Le gouvernement hongrois a dépensé plus de 100 millions d’euros pour financer la construction de clôtures en fil barbelé à lames et des mesures de contrôle à la frontière dans le but de garder réfugiés et migrants hors de son territoire, soit le triple de ce qu’il consacre annuellement à l’accueil des demandeurs d’asile, écrit Amnesty International dans une nouvelle synthèse rendue publique jeudi 8 octobre.
Ce document, intitulé
« La Hongrie est à quelques rouleaux de fils barbelés de sceller complètement ses frontières avec la Croatie et la Serbie. Même ceux qui parviennent à se faufiler par la petite brèche encore ouverte sont quasiment assurés d’être renvoyés vers des pays de transit dans les Balkans », a déclaré John Dalhuisen, directeur du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International.
« La Hongrie est en train de se transformer en zone où les réfugiés ne peuvent obtenir aucune protection, et fait preuve d’un mépris flagrant pour ses obligations en matière de droits humains et le besoin manifeste de travailler avec d’autres pays de l’UE et des Balkans pour trouver des solutions collectives et humaines à la crise actuelle », a déclaré John Dalhuisen.
La construction de clôtures en fil barbelé à lames, conjuguée à la criminalisation de ceux qui franchissent la frontière et entrent dans le pays clandestinement, ainsi que la hâte à les renvoyer dans des pays de transit dans les Balkans, ont pour but d’isoler la Hongrie de la crise européenne et mondiale des réfugiés. Tout cela se fait aux dépens du respect des droits humains.
Amnesty International demande aux États membres et institutions de l’UE de prévenir de nouvelles violations des droits humains en Hongrie, en activant le mécanisme préventif prévu par l’article 7(1) du Traité de l’Union européenne. Ce mécanisme permet au Conseil de l’Europe d’émettre des recommandations aux États membres où il existe « un risque clair de violation grave » de l’état de droit et des droits humains.
« L’UE a le pouvoir d’ouvrir des discussions officielles avec la Hongrie concernant le traitement choquant qu’elle réserve aux réfugiés et migrants, et de faire clairement passer le message qu’"assez, c’est assez" aux États qui bafouent le droit communautaire et international. L’UE doit agir en ce sens avant qu’il ne soit trop tard », a déclaré Iverna McGowan, directrice par intérim du Bureau européen d’Amnesty International.
« L’observation de la situation des droits humains en Hongrie a failli de manière répétée, les États membres et les institutions se passant sans fin la balle pour savoir à qui échoit la responsabilité ultime de faire respecter les droits humains dans l’UE. Il convient de combler ces lacunes de toute urgence avec une réponse plus forte aux violations des droits humains, tant par les États membres que par les institutions de l’UE. »
Amnesty International s’est appuyée sur des témoignages et des observations recueillies lors de recherches de grande ampleur effectuées en septembre. Les chercheurs se sont penchés sur le traitement réservé par la police aux réfugiés et aux migrants, les conditions d’accueil, ainsi que l’application de nouvelles restrictions à l’asile dans le pays.
Le Parlement hongrois a adopté de nouvelles lois qui sont à l’origine du durcissement de la réaction à la crise, notamment en postant à la frontière des soldats et policiers autorisés à utiliser des balles en caoutchouc, des grenades lacrymogènes et des dispositifs pyrotechniques. Des véhicules blindés surmontés de mitrailleuses, et des soldats équipés d’armes à feu similaires à celles des forces spéciales ont été mis en place le long de la frontière avec la Croatie.
Certains témoignages révèlent l’utilisation répétée d’une force excessive par les autorités hongroises.
Hiba, une demandeuse d’asile de 32 ans originaire d’Irak, a subi une fracture à la cuisse après avoir été poussée contre un mur par un policier hongrois dans une gare de Budapest.
« Je connais l’incertitude et le stress depuis des mois », a déclaré Hiba, actuellement en Allemagne. « Nous attendons désormais une décision relative à notre demande d’asile mais des gens [d’autres demandeurs d’asile] nous disent qu’on pourrait essuyer un refus et être renvoyés en Hongrie puis en Irak. Mais ce serait impossible de revenir à Tikrit, on n’y est pas en sécurité. »
D’autres nouvelles lois ont permis à la Hongrie de mettre la Serbie sur une liste des pays d’origine et de transit sûrs, vers lesquels les demandeurs d’asile doivent désormais être renvoyés, sans que l’on ne tienne compte des obstacles importants auxquels ils sont confrontés pour obtenir une protection dans ce pays. Les réfugiés et demandeurs d’asile qui entrent clandestinement en Hongrie risquent par ailleurs des poursuites pénales, ce qui est contraire au droit international relatif aux droits humains.
La synthèse décrit la pitoyable réaction humanitaire des autorités hongroises, évoquant notamment le manque de lieux d’accueil adéquats. Face à l’absence de ressources essentielles, telles que de la nourriture et des tentes, des réfugiés et demandeurs d’asile massés devant les principales gares de Budapest - Keleti, Nyugati et Deli - ont dû dépendre d’un soutien fourni en grande partie par des bénévoles et par le biais de dons.
« Je voulais commencer une nouvelle vie en paix [...] Ils nous traitent comme des animaux, pire que des animaux », a déclaré Dina, une Syrienne de 46 ans qui avait été placée en garde à vue et avait alors passé 16 heures sans boire ni manger. « Cela nous empêche de rester ici. Nous sentons que nous ne sommes pas les bienvenus. »
La synthèse met en évidence les disparités énormes entre les dépenses de lutte contre l’immigration et le budget relatif au traitement des demandes d’asile. Quelque 98 millions d’euros ont été engloutis par la construction de la clôture entre la Hongrie et la Serbie, soit au moins trois fois plus que les 27,5 millions d’euros de budget du bureau de l’Immigration et de la Nationalité pour l’année 2015.
« Le coût de ces odieuses opérations anti-réfugiés est ahurissant et se mesure également en atteintes aux droits, à la santé et au bien-être de milliers de personnes », a déclaré John Dalhuisen.
« Il serait beaucoup plus sage d’utiliser ces sommes pour sauver des vies et améliorer le futur. Il est temps pour l’ensemble des États membres de l’UE d’investir dans une solution coordonnée qui soit empreinte de compassion. »
Complément d’information
En 2015, dans le cadre d’une consultation nationale sur l’immigration et le terrorisme ayant coûté 3,2 millions d’euros, le gouvernement hongrois a soumis un questionnaire à plus de 8 millions de citoyens afin de savoir, par exemple, s’ils pensaient que des personnes qui franchissent clandestinement des frontières doivent être placées en détention pendant plus de 24 heures. Le gouvernement a également dépensé 1,3 million d’euros pour une campagne d’affichage xénophobe mettant en avant des messages tels que « Si vous venez en Hongrie, ne prenez pas les emplois des Hongrois ».
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