La déclaration d’un représentant de l’État iranien aux Nations unies ne peut camoufler les persécutions des avocats de la défense

Amnesty International déplore les propos tenus par Mohammad Javad Larijani, secrétaire général du Haut conseil des droits humains du pouvoir judiciaire, lors d’une conférence de presse des Nations unies, le 16 novembre 2011. Celui-ci a affirmé qu’« aucun avocat n’[était] emprisonné simplement parce qu’il exer[çait] cette profession ou qu’il défend[ait] les droits humains ».

Cette déclaration est en contradiction flagrante avec la situation réelle : de nombreux avocats courageux, qui ont accepté de défendre des affaires politiques ou « sensibles », ont été arrêtés ou ont été victimes d’autres persécutions parce qu’ils ont mené à bien leurs activités professionnelles.

L’un d’entre eux, Abdolfattah Soltani, avocat spécialiste des droits humains, a été arrêté le 10 septembre 2011 et est depuis lors maintenu en détention, dans l’attente de son procès. Mohammad Javad Larijani a aussi déclaré qu’Abdolfattah Soltani était détenu parce qu’il était soupçonné de « relations avec des groupes terroristes » responsables, a-t-il affirmé, d’avoir tué plus de 10 000 personnes en Iran. Abdolfattah Soltani a catégoriquement démenti cette allégation, ont expliqué ses proches à Amnesty International, et il a déclaré à sa femme Masoumeh Dehghan, lors d’une visite qu’elle lui a rendue le 17 novembre 2011, qu’il souhaitait porter plainte contre Mohammad Javad Larijani.

L’ordonnance de maintien en détention provisoire le concernant a été prolongée de deux mois le 17 novembre 2011. Abdolfattah Soltani attend d’être jugé pour « propagande contre le régime », « établissement d’un groupe illégal opposé au régime [le Centre de défense des droits humains] » et « rassemblement et collusion dans l’intention de nuire à la sûreté de l’État ». Il est également inculpé d’une infraction liée à son acceptation en 2009 du Prix international des droits de l’homme de Nuremberg, qualifié de « prix illégal » par les autorités, bien qu’il n’ait pas été autorisé à se rendre en Allemagne pour le recevoir.

Amnesty International a connaissance d’au moins neuf autres avocats qui, selon toute apparence, sont actuellement maintenus en détention pour avoir exercé leurs activités juridiques ou d’autres activités liées aux droits humains, ou pour s’être livrés à l’exercice légitime de leur droit à la liberté d’expression. D’autres, qui ont été arrêtés par le passé, attendent de connaître l’issue des recours qu’ils ont formés contre leurs peines d’emprisonnement (c’est le cas notamment de Mohammad Ali Dadkhah, condamné à neuf ans de prison pour avoir participé à la création du Centre de défense des droits humains). D’autres encore sont visés par une procédure, mais l’affaire peut rester en instance pendant des mois voire des années – une tactique bien souvent employée par les autorités iraniennes pour, semble-t-il, réduire au silence les militants d’organisations politiques et de la société civile.

Parmi les avocats actuellement maintenus en détention figurent :

Nasrin Sotoudeh

Nasrin Sotoudeh purge une peine de six ans d’emprisonnement à la prison d’Evin, à Téhéran, après avoir été reconnue coupable d’infractions liées à la « sûreté nationale » et formulées en termes vagues. Sa peine, initialement de 11 ans d’emprisonnement, a été réduite en appel. Nasrin Sotoudeh a été condamnée à cinq ans d’emprisonnement pour « agissement contre la sûreté nationale, notamment appartenance au Centre de défense des droits humains », auxquels s’ajoute une année supplémentaire pour « propagande contre le régime ». Elle nie avoir jamais été membre de cette organisation. Ces chefs d’accusation résultent uniquement de son travail en tant qu’avocate spécialiste des droits humains. Avant d’être arrêtée, Nasrin Sotoudeh avait déjà été enjointe de cesser de représenter Shirin Ebadi, lauréate du prix Nobel de la paix, si elle ne voulait pas être victime de représailles.

Mohammad Seyfzadeh

Mohammad Seyfzadeh purge une peine de deux ans d’emprisonnement pour le rôle qu’il a joué dans l’établissement du Centre de défense des droits humains (il a cofondé cette organisation avec, entre autres, Shirin Ebadi). Initialement condamné à neuf ans d’emprisonnement, il a vu sa peine réduite en appel. En outre, il lui a été interdit de pratiquer le droit pendant 10 ans.

Javid Houtan Kiyan

Javid Houtan Kiyan est incarcéré à la prison de Tabriz pour avoir défendu Sakineh Mohammadi Ashtiani, une femme condamnée à la mort par lapidation pour « adultère en étant mariée ». Il a été arrêté en octobre 2010 en même temps que le fils de Sakineh Mohammadi Ashtiani et que deux journalistes allemands, qui ont tous les trois été remis en liberté. Il a été torturé en prison et on croit savoir qu’il a été condamné à une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 11 ans.

Farshid Yadollahi, Amir Eslami, Afshin Karampour et Omid Behrouzi

Ces quatre avocats se trouvaient parmi les 60 soufis, tous membres de la confrérie des derviches Gonabadi, qui ont été arrêtés à Kavar, à Chiraz et à Téhéran en septembre 2011. Ils ont été conduits à la section 2009 de la prison d’Evin, où ils sont toujours détenus. Farshid Yadollahi et Amir Eslami ont été condamnés en janvier 2011, dans une autre affaire, à six mois d’emprisonnement pour « avoir répandu des mensonges dans l’intention de semer le trouble dans l’opinion publique », car ils avaient défendu six clients soufis sur l’île de Kish. Leurs clients ont été mis hors de cause, mais les avocats ont porté plainte pour agissements illégaux de la part des forces de sécurité, ce qui est semble-t-il à l’origine de leur propre condamnation. Une audience en appel, à laquelle les deux hommes n’ont pas assisté, a été tenue récemment par la première chambre de la Cour d’appel de Bandar Abbas. Ils ont toutefois été représentés par leurs avocats.

Mostafa Daneshjou

Mostafa Daneshjou, un autre avocat soufi, a été arrêté par 10 agents des forces de sécurité en civil dans son cabinet, à Téhéran, le 18 mai 2011. Il a été conduit à la prison de Sari pour purger une peine de sept mois d’emprisonnement à laquelle il avait été condamné en janvier 2010, après avoir été reconnu coupable de « répandre des mensonges » alors qu’il représentait deux soufis de Neka au sujet d’une perquisition illégale à leur domicile menée par les forces de sécurité de la province du Mazandaran. Le 15 juin 2011, il a été transféré pendant trois jours dans un camp de réinsertion pour les personnes souffrant de toxicomanie, sans que l’on en sache vraiment les raisons. Son transfert pourrait être lié aux consultations juridiques qu’il offrait gratuitement à ses codétenus de la prison de Sari. Fin octobre 2011, il aurait été transféré à la prison d’Evin. Par ailleurs, il semble que sa licence professionnelle lui ait été retirée.

Ghasem Sholeh Saadi

Professeur universitaire et ancien député, Ghasem Sholeh Saadi purge une peine de deux ans et demi d’emprisonnement après avoir été reconnu coupable, dans deux affaires distinctes, d’« infractions » liées à une lettre critique qu’il a envoyée au Guide suprême en 2002 et à des interviews qu’il a accordées à des médias étrangers. Il devrait faire l’objet d’un troisième procès, pour des faits similaires. Par ailleurs, il s’est vu infliger une interdiction d’enseigner et de pratiquer le droit pendant 10 ans.

Amnesty International considère que tout avocat détenu pour avoir exercé ses activités professionnelles ou s’être livré à l’exercice pacifique de ses droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion est un prisonnier d’opinion qui devrait être relâché immédiatement et sans condition.

Le droit d’être représenté par un avocat de son choix est garanti par l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel l’Iran est partie. Les Principes de base des Nations unies relatifs au rôle du barreau prévoient que les pouvoirs publics doivent veiller à ce que les avocats puissent s’acquitter de toutes leurs fonctions professionnelles sans entrave, intimidation, harcèlement ni ingérence indue, et à ce qu’ils ne fassent pas l’objet, ni ne soient menacés de poursuites ou de sanctions économiques ou autres pour toutes mesures prises conformément à leurs obligations et normes professionnelles reconnues et à leur déontologie.

Les autorités iraniennes continuent de renforcer les restrictions imposées à l’exercice légitime des droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion, et d’étendre encore le champ de leurs persécutions puisque celles-ci touchent non seulement les militants d’organisations politiques et de la société civile mais aussi les avocats qui les représentent. À la lumière de cette situation désastreuse que connaît le pays en matière de représentation légale indépendante, le fait que Mohammad Javad Larijani nie l’existence de ces persécutions constitue un affront intolérable pour ces avocats incarcérés qui continuent de faire preuve d’un courage et d’une dignité remarquables face aux conditions effroyables qu’ils subissent derrière les barreaux.

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