Communiqué de presse

L’Union africaine doit placer au premier rang des priorités la protection des civils dans les situations de conflit

À l’occasion de la 17e session ordinaire du sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine (UA), qui se tient à Malabo (Guinée équatoriale), Amnesty International demande à l’UA de placer au premier rang de ses priorités le sort des civils dans les conflits armés en Libye, en Somalie et au Soudan.

Le conflit armé qui se déroule actuellement en Libye est marqué par de graves violations du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits humains. Les recherches menées par Amnesty International ont mis en évidence de graves violations des droits humains commises par les forces pro-Kadhafi, qui ont fait des victimes parmi la population civile, y compris des femmes et des enfants. Certaines de ces atteintes – attaques aveugles contre des civils et des zones civiles, notamment – sont constitutives de crimes contre l’humanité. Les forces pro-Kadhafi ont utilisé des armes non discriminantes par nature, y compris des armes interdites par le droit international, telles les mines antipersonnel et les bombes à sous-munitions ; elles ont effectué des tirs d’artillerie, de mortier et de roquettes dans des zones d’habitation. Elles ont également mené une campagne de disparitions forcées contre les opposants présumés. Des centaines de personnes, peut-être davantage, ont ainsi « disparu » dans tout le pays. Il s’agissait d’hommes dans la majorité des cas. Les soldats fidèles au colonel Kadhafi ont en outre torturé, maltraité, et dans certains cas même, exécuté sommairement, des combattants capturés et d’autres personnes qu’ils détenaient. Lorsque les troubles ont commencé, à la fin du mois de février 2011, les forces pro-Kadhafi ont eu recours à la force de manière excessive contre des manifestants anti-gouvernementaux, utilisant même la force meurtrière. Ces violations interviennent alors même que la presse indépendante est soumise à des attaques graves – des journalistes libyens et étrangers ont en particulier été la cible d’actes d’intimidation et de harcèlement, et certains ont été arrêtés.

Les forces de l’opposition se sont elles aussi rendues responsables d’atteintes aux droits humains, notamment d’actes de torture et d’autres mauvais traitements contre des soldats capturés, des mercenaires supposés et d’autres détenus qu’elles soupçonnaient de soutenir le colonel Kadhafi ou d’avoir commis des violations des droits humains dans le passé. Au moment de l’arrestation ou dans les premiers jours de leur détention en particulier, ces personnes ont subi des passages à tabac, entre autres violences. Amnesty International est également préoccupée par l’absence de cadre clair régissant l’arrestation, la détention et l’interrogatoire de ces personnes, et par le fait que ces opérations sont menées en dehors de tout contrôle des autorités civiles, notamment le parquet, et sans concertation avec ces autorités. Le Conseil national de transition (CNT) n’a par ailleurs pas condamné publiquement les homicides perpétrés par des sympathisants de l’opposition contre des soldats capturés, des mercenaires présumés et des membres de l’Agence de sûreté intérieure, un service du renseignement tristement connu pour avoir commis de graves violations des droits humains sous le régime du colonel Kadhafi. Le CNT n’a rien fait en outre pour qu’une enquête exhaustive, indépendante et impartiale soit menée sur ces actes. Le fait de laisser ces crimes impunis accroît le risque de leur répétition et envoie à la société le message que de tels actes seront tolérés.

Amnesty International souhaite attirer l’attention de l’Union africaine sur le sort des étrangers en Libye, en particulier les personnes originaires de pays d’Afrique subsaharienne. L’organisation a recueilli des informations faisant état d’actes de violence contre des ressortissants d’États d’Afrique subsaharienne dans les territoires contrôlés par l’opposition. Ces actes sont dus en partie à l’idée très répandue selon laquelle le colonel Kadhafi a fait appel à des « mercenaires africains » pour mener des attaques contre la population libyenne. Des ressortissants de pays d’Afrique subsaharienne présents dans les zones aux mains du colonel Kadhafi ont également signalé une augmentation des agressions racistes et xénophobes à leur encontre – des vols d’argent et de téléphone portable, mais aussi des actes de violence physique, commis par l’homme de la rue en toute impunité.

Amnesty International demande à l’Union africaine de s’engager de manière plus active et de :

• faire pression sur le gouvernement du colonel Kadhafi pour qu’il donne suite aux mesures provisoires ordonnées par la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples qui, le 25 mars 2011, a demandé à la Libye de cesser immédiatement toute action ayant pour conséquence des violations du droit à la vie ou à l’« intégrité physique » ;

• demander à toutes les parties au conflit de se conformer au droit international humanitaire, et en particulier de ne pas mener d’attaques contre des civils, ni d’attaques ne faisant pas de distinction entre objectifs civils et objectifs militaires, ni d’attaques ayant un impact disproportionné sur des civils ou des biens de caractère civil ; leur demander également de faire en sorte que toutes les personnes détenues dans le cadre des troubles et des combats soient traitées avec humanité, et que les familles des détenus soient informées du sort de leurs proches et autorisées à être en contact avec eux ;

• demander au gouvernement du colonel Kadhafi et au CNT de prendre des mesures pour mettre un terme aux violences perpétrées contre les étrangers, en particulier les ressortissants de pays d’Afrique subsaharienne, en condamnant publiquement ces attaques, en menant des enquêtes même lorsque aucune plainte officielle n’a été déposée et en déférant à la justice les responsables présumés de ces actes ;

• faire en sorte que toutes les personnes fuyant la Libye, y compris les ressortissants de pays tiers, se voient accorder un droit d’entrée à la frontière de tout pays, sans discrimination et quelle que soit leur origine.

En Somalie, les combats se poursuivent dans le cadre d’une offensive militaire menée par le gouvernement et les forces de maintien de la paix de l’Union africaine contre les groupes islamistes armés. Les enfants et les jeunes Somaliens sont particulièrement touchés : selon certaines informations, trois hôpitaux de Mogadiscio ont admis en mai 1 590 blessés de guerre, dont 46 % avaient moins de cinq ans ; la plupart souffraient de blessures par balles ou de lésions provoquées par des explosions ou des éclats de projectiles. Si toutes les parties au conflit somalien utilisent des enfants soldats, le groupe armé Al Shabab y a recours de manière particulièrement systématique ; il recrute également de force de jeunes adultes. On estime qu’un enfant sur quatre souffre de malnutrition sévère. La majorité d’entre eux vivent dans le sud de la Somalie, où les organisations humanitaires n’ont guère – voire pas du tout – accès. La situation catastrophique des droits humains et la crise humanitaire ont contraint quelque 60 000 Somaliens à chercher refuge à l’étranger depuis le début de l’année. Mais loin de trouver asile et protection, les réfugiés somaliens arrivant dans des pays tiers sont en butte à des violations de leurs droits fondamentaux et risquent d’être renvoyés de force.

Amnesty International demande à l’Union africaine de prendre en considération le sort des enfants et des jeunes Somaliens et de :

• veiller à ce que les soldats de la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) prennent constamment toutes les précautions possibles pour éviter les pertes civiles ; il s’agit notamment d’avertir – sauf lorsque les circonstances ne le permettent pas – la population qu’une offensive militaire va avoir lieu, d’éviter dans toute la mesure du possible de placer des bases militaires et tout autre objectif militaire dans des zones civiles densément peuplées, ou à proximité de celles-ci, et de veiller à ce que les soldats de l’AMISOM ne procèdent pas à des tirs aveugles d’artillerie, notamment de mortier, dans des zones civiles densément peuplées ;

• demander aux États membres de l’Union africaine de cesser les transferts d’armes à toutes les parties au conflit en Somalie, y compris au gouvernement fédéral de transition, jusqu’à la mise en place de mécanismes opérationnels permettant d’éviter que cette assistance matérielle soit utilisée pour commettre des violations du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits humains, notamment le recrutement et l’utilisation d’enfant soldats ;

• demander aux États membres de l’Union africaine d’accorder assistance et protection aux Somaliens qui fuient le conflit armé et de ne pas renvoyer quiconque de force dans le sud et le centre de la Somalie ;

• exiger la création d’une commission d’enquête indépendante et impartiale, ou d’un mécanisme analogue, chargée d’enquêter et de dresser la carte des crimes de droit international commis en Somalie, et de préconiser des mesures permettant d’amener les responsables présumés à répondre de leurs actes.

Au Soudan, les combats se sont encore intensifiés au Darfour entre janvier et mai 2011. Le 23 janvier, les forces gouvernementales ont effectué une descente dans le camp de personnes déplacées de Zamzam, dans le nord du Darfour. Elles ont arrêté 37 personnes, pénétré dans des habitations et pillé des biens. À la fin du mois de février, des combats ont opposé à Shangil Tobaya (Darfour septentrional) les forces gouvernementales aériennes et terrestres à des groupes d’opposition armés. Dix villages auraient été détruits, ce qui a contraint plus de 4 000 personnes à fuir la région. Tout récemment, en mai, des bombardement aériens ont été signalés dans le nord et le sud du Darfour.

Dans de vastes portions du territoire du Darfour, le gouvernement continue de restreindre l’accès des organisations humanitaires. Avançant le prétexte de l’insécurité, les autorités font tout en outre pour tenir l’opération hybride UA-ONU (MINUAD) à l’écart des zones de conflit. Pour le seul mois de janvier, le gouvernement aurait bloqué plus de 20 tentatives de la MINUAD de patrouiller dans ces zones. Ces restrictions portent sérieusement atteinte à la capacité de la MINUAD de mener à bien dans les zones les plus touchées par le conflit sa mission de surveillance et ses tâches de protection des civils.

Dans les zones frontalières entre le nord et le sud du Soudan, ces dernières semaines ont été marquées par une recrudescence des combats entre les forces armées du Soudan (SAF, nord) et l’Armée populaire de libération du Soudan (APLS, principalement composée de soldats du sud). L’indépendance du Sud-Soudan doit être officiellement proclamée le 9 juillet. Elle fait suite à un référendum tenu en janvier 2011 dans le cadre de l’Accord de paix global de 2005. Le 21 mai, les SAF ont pris le contrôle de la ville d’Abyei, en violation de l’Accord de paix global et d’autres accords conclus entre le Parti du Congrès national (PNC, au pouvoir) et le Mouvement populaire de libération du Soudan (MPLS, sud). Cette offensive a fait suite à une série d’accrochages entre les SAF et l’APLS, notamment une attaque supposée de cette dernière près d’Abyei contre des soldats des SAF qui circulaient dans un convoi des Nations unies.

Les SAF ont riposté par des bombardements aériens et des tirs d’artillerie ; elles ont aussi incendié et pillé des biens civils. Les Nations unies ont avancé le chiffre de 96 000 personnes ayant dû quitter leur foyer (estimation). Selon certaines informations, des pressions ont été exercées sur les personnes déplacées afin qu’elles rentrent à Agok, une ville voisine d’Agyei. Amnesty International a également reçu des informations selon lesquelles le gouvernement soudanais avait facilité l’arrivée dans la ville de milliers d’Arabes misseriya, dans l’objectif de renforcer le soutien à ses prétentions sur ce territoire.

Le 5 juin, des combats ont éclaté entre les SAF et des éléments de l’APLS en divers lieux du Kordofan méridional, notamment à Kadugli, la capitale de l’État. Des bombardements aériens et des tirs d’artillerie des SAF ont été signalés dans des villages situés au sud de Kadugli, ainsi qu’à Talodi, Heiban et Kauda, entre autres villes. Certains bombardements aériens sont conduits de manière aveugle par les SAF.

Les forces de sécurité ont procédé à des destructions de biens et des pillages massifs, saccageant des habitations particulières et des locaux d’ONG. À Kadugli et Dilling, des militaires des SAF et des membres des forces de sécurité portant l’uniforme civil ont effectué des descentes dans les rues et les maisons, arrêtant et tuant des personnes soupçonnées de soutenir le MPLS– beaucoup étaient membres de la tribu Nouba. L’insécurité régnante n’a pas permis d’établir un bilan des pertes civiles lors de ces combats. Selon les Nations unies, plus de 61 000 personnes ont dû fuir leur foyer en raison des affrontements récents. La ville de Dilling et plusieurs villages autour de Kadugli auraient été désertés.

Les organisations humanitaires n’ont qu’un accès extrêmement limité à la région. La plupart des employés des ONG internationales ont été évacués et l’on constate des pénuries importantes en termes de nourriture et de fournitures médicales. L’aéroport de Kadugli est toujours fermé, ce qui empêche l’aide humanitaire de parvenir sur place. Le 14 juin, l’aérodrome de Kauda, à proximité de Kadugli, a été détruit lors du bombardement de la ville, rendant plus difficile encore l’accès humanitaire.

Amnesty International appelle l’Union africaine à :

•demander à toutes les parties au conflit se déroulant au Darfour, à Abyei et dans le Kordofan méridional d’ordonner immédiatement à leurs forces de prendre toutes les précautions nécessaires pour éviter des pertes civiles, d’interdire les attaques contres les civils lors des opérations militaires et de permettre aux Nations unies et aux organisations humanitaires d’accéder sans restriction aux zones concernées ;

•continuer d’appuyer les mécanismes nationaux et internationaux de justice afin de mettre fin à la culture de l’impunité au Soudan.

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