L’Italie appelée à respecter les droits humains et les droits des réfugiés face à l’afflux de migrants et de demandeurs d’asile tunisiens


Déclaration publique

Index AI : EUR 30/003/2011

ÉFAI

18 février 2011

Amnesty International exhorte les autorités italiennes à répondre comme il se doit aux besoins humanitaires des milliers de migrants et de demandeurs d’asile qui quittent la Tunisie au lendemain des troubles qui ont secoué le pays.

Selon le ministère italien de l’Intérieur, au 16 février 2011, plus de 5 000 personnes arrivant du Maghreb – principalement de Tunisie – à bord de petites embarcations avaient débarqué sur les côtes italiennes (pour la plupart sur l’île de Lampedusa) au cours des dernières semaines ; 3 000 d’entre elles sont arrivées entre le 11 et le 14 février.

Après plusieurs jours durant lesquels un nombre considérable de migrants et de demandeurs d’asile ont été laissés dehors pour dormir, les autorités italiennes ont décidé de rouvrir le centre d’accueil d’urgence de Lampedusa.

Le ministère de l’Intérieur indique également qu’au 14 février, quelque 2 600 personnes avaient été transférées de Lampedusa à d’autres villes sur la partie continentale de l’Italie ou en Sicile, par avion ou par bateau.

Les autorités italiennes ont qualifié la récente vague d’arrivées par la Méditerranée d’« urgence humanitaire » et affirment que des membres d’organisations terroristes pourraient se cacher parmi les migrants et les demandeurs d’asile. Le 12 février, le Conseil des ministres a proclamé l’état d’urgence humanitaire. Le gouvernement italien a par ailleurs demandé l’aide de l’Union européenne, notamment de l’Agence européenne pour la gestion de la coopération aux frontières extérieures (Frontex), pour contenir les flux migratoires en provenance d’Afrique du Nord. L’UE a généralement accepté ces demandes.

Face à l’« urgence humanitaire », les autorités italiennes ont renforcé la surveillance des côtes du pays. Elles ont également tenté de négocier avec le gouvernement tunisien le déploiement de patrouilles italiennes dans les eaux territoriales tunisiennes, sans succès. Les autorités tunisiennes se seraient engagées à accroître leurs efforts dans la surveillance de leurs eaux territoriales. Dans ce contexte, certains médias ont indiqué que, le 11 février, lorsque des navires tunisiens ont essayé d’arrêter un bateau transportant des migrants et des demandeurs d’asile potentiels, plusieurs personnes se sont noyées.

Amnesty International estime qu’une situation d’« urgence humanitaire » appelle une réponse humanitaire, et non sécuritaire. Les navires qui transportent des migrants et des demandeurs d’asile en provenance de Tunisie, d’Égypte et d’autres pays d’Afrique du Nord ne doivent pas être repoussés. Tout arrivant a le droit d’être traité avec dignité, de se voir apporter de l’aide et de bénéficier d’une procédure équitable de demande d’asile.

L’organisation demande donc aux autorités italiennes et tunisiennes, ainsi qu’à l’UE, d’appliquer les recommandations suivantes :

• Les autorités italiennes et autres autorités compétentes doivent faire face à la crise humanitaire actuelle par une réponse humanitaire, au lieu d’une approche centrée uniquement sur le contrôle des frontières et la maîtrise des flux migratoires. Étant donnée l’« urgence humanitaire » qui a lieu en ce moment, la surveillance des eaux nationales et internationales doit être organisée en fonction des besoins humanitaires immédiats des personnes interceptées en mer ; les navires de patrouille doivent notamment veiller à donner la priorité aux besoins des personnes en détresse et de celles qui peuvent être particulièrement vulnérables, comme les femmes enceintes, les mineurs isolés et les personnes ayant besoin d’une assistance médicale.

• Toute surveillance des eaux nationales ou internationales menée par les autorités italiennes, tunisiennes ou celles d’un autre État, ainsi que par Frontex, doit avoir pour objectif principal d’assurer la sécurité des personnes interceptées en mer. Frontex doit agir conformément à ses lignes directrices établies en 2010 pour les opérations en mer, aux termes desquelles ces opérations ne peuvent se dérouler en violation des droits humains, notamment ceux des réfugiés. En particulier, les navires de patrouille doivent procéder à la recherche et au sauvetage des personnes en détresse et leur porter secours immédiatement, et non tenter de les intercepter dans le but de les « refouler » vers leur pays d’origine. Toute opération doit être menée en respectant pleinement le droit et les engagements internationaux relatifs aux droits humains et aux réfugiés, ainsi que les obligations relevant du droit de la mer, comme le devoir de recherche et de sauvetage.

• Les autorités doivent donner à toute personne qui souhaite formuler une demande d’asile la possibilité de le faire, par exemple en faisant en sorte qu’elle arrive à un endroit où sa demande peut être déposée et traitée par le biais d’une procédure équitable et efficace. En particulier, des garanties efficaces doivent être mises en place pour que, conformément au droit relatif aux droits humains et aux réfugiés, personne ne soit expulsé sommairement du territoire italien ou renvoyé d’une autre manière avant d’avoir eu réellement la possibilité de contester son renvoi s’il le souhaite. Toute personne souhaitant contester son renvoi, son expulsion ou sa reconduite à la frontière doit être dotée des moyens de le faire dans le plein respect des obligations de l’Italie découlant du droit et des engagements internationaux, régionaux et nationaux relatifs aux droits humains et aux réfugiés.

• Les autorités italiennes doivent veiller à ce que toutes les structures d’accueil disponibles soient utilisées et suffisamment équipées pour fournir de l’aide aux migrants et aux demandeurs d’asile, en prêtant une attention particulière aux catégories vulnérables. Toutes les personnes qui atteignent les côtes italiennes doivent être prises en charge dans des centres ouverts.

• Les autorités italiennes doivent s’assurer que les personnes soient informées de leur droit de demander asile et du fait que tout le monde a droit à une procédure d’asile équitable et satisfaisante. Dans ce contexte, les organisations dont le rôle est d’informer les personnes de la possibilité de solliciter l’asile et des procédures en place à cet effet, à commencer par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), doivent pouvoir accéder librement à tous les lieux où des migrants et des demandeurs d’asile pourraient être hébergés.

• Les autorités italiennes doivent demander la solidarité d’autres pays de l’UE pour partager la responsabilité de l’aide humanitaire apportée aux personnes secourues en mer ou atteignant les côtes italiennes si la situation évolue de telle façon que les mesures qu’elles prennent deviennent insuffisantes.

• Les droits humains doivent être la pierre angulaire de toute coopération en matière de « contrôle de l’immigration » entre l’Italie et la Tunisie ou d’autres pays d’Afrique du Nord ; les accords bilatéraux doivent intégrer des normes de protection suffisantes et respecter pleinement les droits des demandeurs d’asile, des réfugiés et des migrants.

• L’UE et ses États membres doivent revoir leur manière de gérer les problèmes migratoires, en intégrant une analyse de l’impact en termes de droits humains des politiques actuelles visant à lutter contre l’immigration clandestine. Les routes migratoires ne peuvent être supprimées ; on peut seulement les détourner vers d’autres endroits. L’instabilité politique et les inégalités très fortes sont des facteurs prépondérants qui encouragent la migration depuis toutes les régions du monde. La réponse qui prévaut en Italie et dans toute l’UE, consistant à engager des pays tiers dans le contrôle des mouvements de population vers l’Europe, ne résout pas le problème sous-jacent des pressions migratoires, notamment celle liées aux personnes qui demandent une protection. Il existe un risque que les personnes qui tentent de migrer pour une quelconque raison n’empruntent d’autres routes encore plus dangereuses et ne se retrouvent de plus en plus souvent entre les mains de passeurs et de trafiquants.

• L’UE et ses États membres doivent soutenir la transition démocratique de la Tunisie et son développement économique et social, notamment par la création d’emplois et de perspectives concrètes pour les jeunes de ce pays.

• L’engagement de l’UE en matière de politique étrangère dans la région ne doit pas se concentrer uniquement sur la stabilité, mais également sur la pérennité en termes de développement économique et social. L’UE doit élaborer une meilleure approche, plus globale, de la migration et de l’asile, qui doit inclure : 1) des conditions de respect des droits humains quand elle coopère avec des pays tiers en matière de migration ; 2) des garanties d’accès à l’asile et de plein respect du principe de non-refoulement ; 3) un débat renouvelé et approfondi sur la création de voies légales de migration dans l’UE ; et 4) le traitement des causes profondes de migration, par le biais du soutien à la transition démocratique et au développement économique.

Dans le même temps, Amnesty International engage les autorités italiennes et l’UE à s’abstenir des pratiques suivantes :

• Les autorités italiennes (ou de tout autre pays) ne doivent pas mener d’opérations de « refoulement », consistant à intercepter en mer des migrants et des demandeurs d’asile qui tentent d’approcher la frontière maritime sud de l’Italie et à les renvoyer dans des États non européens sans leur permettre d’accéder à des procédures d’asile équitables et satisfaisantes. Les autorités italiennes doivent également s’abstenir de reproduire la politique de « refoulement » mise en œuvre contre les bateaux arrivant de Libye en 2009 et contre ceux transportant des Albanais dans les années 1990.

• Une réponse proposée soi-disant par solidarité par d’autres États européens ne doit pas être fondée sur le maintien de l’ordre mais sur les besoins humanitaires. L’engagement de Frontex – et en particulier de Frontex seul – serait une réponse inadaptée à une urgence de nature humanitaire, qui pourrait entraîner des atteintes aux droits humains. L’UE ne peut pas continuer à répondre aux problèmes migratoires par une prolifération d’initiatives opérationnelles axées principalement sur le contrôle.

• Les États membres de l’UE, en particulier l’Italie, doivent reconnaître que placer des restrictions ou des obstacles en travers du chemin de personnes est contraire au droit de solliciter et d’obtenir l’asile – il se peut que les personnes souhaitant quitter la Tunisie exercent leurs droits humains universellement reconnus, notamment celui de demander asile, et qu’elles fuient des persécutions ou d’autres graves atteintes. Dans les autres cas, il se peut qu’elles exercent simplement le droit de quitter leur propre pays.

• Il ne doit y avoir aucun recours à la détention systématique. Les autorités italiennes doivent éviter la détention des personnes secourues en mer ou ayant atteint les côtes du pays. Toute décision de restreindre les libertés individuelles doit être prise après un examen individualisé de sa nécessité, de sa proportionnalité et de son opportunité dans chaque cas, et une fois que les autres solutions disponibles ont été étudiées. Le placement en détention ne doit être envisagé qu’en dernier ressort. Les personnes appartenant à des catégories vulnérables ne doivent pas être détenues, en particulier les mineurs.

• Les autorités italiennes doivent s’abstenir de procéder à des expulsions collectives, consistant à renvoyer des personnes dans leur pays d’origine sans avoir examiné comme il se doit leurs besoins individuels de protection internationale.

• Les autorités italiennes doivent éviter de répandre l’alarmisme dans la population en comparant les récents flux migratoires à un « exode biblique », et s’abstenir d’établir des liens hâtifs entre les personnes qui ont récemment atteint les côtes italiennes et les terroristes ou délinquants potentiels, car ce type de déclaration encourage le racisme et la xénophobie.


Publications d’Amnesty International
 :


L’Italie doit prendre en main efficacement la situation d’« urgence » des migrants tunisiens,
16 février 2011, index AI : PRE 01/066/2011

Questions & Answers : North Africa migrants in Italy, 16 février 2011, index AI : EUR 30/002/2011


Amnesty exhorte l’Italie à protéger les droits des migrants à l’heure où des milliers de personnes quittent la Tunisie
, nouvelle, 14 février 2011.

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