MINUK à leur accorder l’accès à un recours effectif.

Une plainte a été déposée contre la MINUK auprès du Groupe consultatif pour les droits de l’homme (HRAP) le 19 mars 2008 par Zenel Zeneli, Mustafë Nerjovaj et les parents des deux hommes décédés. Établi en mars 2006 en vertu d’un règlement de la MINUK, le Groupe consultatif sur les droits de l’homme a pour objectif de fournir un recours aux actes et omissions de la MINUK. Il n’a pas le pouvoir de requérir l’ouverture d’une information judiciaire, mais peut recommander à la MINUK de le faire.

Amnesty International déplore que le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies (RSSG) et le Bureau des affaires juridiques de la MINUK aient de façon répétée fait obstacle à l’accès aux réparations et l’accès à la justice des familles et des victimes. Depuis septembre 2009, date à laquelle le Groupe consultatif a déclaré l’affaire recevable, la MINUK conteste cette décision ; elle a refusé d’autoriser une audience publique de l’affaire en mars 2009 et a refusé d’assister aux audiences suivantes programmées en juin 2009. En octobre 2009, le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies (RSSG) a promulgué un nouveau règlement de la MINUK concernant le Groupe consultatif, qui a eu pour effet de déclarer l’affaire irrecevable. Cette position a récemment été réaffirmée par le RSSG dans une lettre adressée aux avocats agissant au nom des victimes.

Amnesty International a salué la compensation financière offerte aux victimes et à leurs proches au titre de l’article 29 de la Convention des Nations unies sur les privilèges et immunités des Nations unies mais regrette la conditionnalité initialement attachée à cette offre et le fait que l’acceptation d’une telle offre semble exclure la possibilité pour les familles de poursuivre la procédure devant le Groupe consultatif.

Amnesty International ne considère pas qu’une compensation financière suffise à remplir l’obligation d’assurer aux victimes et à leurs familles, dans un délai raisonnable, des réparations adéquates et effectives notamment sous forme de restitution, indemnisation, réadaptation, réhabilitation et garanties de non répétition, pour les souffrances endurées. Ces réparations devraient inclure, entre autres, l’accès à la justice.

Amnesty International considère qu’une audience publique dans cette affaire d’homicides illégaux et de blessures graves résultant d’un recours excessif à la force est dans l’intérêt de la justice et de la protection des droits fondamentaux des personnes.

Complément d’information

La MINUK, toujours présente au Kosovo au titre de la résolution 1244/99 du Conseil de sécurité des Nations unies, a pour mandat de rétablir un état de droit et de faire respecter les droits humains au Kosovo. Amnesty International considère que les Nations unies et les États contributeurs doivent veiller à ce que tous les responsables présumés d’atteintes aux droits humains, d’actes criminels ou illicites soient appelés à rendre des comptes, y compris dans le cadre de poursuites pénales lorsque cela se justifie.

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