La Cour européenne des droits de l’homme fait valoir les droits des demandeurs d’asile dans l’Union européenne

Déclaration conjointe du Centre de conseil sur les droits de l’individu en Europe (Centre AIRE) et d’Amnesty International

Déclaration publique

Index AI : EUR 03/001/2011 -
ÉFAI -
21 janvier 2011

Vendredi 21 janvier, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a statué à la majorité, dans l’affaire M.S.S. c. Belgique et Grèce (requête n° 30696/09), que ces deux États avaient violé la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme).

Le Centre AIRE et Amnesty International considèrent que cet arrêt historique aura un impact durable, car il améliore la protection des droits humains des demandeurs d’asile dans l’Union européenne (UE).

Les États membres de l’UE sont tenus de respecter les exigences minimales définies par le droit européen et les droits fondamentaux garantis par la Convention européenne des droits de l’homme. Compte tenu de ces critères, l’arrêt du 21 janvier confirme qu’ils doivent assurer l’accès à des procédures d’asile efficaces et des conditions d’accueil convenables pour les demandeurs d’asile. Ils doivent aussi proposer des recours effectifs contre les violations des droits humains.

La CEDH a conclu que la Grèce ne disposait pas d’un système d’asile efficace. Elle a en outre estimé que, en détenant M.S.S., un demandeur d’asile afghan, dans des conditions dégradantes et en le laissant dans des conditions de vie également dégradantes après sa libération, ce pays avait violé la Convention européenne des droits de l’homme . Par ailleurs, elle a considéré que, en raison des importantes défaillances structurelles de la procédure d’asile grecque, la Grèce avait privé cet homme de la possibilité d’obtenir un traitement approprié de sa demande d’asile. Elle a jugé que l’absence de mécanisme efficace en Grèce pour formuler les griefs de M.S.S. en matière de droits humains constituait une violation supplémentaire des obligations du pays découlant de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle a donc conclu que la Grèce avait porté atteinte au droit de M.S.S. à un recours effectif .

En ce qui concerne la Belgique, étant donné les défaillances bien connues du système d’asile grec, la CEDH a estimé que, au moment de l’expulsion de M.S.S. vers la Grèce, « les autorités belges savaient ou devaient savoir qu’il n’avait aucune garantie de voir sa demande d’asile examinée sérieusement par les autorités grecques ». Dans ces circonstances, elle a considéré que les autorités belges avaient le devoir de vérifier la manière dont les autorités grecques appliquaient leur législation relative à l’asile dans la pratique, ce qu’elles n’ont pas fait selon elle. Puisque M.S.S. pouvait, de manière défendable, faire valoir que son renvoi en Afghanistan l’exposerait à un réel risque d’être torturé ou soumis à d’autres mauvais traitements, voire tué, la CEDH a conclu que son transfert par la Belgique vers la Grèce constituait une violation de l’interdiction d’expulser quiconque vers un pays ou un territoire où cette personne courrait un risque de torture (principe de non-refoulement) .

Par ailleurs, elle a conclu que la procédure à disposition de M.S.S. en Belgique pour contester son transfert vers la Grèce ne satisfaisait pas aux exigences de la jurisprudence de la CEDH, selon laquelle toute information indiquant que la personne concernée pourrait être torturée si elle était expulsée doit être rigoureusement examinée. Elle a donc statué que la Belgique avait violé le droit de M.S.S. à un recours effectif, car la procédure qui était à sa disposition dans ce pays pour faire appel de son renvoi vers la Grèce au motif qu’il serait victime d’un traitement proscrit par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme n’aurait eu aucune chance de succès .

M.S.S. c. Belgique et Grèce est la principale affaire portée devant la CEDH concernant la conformité du renvoi de demandeurs d’asile en Grèce dans le cadre du Règlement Dublin II avec la Convention européenne des droits de l’homme. L’arrêt de la CEDH confirme que le présupposé sur lequel s’appuie le Règlement Dublin II est une fiction : le traitement des demandeurs d’asile, et notamment leur accès aux procédures d’examen des demandes d’asile, varie d’un pays à l’autre au sein de l’UE.

Le Centre AIRE et Amnesty International considèrent que, malgré les améliorations promises et prévues, la Grèce ne protège toujours pas les droits fondamentaux des demandeurs d’asile. À la lumière du jugement de la CEDH, le renvoi de demandeurs d’asile dans ce pays en vertu du Règlement Dublin II constituerait donc – à l’heure actuelle – une violation des obligations de l’État qui procède à l’expulsion au regard de la Convention européenne des droits de l’homme. Le Règlement Dublin II, cependant, met à la disposition des États un mécanisme visant à garantir le respect des droits des personnes : ceux-ci peuvent exercer leur pouvoir discrétionnaire pour traiter eux-mêmes les demandes de protection internationale.

Le Centre AIRE et Amnesty International ont apporté leur contribution dans l’affaire M.S.S. c. Belgique et Grèce par le biais d’une tierce intervention conjointe car elles étaient profondément inquiètes de la situation critique de milliers de demandeurs d’asile en Europe, liée au fait que les autorités grecques et d’autres gouvernements européens ne respectent et ne protègent pas leurs droits humains fondamentaux.

La Grèce – premier pays d’entrée dans l’UE pour des milliers de demandeurs d’asile en provenance notamment d’Afghanistan, d’Iran, d’Irak et de Somalie – ne propose pas (et ce depuis plusieurs années) de procédure d’examen des demandes d’asile ni de conditions d’accueil convenables qui soient conformes au droit international, y compris aux exigences minimales du droit européen. Elle ne veille pas non plus à ce que ces demandeurs d’asile soient traités dans le respect de leur dignité lorsqu’ils arrivent. Comme M.S.S., nombre de personnes demandant une protection internationale sont détenues dans des conditions épouvantables, puis libérées et laissées à la rue sans ressources. Certaines sont expulsées de la Grèce bien que ce renvoi les expose à un risque réel de subir d’autres graves atteintes aux droits humains.

Malgré tout, plusieurs États membres de l’UE et d’autres pays participant au système découlant du Règlement Dublin II exacerbent cette situation en tenant absolument à renvoyer les demandeurs d’asile en Grèce plutôt que de choisir – comme les y autorise ce règlement – de prendre la responsabilité de traiter les demandes de protection internationale. En privilégiant leurs propres intérêts dans l’interprétation du Règlement Dublin II, et en continuant de renvoyer des demandeurs d’asile en Grèce, ces États européens agissent avec fourberie. Ils contournent sciemment leurs obligations internationales, notamment celles qui leur incombent au titre de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ils causent ainsi d’indicibles souffrances et bafouent les droits des demandeurs d’asile et des réfugiés, notamment en les exposant au refoulement.

Faisant suite à l’arrêt historique rendu le 21 janvier, le Centre AIRE et Amnesty International exhortent les gouvernements européens à améliorer nettement le traitement des demandeurs d’asile dans toute l’Europe, conformément à leurs obligations découlant du droit international relatif aux réfugiés et aux droits humains. Les deux organisations appellent en particulier les États européens qui prétendent agir dans le cadre du Règlement Dublin II à :

• interrompre tous les transferts effectués au titre du Règlement Dublin II vers la Grèce ou tout autre pays visé par ce règlement où il existe de fortes raisons de penser que les droits des demandeurs d’asile et des réfugiés ne sont pas respectés, notamment à cause d’un manque d’observation des exigences minimales du droit européen ;
• accepter la responsabilité des demandes de protection internationale des personnes qui seraient, dans le cas contraire, renvoyées au titre du Règlement Dublin II vers la Grèce ou un autre État entrant dans cette catégorie, et traiter ces demandes ;
• s’acquitter en toute bonne foi de leur obligation internationale, en vertu du droit relatif aux droits humains et aux réfugiés, de respecter les droits des demandeurs d’asile et des réfugiés, notamment en appliquant les principes qui sont à la base du système de protection internationale, à savoir les principes humanitaires et le partage des responsabilités ;
• veiller à ce que toute modification du système découlant du Règlement Dublin II soit compatible avec les droits des demandeurs d’asile et des réfugiés et avec ces principes.

La compatibilité du renvoi de demandeurs d’asile en Grèce avec leurs droits humains fondamentaux garantis par le droit européen, et en particulier par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, est également examinée actuellement par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), à Luxembourg, qui a récemment été saisie par des juridictions nationales au Royaume-Uni et en Irlande. Le Centre AIRE et Amnesty International, qui ont apporté une contribution conjointe dans les affaires renvoyées devant la CJUE, seront les premières ONG de défense des droits humains à intervenir dans une affaire portée devant cette instance à Luxembourg.

Complément d’information

M.S.S., un demandeur d’asile originaire d’Afghanistan, est entré dans l’UE par la Grèce et a réussi à se rendre en Belgique, où il a sollicité l’asile. Cependant, les autorités belges ont décidé de le renvoyer en Grèce malgré ses objections fondées sur les éléments bien connus montrant que ce pays ne disposait pas d’une véritable procédure d’asile et qu’il risquait d’être ensuite renvoyé en Afghanistan. À son arrivée en Grèce, les autorités grecques l’ont placé en détention à deux reprises dans des conditions épouvantables, et lorsqu’elles l’ont libéré, elles l’ont laissé se débrouiller tout seul dans la rue sans ressources et sans domicile. Au 1er septembre 2010, quand la Grande Chambre de la CEDH a examiné son cas, M.S.S. attendait toujours son premier entretien de demande d’asile en Grèce.

La Grèce fait face à d’importants flux de demandeurs d’asile et de migrants en situation irrégulière aux origines diverses. Parmi les personnes qui demandent une protection internationale sur le territoire grec, beaucoup sont contraintes de vivre dans la rue sans aucun document et plusieurs ont été expulsées sans que leur demande ne soit traitée en bonne et due forme.

En 2010, invoquant le grand nombre d’arrivées, les autorités grecques ont admis que la Grèce continuerait de violer les droits humains des demandeurs d’asile, même si son système d’asile était complètement remanié. En juillet, le vice-ministre grec de la Protection du citoyen, Spyros Vougias, a reconnu ces manquements et exhorté les États membres de l’UE à cesser de renvoyer des demandeurs d’asile en Grèce jusqu’à nouvel ordre.

Des dispositions récemment adoptées visent à réformer le système d’asile en Grèce . Néanmoins, seule une surveillance étroite pourra démontrer que la mise en œuvre des réformes actuelles protège, promeut, respecte et rend effectifs les droits des demandeurs d’asile en Grèce dans la loi et en pratique.

Les chances d’obtenir une protection internationale en Grèce demeurent très minces en raison de l’absence de véritable procédure d’asile. Des demandeurs d’asile, y compris des femmes et des enfants, sont contraints de vivre dans la rue sans aucune aide. Plusieurs ont été expulsés sans que leur demande n’ait été étudiée de manière approfondie et équitable, en violation du principe de non-refoulement. Amnesty International, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, entre autres, ont mis en évidence les fréquents placements en détention de demandeurs d’asile, parmi lesquels des mineurs isolés. Ces personnes sont souvent détenues pendant de longues périodes dans des conditions épouvantables. En septembre 2010, le HCR a décrit la situation des personnes qui tentent d’obtenir une protection internationale en Grèce comme une « crise humanitaire ».

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