Kosovo (Serbie). Albin Kurti – des poursuites à caractère politique ?

Déclaration publique

Amnesty International craint que le procès d’Albin Kurti, dirigeant de l’organisation non gouvernementale Vetëvendosje (Autodétermination) ne se déroule pas dans le respect de la législation applicable au Kosovo ou des normes internationales d’équité des procès. Albin Kurti comparaît actuellement devant une commission internationale de magistrats siégeant à Pristina (Kosovo). L’organisation est préoccupée par le fait que les poursuites engagées contre cet homme et son procès semblent revêtir un caractère politique ; elle s’inquiète du manque d’indépendance de la justice dans cette affaire.

Albin Kurti a été arrêté le 10 février 2007 après avoir pris part à une manifestation de protestation contre les propositions de l’ONU concernant le statut final du Kosovo. Il est considéré comme un des dirigeants de l’opposition populaire à ces propositions et à la présence au Kosovo de la Mission d’administration intérimaire des Nations unies au Kosovo (MINUK).
Albin Kurti a fait l’objet le 31 mai 2007 de trois chefs d’inculpation de troubles à l’ordre public en relation avec la manifestation du 10 février, dont « participation à une foule ayant commis une infraction pénale » et « participation à un groupe ayant fait obstacle à des représentants de l’État [policiers] ».

Ces charges n’ont été retenues contre aucun autre participant à la manifestation. Albin Kurti a également été inculpé d’« appel à la résistance », autre chef d’inculpation qui n’a été retenu contre aucun autre membre du groupe ayant organisé la manifestation. Les charges faisant référence à l’« agression de représentants de l’État », qui avaient été initialement retenues contre lui ont été abandonnées en juin.

S’il est reconnu coupable, Albin Kurti est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à dix ans d’emprisonnement. Amnesty International constate qu’onze autres personnes, parmi lesquelles un autre membre influent de Vetëvendosje arrêté lui aussi le 10 février en relation avec la manifestation, ont été inculpées d’infractions moins graves. Une personne a été condamnée à quarante jours d’emprisonnement ; d’autres ont été jugées par le tribunal chargé des délits et condamnées à des peines comprises entre quinze et quarante jours d’emprisonnement ou, dans un cas, à un simple blâme.

Albin Kurti est le seul parmi les organisateurs de la manifestation de février 2007 à comparaître devant la commission internationale, celle-ci étant normalement compétente pour juger les crimes graves, y compris les crimes de guerre.
Des organisations non gouvernementales (ONG) locales et internationales, ainsi que l’institution de médiation au Kosovo, se sont préoccupées de la légalité du premier placement en détention d’Albin Kurti et du fondement légal de son maintien en détention. Le 10 mai, sans avoir été inculpé, Albin Kurti a été transféré de la prison dans son appartement où il a été assigné à résidence vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Jusqu’au 14 novembre 2007, Albin Kurti est resté sous surveillance policière jour et nuit, ne pouvant quitter son appartement sans l’autorisation expresse du tribunal et se voyant interdire tout contact avec les médias ou Vetëvendosje. Le 14 novembre, le tribunal a décidé, après un examen de sa détention, d’en modifier les conditions afin qu’il puisse sortir de chez lui entre 10 heures et 19 heures avec un couvre-feu de quinze heures, sous surveillance policière.

Amnesty International considère que les effets d’une assignation à résidence, même si celle-ci est régulièrement réexaminée, comme c’est le cas dans cette affaire, s’apparentent à une privation de liberté.

En mai, la Fédération internationale Helsinki pour les droits de l’homme, qui a observé le procès, a fait état de sa préoccupation au sujet de l’indépendance de la justice dans les décisions sur la détention d’Albin Kurti ; elle a souligné en particulier qu’un juge relevant des instances internationales avait pris contact avec le procureur après l’audience – en l’absence à la fois d’Albin Kurti et de l’avocat désigné par le tribunal pour le défendre – pour mettre au clair ce que l’accusation souhaitait recommander en relation avec la détention d’Albin Kurti. En outre, des responsables du ministère de la Justice du Kosovo ont refusé d’autoriser la Fondation à rendre visite à Albin Kurti avant qu’il ne soit jugé, au motif qu’il s’agissait d’un détenu de « catégorie A », relevant exclusivement de la MINUK. Le directeur par intérim du département de la Justice de la MINUK n’a pas pu fournir à Amnesty International de document définissant ce que sont les prisonniers de « catégorie A ».

Amnesty International est également préoccupée par les allégations, dont se sont fait l’écho des ONG tant nationales qu’internationales, d’ingérence du pouvoir exécutif dans cette affaire. L’organisation a été informée par Albin Kurti de ce que, pendant sa détention, il avait reçu des visites informelles d’un membre du personnel du département de la justice de la MINUK et d’un diplomate américain, qui lui auraient demandé de s’engager à ne plus organiser de manifestations.

Amnesty International considère aussi que la procédure ne s’est par déroulée dans le respect des dispositions du code de procédure pénale provisoire du Kosovo. Le 19 septembre, par exemple, le président du tribunal n’a pas suivi le code de procédure en n’informant pas Albin Kurti de ses droits et en interdisant à l’accusé de faire une déclaration au tribunal, lui demandant, selon certaines informations, de « la fermer ». Amnesty International considère qu’empêcher un accusé de s’adresser au tribunal peut constituer une violation du droit de se défendre garanti par l’article 6 (3) de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 12 (2) du code de procédure pénale provisoire du Kosovo.

Amnesty International s’inquiète également du non-respect de la procédure en ce qui concerne la demande d’Albin Kurti de renvoyer la commission internationale de magistrats. Sa requête se fondait sur le fait que la commission n’avait pas respecté le droit d’Albin Kurti à la présomption d’innocence, et qu’elle n’était ni impartiale ni indépendante de l’exécutif. Albin Kurti n’a pas reçu d’avis écrit l’informant officiellement de l’issue de sa requête ; il a simplement été informé de manière non officielle le 26 octobre de ce qu’elle avait été rejetée par le président du tribunal de district de Pristina. Son avocat, commis d’office, qui s’était auparavant retiré de cette affaire devant le tribunal, aurait reçu semble-t-il une lettre faisant état de cette décision mais n’aurait rien fait à ce sujet étant donné qu’il ne s’occupait plus d’Albin Kurti. De ce fait, Albin Kurti a été privé du droit d’interjeter appel de cette décision.

Le 14 novembre, lors d’une audience consacrée à l’examen de la détention d’Albin Kurti, celui-ci a de nouveau été empêché de s’adresser au tribunal. La même chose s’est produite lors de l’audience du 15 novembre, dont Albin Kurti n’avait été informé que la veille, en violation du code de procédure pénale provisoire du Kosovo, qui dispose qu’un avis écrit doit être fourni huit jours avant l’audience.

Après le 15 novembre, le tribunal a désigné un nouvel avocat de la défense qui aurait déclaré qu’il n’était pas d’accord avec l’objection de son client à la commission des juges. Lors d’une audience le 4 décembre, Albin Kurti a voulu présenter l’enregistrement d’une émission de télévision dans laquelle l’avocat désigné par le tribunal aurait fait des déclarations critiques à l’égard d’Albin Kurti, en relation avec la manifestation de février 2007. Amnesty International rappelle que l’article 6(3) de la Convention européenne des droits de l’homme (qui est reprise dans la législation applicable au Kosovo) garantit le droit des accusés à l’avocat de leur choix.

Le tribunal a statué qu’il n’avait pas agi de manière inappropriée en prononçant une nouvelle mise en accusation le 19 septembre sans l’avoir d’abord soumise à Albin Kurti ; le juge présidant le tribunal aurait cependant déclaré que le nouvel acte d’accusation n’était désormais pas important parce qu’il ne serait « pas utilisé ».

Étaient présents à l’audience du 4 décembre un grand nombre d’observateurs internationaux et locaux, parmi lesquels des représentants d’Amnesty International ; de la Fondation internationale Helsinki ; de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ; du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies ; de l’institution de médiation pour le Kosovo ; du Centre de droit humanitaire ; du Centre kosovar de réadaptation des victimes de torture, ainsi que de nombreux médias locaux et internationaux. En présence des observateurs, la commission a respecté la plupart du temps le code de procédure pénale provisoire du Kosovo ; elle a également autorisé Albin Kurti à procéder à un contre-interrogatoire d’un témoin de l’accusation. Le procès a été ajourné au 30 janvier 2008. Albin Kurti est toujours en résidence surveillée.

Enfin, Amnesty International constate avec préoccupation qu’aucune enquête judiciaire n’a été ouverte contre les membres de l’unité de police roumaine de l’ONU qui sont soupçonnés d’avoir tué illégalement deux manifestants et d’en avoir blessé 80 autres lors de la manifestation organisée le 10 février 2007 par Vetëvendosje. Personne n’a été déféré à la justice par les autorités du Kosovo ou de la Roumanie.

Complément d’information

Dans un rapport à venir sur le programme de justice internationale mis en place au Kosovo en 2000, Amnesty International fait état notamment de la vive préoccupation que lui inspire le manque d’indépendance des magistrats internationaux nommés par la MINUK. L’organisation a constaté par exemple qu’aucune procédure n’avait été mise en place pour que les juges et les procureurs soient réellement tenus de rendre des comptes ; elle donne également dans son rapport des exemples d’ingérence du pouvoir exécutif dans l’attribution des affaires et, dans certains cas, dans leur déroulement.

Amnesty International lance un appel pour que soit menée en toute transparence l’enquête de la MINUK sur la mort de Mon Balaj et Arbîn Xheladini, index AI : EUR 70/002/2007 ; 15 février 2007 http://web.amnesty.org/library/Index/FRAEUR700022007

Kosovo (Serbie). Les policiers roumains et la MINUK doivent répondre de la mort de manifestants au Kosovo, index AI : EUR 70/010/2007, 9 juillet 2007 http://web.amnesty.org/library/Index/FRAEUR700102007

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