Communiqué de presse

La situation des droits humains en Colombie. Déclaration d’Amnesty International à la 22e session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies

Amnesty International renouvelle son appréciation au Bureau de la Haut-commissaire aux droits de l’homme pour son travail en Colombie en vue de l’amélioration du respect des droits humains dans le pays, notamment par son insistance sur la mise en œuvre intégrale des recommandations des Nations unies.

La présente déclaration donne un aperçu des préoccupations d’Amnesty International concernant la Colombie, et de ses recommandations au Conseil des droits de l’homme.

Le début des pourparlers de paix officiels entre le gouvernement et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) laissait penser que le conflit avec ce groupe armé pourrait prendre fin après presque 50 ans d’hostilités. Cependant, une paix stable ne pourra pas être obtenue tant que les deux parties au conflit ne mettront pas un terme définitif aux atteintes aux droits humains et au droit international humanitaire. Les responsables de ces abus et violations doivent en outre être traduits en justice devant des tribunaux civils.

Malgré les pourparlers de paix, les parties au conflit – les forces de sécurité, qui agissent seules ou en collusion avec les paramilitaires, et les mouvements de guérilla – continuent de commettre de graves violations des droits humains et du droit international humanitaire, notamment des homicides illégaux, des déplacements forcés, des tortures, des enlèvements ou des disparitions forcées et des violences sexuelles.

Les civils, en particulier les membres des populations autochtones, les Afro-descendants et les communautés paysannes, les défenseurs des droits humains, les dirigeants de communauté et les syndicalistes continuent de subir les conséquences du conflit armé.

Les progrès récents des tribunaux civils, qui ont traduit en justice au moins une partie des personnes responsables de ces abus et violations, en particulier dans plusieurs cas emblématiques pour les droits humains, sont susceptibles d’être stoppés par des législations récentes, et notamment par la réforme du système de justice militaire, qui aggravera l’impunité dans le pays.

La Loi relative aux victimes et à la restitution des terres a cependant le potentiel de faire une réelle différence pour au moins quelques-unes des millions de victimes d’atteintes aux droits humains. Cependant, les menaces et les assassinats visant ceux qui font campagne pour la restitution des terres ou qui cherchent à retourner sur leurs terres pourraient compromettre la mise en œuvre de cette loi.

Les forces de sécurité

Les forces de sécurité continuent d’être responsables de graves violations des droits humains et de violations du droit international humanitaire, parfois en collusion avec des groupes paramilitaires. Des exécutions extrajudiciaires perpétrées par ces mêmes forces continuent d’être signalées. Bien que le Bureau du Procureur général enquête actuellement sur des milliers d’exécutions extrajudiciaires commises directement par les forces de sécurité pendant le conflit, bien peu d’auteurs ont été traduits en justice. En outre, le système de justice militaire, qui a la réputation de conclure ces enquêtes sans obliger les responsables à rendre effectivement des comptes, continue de revendiquer sa compétence dans de nombreux cas.

Les mouvements de guérilla
Les FARC et l’Armée de libération nationale (ELN) continuent de commettre de graves atteintes aux droits humains et au droit international humanitaire, y compris des meurtres, des prises d’otages, des déplacements forcés, l’enrôlement d’enfants et l’utilisation d’armes frappant sans discrimination, comme les mines terrestres. Même si, en 2012, les FARC ont annoncé qu’elles n’enlèveraient plus de civils contre rançon, elles n’ont pas pris l’engagement de mettre fin à toutes les formes d’enlèvements et prises d’otages, ainsi qu’à d’autres atteintes aux droits humains et au droit international humanitaire. Les mouvements de guérilla sont également responsables d’attaques indiscriminées ayant mis en danger les civils.

Les paramilitaires

En dépit de leur prétendue démobilisation, les groupes paramilitaires, qualifiés de « bandes criminelles », continuent leurs opérations et sont responsables de graves atteintes aux droits humains, y compris de meurtres, de disparitions forcées et de « nettoyage social » dans les quartiers urbains pauvres. Certains de ces actes ont été commis avec la complicité ou l’assentiment des forces de sécurité. Les victimes étaient principalement des syndicalistes et des défenseurs des droits humains, ainsi que des représentants des peuples autochtones et des communautés afro-colombiennes et paysannes. Le processus Justice et Paix, lancé en 2005, a continué de dénier aux victimes des groupes paramilitaires le droit à la vérité, à la justice et aux réparations. Selon le Bureau du Procureur général, en décembre 2012, seuls 14 paramilitaires avaient été condamnés dans le cadre du processus Justice et Paix.

L’impunité
Le soutien apporté par le gouvernement à plusieurs réformes législatives soulève des doutes quant à son engagement à faire cesser l’impunité. En décembre 2012, le Congrès a approuvé une réforme octroyant aux militaires un plus grand contrôle sur les enquêtes criminelles concernant des membres des forces de sécurité impliqués dans des violations des droits humains. De ce fait, certaines affaires de ce type pourraient être transférées au système de justice militaire, ce qui est contraire aux normes internationales relatives aux droits humains. En juin 2012, le Congrès a approuvé un « cadre juridique pour la paix » qui pourrait également permettre aux auteurs d’atteintes aux droits humains d’échapper à la justice. En décembre 2012, le Congrès a adopté une réforme de la loi Justice et Paix qui a prolongé le délai pour les démobilisations. Tout cela a constitué un message dangereux, susceptible d’encourager les parties au conflit à poursuivre leurs violations des droits humains et autres abus, tout en pouvant bénéficier des dispositions de la loi Justice et Paix.

Bien que la Colombie ait ratifié en 2012 la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, elle n’a pas reconnu la compétence du Comité des Nations unies sur les disparitions forcées pour examiner les communications individuelles, privant ainsi les victimes et leurs familles d’un important moyen de recours à la justice. Les chiffres exacts sont difficiles à établir, mais on estime à au moins 30 000 le nombre de victimes de disparitions forcées pendant le conflit.

Les défenseurs des droits humains, les dirigeants de communauté et les syndicalistes
Malgré les condamnations publiques du gouvernement, les défenseurs des droits humains continuent de subir des attaques, des menaces, des poursuites en justice ou des vols d’informations portant sur des dossiers sensibles. En 2012, au moins 40 défenseurs des droits humains et dirigeants de communauté, et 20 syndicalistes ont été tués. Des militants travaillant sur les questions de restitution des terres et ceux qui cherchent à retourner sur leurs terres ont été ces dernières années particulièrement exposés aux agressions.

Les peuples autochtones

L’impact du conflit sur les peuples autochtones s’est accentué lorsque les hostilités ont fait rage sur leurs territoires, en particulier dans les départements du Cauca et du Valle del Cauca. Selon l’Organisation nationale autochtone de Colombie, au moins 84 autochtones ont été tués en 2012, dont 21 dirigeants de communauté. Chaque année, des milliers de personnes autochtones continuent d’être chassées de leurs territoires par toutes les parties au conflit. De hauts fonctionnaires ont fait des déclarations sans fondement liant les dirigeants autochtones et les communautés aux mouvements de guérilla.

La violence contre les femmes

Toutes les parties au conflit continuent de faire subir aux femmes des agressions sexuelles, notamment des viols et d’autres formes de violences liées au genre. Cependant, très peu d’auteurs de tels actes ont été traduits en justice, et les autorités ne respectent pas de façon satisfaisante la décision historique de la Cour constitutionnelle sur les femmes et les déplacements (Auto 092 de 2008).

Une évolution potentiellement importante dans la lutte contre les violences liées au genre est le projet de loi destiné à garantir l’accès à la justice pour les victimes de violences sexuelles, en particulier les violences sexuelles commises dans le contexte du conflit armé. Ce projet de loi est actuellement en discussion au Congrès. S’il est adopté, il modifiera, entre autres, le Code pénal afin d’ériger en crimes spécifiques certaines formes de violences sexuelles liées au conflit, comme la nudité, les grossesses et les avortements forcés.

Le rôle de la communauté internationale
La communauté internationale joue un rôle fondamental dans la résolution des violations graves des droits humains et de la crise humanitaire colombienne. Elle doit continuer à coopérer activement avec le gouvernement colombien. Si la communauté internationale doit évidemment saluer les mesures concrètes et efficaces prises sur des questions particulières, elle ne doit pas pour autant cesser de critiquer les autorités lorsque leurs réponses ne sont clairement pas satisfaisantes. On peut notamment penser au plein respect des recommandations répétées de la Haut-commissaire aux droits de l’homme, y compris sur les obligations de la Colombie de combattre efficacement la forte impunité touchant aux violations des droits humains et du droit international humanitaire.

Amnesty International appelle, lors de la 22e session, le Conseil des droits de l’homme ainsi que ses États membres et observateurs à :

  • reconnaître que des violations des droits humains et du droit international humanitaire continuent d’être commises de manière généralisée par toutes les parties au conflit en Colombie ;
  • exhorter toutes les parties au conflit à se conformer rapidement et pleinement aux recommandations de la Haut-commissaire aux droits de l’homme, y compris celles publiées dans tous ses rapports précédents, et à celles d’autres organes des Nations Unies, notamment la nécessité impérative de protéger efficacement les communautés et les groupes en danger, de lutter contre l’impunité, et de prendre des mesures pour démanteler les groupes paramilitaires et rompre les relations existant entre ces derniers et les forces de sécurité ;
  • recommander la mise en œuvre complète des recommandations et engagements acceptés dans le cadre de l’EPU, en exigeant que des rapports réguliers soient soumis au Conseil sur la mise en œuvre de ces recommandations et engagements ;
  • mettre en place un processus comportant des échéances et des jalons pour évaluer le respect de ces recommandations et engagements ;
  • demander l’abrogation de la législation prévoyant l’élargissement de la compétence des tribunaux militaires, qui risque de rehausser les niveaux déjà élevés d’impunité, et insister pour que tous les responsables de violations des droits humains et autres abus soient traduits en justice ;
  • exhorter le gouvernement et les FARC à veiller à ce que le respect des droits humains soit au cœur des pourparlers de paix et insister pour que les deux parties s’engagent de manière vérifiable à faire cesser toutes les atteintes aux droits humains et au droit international humanitaire.
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