Communiqué de presse

La déclaration de l’UE sur les transferts d’armes à la Syrie

Le 27 mai 2013, à l’issue de longues discussions diplomatiques, l’Union européenne (UE) n’a pas reconduit l’embargo total sur les armes à la Syrie en vigueur jusqu’au 31 mai 2013, qui concernait tant le gouvernement syrien que les groupes armés d’opposition.

Les ministres des Affaires étrangères de l’UE ne sont pas parvenus à s’entendre pour prolonger l’embargo, à la suite d’une proposition de modification avancée par le Royaume-Uni et la France et visant à autoriser des transferts d’armes aux groupes armés syriens de l’opposition. L’UE va néanmoins renouveler un grand nombre d’autres restrictions imposées au gouvernement syrien et qui font partie du dispositif de sanctions mis en place dans le contexte du conflit armé interne.

Il ne devrait y avoir aucun transfert d’armes à destination du gouvernement syrien

Amnesty International est déçue par la décision de l’UE de ne pas reconduire l’embargo total sur les armes à destination des forces armées syriennes et des milices qui leur sont alliées. Se fondant sur des recherches approfondies menées sur le terrain, Amnesty International a trouvé des preuves accablantes montrant que des armes transférées aux autorités syriennes ont été utilisées, et le seront manifestement encore, pour commettre des violations systématiques et généralisées des droits humains, y compris des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre.

De ce fait, Amnesty International renouvelle son appel afin que le Conseil de sécurité de l’ONU impose immédiatement un embargo total sur les armes à destination du gouvernement syrien. Dans l’attente de cet embargo international, elle prie les États de l’UE et les autres de maintenir ou d’imposer dans les délais les plus brefs des embargos sur les armes destinées aux forces gouvernementales syriennes.

Position de l’UE sur les transferts d’armes à destination des groupes syriens d’opposition armée

En ce qui concerne l’éventuelle fourniture d’armes à certains groupes d’opposition en Syrie, aux termes de la déclaration de l’UE du 27 mai 2013 les États membres se sont accordés pour « s’abstenir d’exporter des armes à ce stade »  ; leur décision de ne pas reconduire l’embargo rend néanmoins possibles des transferts d’armes aux groupes armés d’opposition. Les États de l’UE se sont engagés à « agir, dans le cadre de leurs politiques nationales, de la manière suivante :

  • « la vente, la fourniture, le transfert et l’exportation d’équipements militaires ou d’équipements susceptibles d’être utilisés à des fins de répression interne seront destinés à la coalition nationale des forces de la révolution et de l’opposition syrienne et auront pour objet la protection des populations civiles ;
  • « les États membres exigent des garanties adéquates contre tout détournement des autorisations accordées, notamment la communication d’informations pertinentes concernant l’utilisateur final et la destination finale de la livraison ;
  • « les États membres évaluent au cas par cas les demandes d’autorisation d’exportation, en tenant pleinement compte des critères prévus dans la position commune 2008/944/PESC du Conseil du 8 décembre 2008 définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires. »

Aux termes de la position commune de l’UE sur les exportations d’armes, il appartient aux États membres de prendre pleinement en compte les droits humains – au cas par cas – et de ne pas approuver d’exportation dès lors qu’il existe un risque évident que les armes exportées pourraient servir à commettre des atteintes aux droits humains ou de graves violations du droit international humanitaire. Les transferts d’armes ne sont donc plus soumis à une interdiction, mais plutôt à une appréciation.

Il faut une procédure rigoureuse d’évaluation des risques

Dans la pratique, cette procédure d’évaluation des risques sera complexe. Amnesty International prie tous les États d’appliquer les dispositions du traité sur le commerce des armes en matière de protection des droits humains et d’observer rigoureusement les critères de la position commune de l’UE concernant l’évaluation des risques de violation des droits humains et du droit international humanitaire par tout destinataire potentiel d’armes en provenance d’un État membre de l’UE.

Amnesty International a rassemblé des preuves que certains des nombreux groupes armés d’opposition qui opèrent en Syrie se sont rendus coupables d’atteintes aux droits humains, dont des crimes de guerre tels que des exécutions sommaires de personnes capturées (soldats des forces de sécurité, miliciens de groupes paramilitaires, informateurs présumés et autres). À notre avis, les informations disponibles ne prouvent cependant pas que ces exactions sont assez générales ou systématiques pour atteindre la limite qui nous amènerait à lancer un appel en faveur d’un embargo global sur tous les transferts d’armes à destination de tous les groupes armés d’opposition.

Néanmoins, dans la mesure où certains groupes armés ont commis des exactions de cette nature, Amnesty International estime qu’il y aurait lieu de ne procéder à aucun transfert d’armes à aucun groupe armé d’opposition en Syrie tant que n’aura pas été écarté tout risque substantiel d’atteinte grave aux droits humains et de violation du droit international humanitaire. Il y aurait lieu pour cela d’évaluer rigoureusement le risque que des armes destinées à l’exportation soient utilisées pour commettre des violations graves du droit international humanitaire ou relatif aux droits humains ou pour y contribuer, et de mettre en place des mécanismes concrets, applicables, transparents et vérifiables permettant de garantir qu’aucun équipement militaire fourni ne soit utilisé à mauvais escient ou détourné.

Critères d’évaluation des risques

La procédure d’évaluation des risques devrait tenir compte de la capacité et de l’aptitude d’un utilisateur final à utiliser des armes, munitions et équipements connexes dans le cadre d’opérations militaires tout en respectant le droit international en la matière, en particulier le droit international humanitaire et relatif aux droits humains. Cela implique qu’il doit être entraîné à utiliser correctement les armes classiques et les équipements militaires transférés conformément au droit international humanitaire et relatif aux droits humains.

L’État fournisseur doit veiller à ce que soient en place les mesures ci-après :

  • des règles d’engagement strictes (conformes au droit international humanitaire et relatif aux droits humains) concernant l’utilisation des armes par des combattants ;
  • l’interdiction à tout destinataire éventuel de recourir à des enfants soldats ;
  • des systèmes stricts d’enregistrement des personnes habilitées à détenir et à utiliser des armes et des munitions, lorsqu’elles sont fournies à des combattants ;
  • un système approprié de stockage et d’enregistrement de toutes les armes et munitions qui rende également compte de leur utilisation.

Des systèmes appropriés de gestion permettant d’éviter que des armes soient détournées impliqueraient un marquage réel et une traçabilité des armes, ainsi qu’un stockage dans des conditions sûres des armes et des réserves. Une gestion rigoureuse des données portant sur les réserves, les fournisseurs, les stocks, la détention, l’utilisation et l’élimination des armes et des munitions est indispensable.

Aucune arme non discriminante par définition – elles sont prohibées par le droit international –, mine terrestre anti-personnel, bombe à sous-munitions ou armes chimique, ne doit jamais être utilisée par des combattants ni leur être fournie.

Il conviendrait que les fournisseurs potentiels évaluent les mécanismes indépendants de responsabilisation et de surveillance mis en place avec les destinataires potentiels, étant donné que le degré élevé d’impunité pour atteintes aux droits humains est un facteur critique à retenir lorsqu’il est envisagé de fournir des armes.

Les questions méritant réponse pourraient être notamment les suivantes :

  • La hiérarchie du destinataire potentiel a-t-elle pris les mesures qui s’imposent pour mettre fin aux atteintes aux droits humains et empêcher leur répétition (par exemple par une enquête ou une mesure disciplinaire) ?
  • Existe-t-il des preuves qu’un membre du groupe raisonnablement soupçonné d’atteintes graves aux droits humains a été suspendu de ses fonctions ?
  • Le groupe coopère-t-il dans des enquêtes internationales impartiales telles que celles de la commission d’enquête du Conseil des droits de l’homme de l’ONU ?

Les États qui envisagent de transférer des équipements militaires à des groupes armés d’opposition doivent être responsables de la mise en place d’un mécanisme étanche interdisant toute fourniture d’armes susceptibles de contribuer à des atteintes aux droits humains.

Il incombe aux États membres de l’UE de démontrer, avant de procéder à un quelconque transfert d’armes à destination de groupes armés syriens d’opposition, que les « garanties adéquates contre tout détournement » sont concrètes, applicables, transparentes et vérifiables. À moins que les gouvernements puissent garantir et prouver que ces conditions sont satisfaites, et qu’il ne subsiste aucun risque substantiel de détournement à des fins de violations graves du droit international humanitaire ou relatif aux droits humains, ils ne doivent procéder à aucune fourniture d’armes ou de munitions. Amnesty International s’apprête à écrire aux États membres de l’Union européenne au sujet des préoccupations ci-dessus.

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