Billet d’opinion

L’Égypte et ses généraux : entre déni et répression PAR SALIL SHETTY

En mars 2011, dans le cadre d’une violente répression contre les manifestations pacifiques organisées place Tahrir au Caire, un groupe de 18 manifestantes ont été arrêtées par l’armée égyptienne.

Dix-sept d’entre elles ont été retenues pendant quatre jours. Elles ont été frappées à maintes reprises, soumises à des fouilles au corps et ont reçu des décharges électriques. Au moins sept d’entre elles ont été contraintes de subir des « tests de virginité », sous la menace d’être inculpées de prostitution pour « celles qui ne seraient pas déclarées vierges ». Avant d’être libérées, ces femmes ont été traduites devant un tribunal militaire et condamnées à des peines avec sursis d’un an pour diverses charges mensongères.

Seule l’une d’entre elles s’est finalement sentie assez forte pour braver les risques et se présenter aux autorités pour dénoncer ce qui s’était passé. Samira Ibrahim, responsable marketing âgée de 25 ans originaire de Sohâg, en Haute-Égypte, a déposé deux plaintes devant les tribunaux égyptiens : la première pour demander la suppression des « tests » pratiqués sur les femmes égyptiennes, la seconde concernant ce qu’elle a personnellement enduré. Des mois plus tard, elle attend toujours justice et changement. Elle n’est pas la seule.

Un an après le renversement du président égyptien Hosni Moubarak, qui a mis fin à 30 ans de répression violente, la population d’Égypte attend elle aussi justice et changement. Le succès de la révolution du 25 Janvier qui a porté un coup fatal au régime de Moubarak véhiculait des promesses qui doivent encore être tenues. Nombreux sont ceux qui, loin de vivre dans une Égypte nouvelle, plus libre et plus juste, sont pris au piège entre le passé et le futur, vivant sous le régime militaire et confrontés à un avenir incertain.

La main de fer de Hosni Moubarak a rapidement laissé place à une junte militaire tout aussi puissante, le Conseil suprême des forces armées (CSFA), qui assume les fonctions gouvernementales depuis un an.

En juin 2011, trois mois après l’arrestation de ces 18 femmes, j’ai rencontré le général Abdel Fattah al Sisi, chef des services de renseignements militaires et membre du CSFA, pour débattre de diverses atteintes aux droits humains recensées par Amnesty International en Égypte, notamment des « tests de virginité » forcés pratiqués par l’armée.

Le général Abdel Fattah al Sisi m’a expliqué que ces « tests » avaient été effectués sur les femmes placées en détention afin de « protéger l’armée contre toute accusation de viol ». Il a ajouté que l’armée ne procèderait plus à des « tests de virginité ».

Le général m’a donné bien d’autres assurances ce jour-là.

Au cours de cette rencontre, il a également souligné l’importance de la justice sociale pour tous les Égyptiens. Il a reconnu qu’il était nécessaire de faire évoluer la culture des forces de sécurité. Tout en ajoutant que la violence ne serait pas utilisée contre les manifestants et que les détenus seraient correctement traités.

Depuis lors, les forces gouvernementales placées sous le contrôle du CSFA ont été pointées du doigt dans un nombre croissant d’allégations de violences et d’atteintes aux droits humains. En octobre 2011, les forces de sécurité ont dispersé en recourant à une force extrême une manifestation majoritairement copte, faisant 28 morts. Beaucoup ont été touchés par des balles réelles ou écrasés par des soldats fonçant dans la foule à bord de véhicules blindés. En novembre, la police antiémeutes a dispersé un sit-in pacifique organisé place Tahrir par des personnes blessées durant le mouvement du 25 Janvier, qui réclamaient un transfert de leur dossier devant les instances civiles et des réparations. L’intervention de la police antiémeutes a déclenché plusieurs journées de violences qui ont fait au moins 50 morts et des centaines de blessés.

En décembre, les soldats ont dispersé un autre sit-in pacifique en recourant à une force excessive, faisant 17 morts. Des vidéos montrent les soldats en train de frapper des manifestantes, notamment à coups de pieds, et de les tirer sur le sol par les cheveux. Plus récemment, malgré les dénégations du ministère de l’Intérieur, la police antiémeutes a tiré des plombs de fusil et autres munitions réelles pour réprimer les manifestations au lendemain de la tragédie du match de football de Port-Saïd, tuant au moins 15 personnes.

Un an après la démission de Hosni Moubarak, la vie n’a guère changé pour les simples citoyens, et particulièrement pour les femmes. Reste à voir si le Parlement nouvellement élu aura le courage d’affronter les généraux et de remettre en cause le statu quo désastreux.

Le CSFA avait promis de mettre un terme à l’état d’urgence. Pourtant, il a maintenu en vigueur la Loi relative à l’état d’urgence, répressive, pour les «  actes de violence », crimes définis en termes vagues qui ont remplacé le « terrorisme » pour justifier le maintien en détention sans inculpation ni jugement. La promesse de faire respecter la liberté d’expression, d’association et de réunion se heurte à la dure réalité, les nouvelles autorités ne tolérant aucune critique. Les militants sont pris pour cibles, les ONG harcelées et les manifestants pacifiques dispersés avec violence. En outre, des milliers de citoyens ont été traduits devant des tribunaux militaires, et parfois condamnés à mort.

Fin décembre 2011, après des mois de délai, un tribunal administratif égyptien a finalement statué que les « tests de virginité » étaient illégaux et ordonné la suppression de cette pratique. Le médecin accusé de les avoir effectués doit désormais comparaître en justice, bien que les charges retenues contre lui aient été réduites.

Cependant, un an après la chute de Hosni Moubarak, Samira Ibrahim, comme des millions d’Égyptiens, attend toujours d’obtenir justice et de connaître le changement. Son affaire a déjà été reportée à six reprises. Fait incroyable, la semaine dernière, les avocats de l’armée ont une nouvelle fois tenté de suggérer que les « tests » n’avaient jamais été pratiqués sur les manifestantes.

Samira Ibrahim continue de recevoir des menaces, notamment de la part de membres des forces de sécurité. Mais comme des millions d’Égyptiens, elle affirme qu’elle continuera à se battre, peu importe le temps que cela prendra. « Si j’abandonne les poursuites, explique-t-elle avec défi, ce qui m’est arrivé pourra arriver à n’importe quelle jeune fille en Égypte. »

Salil Shetty est secrétaire général d’Amnesty International

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