Amnesty International condamne la série d’arrestations, de mesures d’intimidation et de harcèlement ciblant les défenseurs des droits humains qui exercent pacifiquement leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion, qui a eu lieu au Koweït avant et après l’Examen périodique universel (EPU) effectué par le Groupe de travail du Conseil des droits de l’homme durant sa 21e session à Genève, en janvier 2015. Les actes du gouvernement témoignent d’un mépris flagrant envers l’EPU et les 278 recommandations faites au Koweït par des États membres de l’ONU durant la session du Groupe de travail, dont beaucoup demandent justement que le pays garantisse les droits qui ont été bafoués au Koweït pendant cette période.
Amnesty International demande au gouvernement de prendre des mesures urgentes afin de remédier au rétrécissement de l’espace dédié à la liberté d’expression et de réunion au Koweït : il doit notamment libérer immédiatement et sans condition les personnes emprisonnées pour avoir exercé sans violence leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion, et mettre un terme aux arrestations, détentions et incarcérations arbitraires de militants et de personnes exerçant de manière légitime leurs droits fondamentaux. Amnesty International demande aux autorités du Koweït d’organiser une consultation publique, globale et complète, sur les recommandations de l’EPU avant de présenter leur réponse durant la 29e session du Conseil des droits de l’homme, en juin 2015.
Elle appelle particulièrement l’attention sur les recommandations faites par 11 États chargés de l’examen, qui demandent au Koweït de garantir les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion, notamment en modifiant son Code pénal et les lois relatives aux médias et à Internet, en vue de les aligner sur les normes internationales et de « protéger les défenseurs des droits humains, les journalistes et les blogueurs contre la persécution et le harcèlement ». Conseil des droits de l’homme, Draft Report of the Working Group on the Universal Period Review - Kuwait, A/HRC/WG.6/21/L.14, 30 janvier 2015, paragraphe 5.173 (Australie), 5.174 (Italie), 5.175 (Estonie), 5.176 (République tchèque), 5.177 (États-Unis), 5.178 (Royaume-Uni), 5.179 (Autriche), 5.180 (Norvège), 5.181 (Mexique), 5.182 (France) et 5.183 (Uruguay). La citation est tirée de la recommandation 5.176, qui préconise d’examiner la conformité des lois existantes, en particulier des articles 25 et 111 du Code pénal, avec les normes internationales relatives à la liberté d’expression, et de protéger les défenseurs des droits humains, les journalistes et les blogueurs contre les persécutions et les actes de harcèlement (République tchèque). [A/HRC/WG.6/21/L.14] Amnesty International exhorte le gouvernement à accepter et à appliquer pleinement et sans délai ces recommandations, en gardant à l’esprit que cela nécessitera de modifier des dispositions qui ne seront pas forcément liées à la liberté d’expression – par exemple la Loi relative à l’usage répréhensible du téléphone et des dispositifs d’écoute, amendée par la Loi n° 40 de 2007, la Loi sur les médias audiovisuels, la Loi sur la sauvegarde de l’unité nationale et l’article 15 de la Loi sur la sécurité nationale.
En outre, s’agissant de la liberté de réunion, Amnesty International exhorte le Koweït à réviser et modifier le Décret-loi n° 65 de 1979 sur les réunions et rassemblements publics. La Cour constitutionnelle a plusieurs fois reporté la décision sur une requête contestant la légalité de ce texte, ce qui illustre l’imbroglio juridique dans lequel est pris au piège le gouvernement koweïtien, qui n’a pas mis les dispositions de la loi en conformité avec les obligations lui incombant en tant qu’État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).
Amnesty International met l’accent sur les 17 recommandations faites par plusieurs États au sujet des personnes apatrides et du droit à la nationalité. A/HRC/WG.6/21/L.14, paragraphes 5.34 (Allemagne), 5.120 (France), 5.240 (Ukraine), 5.241 (Pays-Bas), 5.242 (Norvège), 5.243 (Belgique), 5.244 (Italie), 5.245 (États-Unis), 5.246 (Slovaquie), 5.247 (République tchèque), 5.248 (Espagne), 5.249 (Royaume-Uni), 5.250 (Argentine), 5.251 (Autriche), 5.252 (République de Corée), 5.253 (République de Corée) et 5.254 (Suisse). La plupart ont demandé au Koweït de régulariser la situation de plus de 100 000 bidun (Arabes apatrides). L’expression complète est « Bidun jinsiyya », qui signifie « sans nationalité ». Certains États, dont la Belgique, ont demandé la mise au point d’une procédure pour les demandes de nationalité, tandis que d’autres, comme la Norvège, ont demandé que la population bidun bénéficie de la pleine citoyenneté et de ses pleins droits. À cet égard, Amnesty International exhorte le gouvernement du Koweït à tenir la promesse qu’il lui a faite en octobre 2012 de résoudre la situation des bidun apatrides dans les cinq années à venir, c’est-à-dire d’ici octobre 2017. Amnesty International a présenté ses recommandations au Koweït dans le document intitulé Suggestions de recommandations aux États qui seront soumis à l’Examen périodique universel lors de sa 21e session, du 19 au 30 janvier 2015 – Index AI : IOR 41/038/2014 ; 28 novembre 2014, http://www.amnesty.org/fr/library/info/IOR41/038/2014/fr.
Amnesty International déplore le fait que, si plusieurs États ont fait des recommandations liées à l’administration de la justice et à l’état de droit – A/HRC/WG.6/21/L.14, paragraphes 5.141 (France), 5.160 (Nicaragua), 5.161 (Cuba), 5.162 (Côte d’Ivoire), 5.163 (Bosnie-Herzégovine), 5.164 (Pologne) et 5.166 (Serbie) – aucun n’a évoqué la torture et les mauvais traitements en d’autres termes que la levée des réserves à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et la ratification de son Protocole facultatif. A/HRC/WG.6/21/L.14, paragraphes 5.8 (Autriche), 5.9 (Costa Rica, Danemark, Honduras), 5.10 (Brésil), 5.11 (Estonie) et 5.17 (Chili). À ce sujet, Amnesty International rappelle au Koweït qu’il est tenu, en tant qu’État partie à la Convention, d’intégrer dans sa législation nationale une définition de la torture, conformément à l’article 1 de ladite Convention.
Amnesty International se réjouit du fait que plus de 20 États chargés de l’examen ont évoqué la question de la peine de mort et fait des recommandations : certains ont invité le Koweït à rétablir le moratoire de facto sur le recours à la peine de mort, d’autres à abolir complètement ce châtiment. A/HRC/WG.6/21/L.14, paragraphes 5.2 (Slovénie), 5.3 (Slovénie), 5.5 (Namibie), 5.10 (Brésil), 5.121 (Slovénie), 5.122 (Espagne), 5.123 (Rwanda), 5.124 (Italie), 5.125 (Uruguay), 5.126 (Togo), 5.127 (Belgique), 5.128 (France), 5.129 (Suède), 5.130 (Grèce), 5.131 (Monténégro), 5.132 (Bulgarie), 5.133 (Namibie), 5.134 (Portugal), 5.135 (Chili), 5.136 (Allemagne), 5.137 (Suisse) et 5.138 (Ukraine). Amnesty International engage le Koweït à accepter et mettre en œuvre ces recommandations et invite le gouvernement à commuer toutes les condamnations à mort en peines de prison.
Complément d’information
Si les chiffres et les circonstances exacts ne sont pas connus, entre le 28 et le 31 janvier, les autorités ont décerné des mandats d’arrêt, annoncé des condamnations et procédé à 12 arrestations. Chaque condamnation est liée principalement à l’exercice pacifique du droit de s’exprimer et de se réunir pacifiquement. Plusieurs personnes ont été inculpées d’autres infractions mineures. Au moment où nous rédigeons cette déclaration, un homme serait toujours détenu.
Aussi connu sur Twitter sous le nom de Bu Asem, Mohammad al Ajmi, défenseur des droits humains et membre du Comité national de surveillance des violations (NCV), avait déjà été détenu en 2014. Le 28 janvier 2015, à 18 heures, Mohammad al Ajmi a quitté son domicile de Koweït City. Peu après, il a été interpellé par des agents des services de la Sûreté de l’État, qui ne lui ont fourni aucun motif. Sa famille n’en a pas été informée. Sa mère n’a appris qu’il avait été arrêté que lorsque des agents se sont présentés chez eux à 22 heures et ont demandé à prendre ses médicaments. Ils ont dit à sa mère qu’il était retenu au siège de la Sûreté de l’État et qu’il avait été interpellé en raison de tweets postés au lendemain de la mort du roi Abdallah d’Arabie saoudite. Son avocat et ses proches n’ont pas été autorisés à entrer en contact avec lui pendant sa détention. Il a été libéré sous caution le 2 février, mais la date de son procès n’a pas été fixée.
Musaed al Musayleem et Naser al Smayt auraient été interpellés et accusés de nuire aux relations du Koweït avec d’autres États, ce qui constitue un crime au titre du Code pénal. Les autorités ont libéré Naser al Smayt le 28 janvier.
Le journaliste Flayeh (Fulayeh) al Azmi a été arrêté en raison d’un tweet sur la mort du roi Abdallah d’Arabie saoudite. Il a été libéré sous caution le 2 février. On ignore s’il a été inculpé ou s’il va être jugé.
Selon des informations parues dans les médias le 29 janvier, une cour d’appel a confirmé la condamnation à cinq ans de prison prononcée à l’encontre d’Abdulaziz Jarallah al Mutairi pour insulte au chef de l’État koweïtien, l’émir.
Il serait sous le coup d’une interdiction de voyager depuis 2013. Amnesty International ne connaît pas la date exacte de son arrestation ; des informations non confirmées indiquent qu’il a subi des mauvais traitements en détention.
Durant la dernière semaine de janvier, la Cour d’appel a confirmé la condamnation d’Ahmed Abdulaziz à quatre ans de travaux, semble-t-il pour avoir géré un compte Twitter intitulé « Seulement la Constitution » (Ila al-Dastour). La condamnation à quatre années de prison prononcée à l’encontre d’Ahmed Fadhel pour avoir « insulté les juges » a également été confirmée.
Selon des informations publiées le 29 janvier, les autorités ont aussi annoncé des sentences concernant des bidun apatrides et des militants, notamment Abdullah Atallah, condamné à une peine de cinq ans de prison, assortie de travaux forcés et suivie d’expulsion, et Abdulhakim al Fadhli, condamné à une peine d’un an de prison, assortie de travaux forcés et suivie d’expulsion. Abdullah al Enezi avait été condamné à cinq ans de prison pour avoir insulté l’émir ; il aurait fui le pays après avoir passé environ trois mois derrière les barreaux.
À la même époque, des mandats d’arrêt ont été décernés à l’encontre de deux militants, en raison de déclarations qu’ils auraient faites sur Twitter. Un défenseur des droits humains, Nawaf al Hendal, se trouvait à Genève pour l’EPU, lorsqu’il a appris de manière non officielle qu’il faisait l’objet d’un mandat d’arrêt depuis le 27 janvier. Le 31 janvier, les autorités ont annulé ce mandat.
Le 29 janvier, Amnesty International a écrit au procureur général du Koweït, se déclarant préoccupée par l’arrestation d’Abdulaziz al Mutairi, de Musaed al Musayleem et de Naser al Smayt, ainsi que par le mandat d’arrêt décerné à l’encontre de Nawaf al Hendal. Au 13 février, elle n’avait toujours pas reçu de réponse.