Communiqué de presse

L’Union européenne ne doit pas fermer les yeux sur les violences commises en Somalie Par Nicolas Beger, directeur du Bureau des institutions européennes, Amnesty International

Ce billet d’opinion a été publié initialement dans New Europe.

Ce lundi 16 septembre, des dirigeants européens et somaliens se réunissent à Bruxelles pour une conférence intitulée Un new deal pour la Somalie . Cette réunion négociera un nouvel accord relatif à la Somalie, qui définira les relations entre la Somalie et la communauté internationale. La semaine dernière, l’Union européenne (UE) a annoncé qu’elle accordait encore 124 millions d’euros à la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM). Au moment de se réunir à la table de conférence pour négocier et établir l’ordre des priorités, les participants doivent garder à l’esprit ce qui est en jeu.

Plus d’un million de personnes sont déplacées à l’intérieur de la Somalie, et environ 369 000 d’entre elles vivent à Mogadiscio. Les conditions de vie des personnes déplacées à l’intérieur de leur pays sont très mauvaises. Récemment, une mission d’Amnesty International s’est rendue dans ce pays, et ses membres y ont vu des abris de fortune faits de tissu ou de plastique, dont la porte se réduisait à un morceau d’étoffe.

En janvier dernier, le gouvernement somalien a annoncé un projet concernant des centaines de milliers de personnes déplacées qui se trouvent à Mogadiscio et qu’il compte réinstaller dans des camps en dehors de la ville. Les raisons de cette réinstallation seraient associées à des problèmes de sécurité et au développement de la capitale, et l’opération est présentée comme une première étape vers le retour des personnes déplacées dans leurs lieux d’origine, qui se trouvent, pour la plupart, dans des secteurs en proie au conflit et à l’insécurité.

Bien que la réinstallation soit actuellement suspendue, des personnes déplacées ont cependant dû quitter l’endroit où elles se trouvaient, principalement à la suite d’expulsions forcées. Les tentatives de résistance des personnes expulsées se sont parfois heurtées à des réactions violentes des forces de sécurité, qui ont même utilisé des armes à feu dont les tirs ont fait des blessés et des morts, y compris un enfant. Les expulsés gagnent le couloir d’Afgooye, à quelque distance de la ville, où la présence gouvernementale est faible et où les groupes armés peuvent agir.

Comme l’insécurité est une caractéristique des regroupements de personnes déplacées, les viols et autres violences sexuelles constituent une menace constante, surtout pour les femmes et fillettes. Une adolescente de 14 ans, qui réside dans un camp de personnes déplacées à Mogadiscio, a été violée dans l’abri où elle vit alors qu’elle se remettait d’une crise d’épilepsie. Elle a raconté à Amnesty International : « Je me suis réveillée et un homme était en train de me déshabiller. J’ai essayé de crier mais il m’a saisie par la gorge pour m’en empêcher. Ma cousine (âgée de 4 ans) s’est réveillée et il lui a dit de ne pas faire de bruit. Il a fait son affaire et puis il s’est enfui. »

Selon les Nations unies, au moins 1 700 cas de viol ont eu lieu dans des camps de personnes déplacées en 2012, dont au moins 70 % commis par des hommes armés vêtus d’uniformes des autorités.

Des allégations de viol ont également été portées à l’égard de membres de l’AMISOM, force de maintien de la paix. Au mois d’août, quatre hommes portant un uniforme de l’armée gouvernementale auraient enlevé une femme à Mogadiscio et l’auraient emmenée dans une caserne de l’AMISOM, où elle affirme avoir été droguée et violée à plusieurs reprises.

Les enquêtes, poursuites et condamnations pour viol et pour les autres formes de violences sexuelles sont rares en Somalie ; il n’y a donc pas vraiment d’avantage à porter plainte auprès de la police pour les victimes. Il est arrivé que des femmes soient de nouveau agressées et considérées avec encore plus de mépris après avoir signalé un tel crime.

La situation en Somalie reste extrêmement complexe, alors que le pays émerge de deux décennies de conflit. Mais l’UE ne doit pas fermer les yeux sur les atteintes aux droits humains ; assurant des financements en Somalie, elle doit se montrer responsable. Il importe qu’elle mette au premier plan les considérations relatives aux droits humains dans toute son action en direction de la Somalie. Elle doit inviter les autorités somaliennes à forcer les membres des forces de sécurité à répondre de leurs actes. Le versement de fonds par l’UE au gouvernement somalien et à l’AMISOM doit se voir assorti de conditions concernant la mise en place par ces instances de systèmes de suivi du comportement des forces armées et la conduite d’enquêtes sur les atteintes aux droits humains. Sachant à quel point les enjeux sont importants pour les habitants de la Somalie, l’UE ne doit pas laisser passer cette occasion opportune.

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